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Commémoration de l’abolition de l’esclavage
Zanane, gardienne des mémoires : «Le Morne lontan ti enn lot»
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Commémoration de l’abolition de l’esclavage
Zanane, gardienne des mémoires : «Le Morne lontan ti enn lot»
«Si Le Morne ti ena labous li ti ava rakonte.» Mais l’histoire du Morne, nos aînés la connaissent et elle en connaît un rayon. Connue comme la Reine du Morne, celle qu’on surnomme Zanane a le coeur sur la main et garde ces histoires précieusement.
Sur la terrasse d’une maison simple mais chargée d’histoire, Zanane, de son vrai nom Rosemay Lolo, nous accueille avec sa sagesse et sa verve légendaire. Elle nous invite à écouter la véritable histoire du Morne, ce village classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. À 71 ans, qu’elle fêtera en mai, Zanane est plus qu’une femme respectée : c’est une mémoire vivante, une guérisseuse, une conteuse, une gardienne de traditions.
Les souvenirs
Son regard se perd un instant, et elle nous emmène dans un temps où le Morne n’avait ni électricité ni routes goudronnées, où les grandes flambées éclairaient les nuits et où le séga typique résonnait sur la plage.
«Avan pa ti ena tol pou aranz lakaz me zis kaka vas. Biro Misie la mem ti an kaka vas. Dimounn pa ti pe malade akoz vas la ti manz zis lerb. Lakaz avant ti pe amen freser.» Elle se souvient des maisons faites en bouse de vache, solides et fraîches, et des femmes courageuses qui travaillaient sans relâche. Son grand-père, Bolom Moulousse, et son père, Ti Rolan, étaient charbonniers. Sa mère, Jeanette, coupait du bois pour le charbon et pêchait.
Elle se remémore un instant des «zoulous» et les «jambos». «C’étaient des noirs à la peau lisse et les jambos avec des lèvres tellement roses comme s’ils avaient mis du rouge à lèvres», nous dit-elle en rigolant.
Elle raconte comment la nourriture était simple mais précieuse. Le riz, un luxe, était réservé au samedi, accompagné de poisson licorne et de brinzel. Les autres jours, manioc, patate et maïs qu’ils cultivaient faisaient les repas.
Un sou était une richesse. Avec 10 sous, elle achetait un pain à 7 sous, fourré au beurre et accompagné d’un gâteau coco. Qu’en estil du respect ? «Avan si tonn trouv enn gran dimounn tonn pase to pann dir bonjour, be letan to rant lakaz to gagn bate la !»
Zanane nous confie aussi qu’elle aime une île en particulier. «Odrig» comme elle le dit si bien qui a su conserver ses valeurs et sa beauté d’antan où la nature prône sur le béton. «Laba mo santi mwa bien, partou ver ankor kouma lontan.»
Une guérisseuse
Dans le village, Zanane est connue pour ses dons de guérisseuse. Lorsqu’un pêcheur se fait piquer par un poisson-pierre, elle aspire le venin avec sa bouche après avoir mâché du tabac. «Si seki monn krase blan, pwazon-la inn sorti.» Elle parle aussi des remèdes naturels, des tisanes qu’elle boit depuis toujours, et de la plante «vie fi», qui soigne les plaies des diabétiques.
Elle est attristée de voir les jeunes tomber dans les pièges de la drogue et lance un message fort : «Arrêtez avec la drogue ! Avant, il n’y avait pas ce genre de drogue. Simik sintetik la. Legaliz gandia. Si legaliz gandia, dimounn pa pou touy dimounn pou ladrog. Sakenn pou fim so zafer dan so kwin ek seki vann sa la osi pou bizin al rod enn lot travay.»
Une femme qui ose parler
Respectée et écoutée, Zanane ne craint personne. Elle compte aujourd’hui aller voir le Premier ministre, Navin Ramgoolam : «Mo gagn drwa koste ek li mwa. Personn pa kapav dir mwa narye ni gard ni personn parski Navin kone mo pou dir li sa bann ti zistwar lontan la.» Elle veut lui parler du Morne, de son histoire, de ses injustices. Elle déplore que l’accès à une grotte historique sur la montagne soit aujourd’hui fermé. «Mwa monn ale avan me zordi akse la ferme. De lwin parti kote lamer kan gete trouv li li rouz.» Pour elle, les autorités doivent mieux protéger le patrimoine, éviter la construction massive et préserver la nature.
Un héritage à transmettre
Aujourd’hui, beaucoup de ses descendants ne reprennent pas ses histoires, mais elle tente de transmettre son savoir à l’un de ses fils. Elle veut qu’il se souvienne, qu’il raconte à son tour. Sur la terrasse, le soleil commence à descendre. Au loin, la mer scintille, témoin silencieux du passé et du présent.
Dans son restaurant en bord de mer, sa fille Janique sert des touristes, perpétuant à sa manière l’héritage du Morne. Mais Zanane, elle, reste l’âme du village. Une femme de mémoire, une femme de parole, une femme debout.
«Si Bondie permet mwa viv ankor lontan, mo pou transmet seki mo kone ar seki anvi aprann. Seki mo konn fer se enn don. Mo pa kapav met kas lorla. Si monn transmet ou enn zafer mo pa gagn drwa demann ou kas. Enn don sa. Si ou ena enn bonbon ou donn mwa.»
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