Publicité
Accord sur les Chagos
Une nuit d’émotion, de mémoire et d’espoir au centre des réfugiés Chagos : «Nou finn gagn nou zil»
Par
Partager cet article
Accord sur les Chagos
Une nuit d’émotion, de mémoire et d’espoir au centre des réfugiés Chagos : «Nou finn gagn nou zil»

■ Émilienne en larme lorsque la chanson «Peros Vert» a retenti.
Jeudi soir, dans la cour du Centre des réfugiés Chagos à Pointe-aux-Sables, les rires et les larmes se mêlaient à l’odeur du kari, aux éclats des pétards et à la voix d’un peuple qui, pour la première fois en plus de 50 ans, chantait la liberté retrouvée. Maurice et le RoyaumeUni venaient de signer un accord historique reconnaissant la souveraineté pleine et entière de Maurice sur l’archipel des Chagos. Et le cœur des exilés battait plus fort que jamais.
La lumière des lampes dansait sur les visages burinés, marqués par l’exil et l’attente. Des enfants jouaient, insouciants, pendant que les anciens en larmes, chantaient et dansaient face aux pétards. Parmi eux, assise à l’écart sur une chaise en plastique, Émilienne Louis, la plus ancienne des Chagossiens, observait la scène avec des yeux embués de souvenirs. Son silence en disait long. Puis, d’une voix tremblante, elle confia: «Depi lontan mo ti pe atann sa. Monn perdi mo mama, mo papa, mo mari. Res zis mo tousel. Si dir mwa retourn mwa mo zil natal mo pou ale.» Ses paroles fendaient le cœur. Née à Peros Banhos, elle se souvenait de tout. De chaque coin, chaque odeur, chaque cri d’enfant.
«Mwa ki ti trouv bato pe vinn sers dimounn sa lepok-la... Mo ankor rapel kot mo ti reste laba. Nou ti dan bor miray karo pe vey de zanfan bengne. Mo trouv bato perse laba, mo kriye mo dir get enn gro bato perse laba...» Sa voix s’interrompt. Les larmes coulent. Elle raconte comment son père, réveillé à la hâte, leur a demandé de tout ramasser. «Nou ti mari kontan. Ti panse pe al dan paradi. Letan gete, pe al dan lanfer.» Elle évoque aussi ses enfants, affamés certains soirs. «Mo zanfan plore akoz pena manze. Mo dir mwa lor mo zil, nou pa ti ena sa kalite problem-la.»
Et malgré la maladie, malgré l’âge, elle dit merci. «Aujourd’hui, je suis malade, mais là-bas, je ne l’étais pas du tout.» Elle veut y retourner. Elle le fera. Même si c’est pour y mourir. À ses côtés, Rose sourit, pudique. Arrachée à ses souvenirs d’enfant trop jeune, elle n’a pas d’images nettes de l’île. Mais son cœur, lui, reconnaît l’appel. «Je suis contente que nos descendants ont retrouvé leur île.» Pour elle, c’est un pont qui se reconstruit entre l’exil et la terre-mère, entre l’histoire et la relève. Ses enfants, nés à Maurice, pourront enfin fouler le sable que ses ancêtres avaient foulé.
Ce soir-là, Olivier Bancoult, figure infatigable de ce combat, portait un large sourire. Les mots, lourds de sens, étaient prononcés avec une rare solennité. «Tou dimounn ti pe dir mo fou akoz monn al pourswiv larenn. Li enn imin kouma mwa. Li kapav res dan so sato, mwa mo pa kapav res dan mo lakaz lapay. Malgre nou enn ti pep, nounn lager pou nou drwa fondamantal san violans.»
L’accord signé prévoit un plan de réinstallation – à l’exclusion de Diego Garcia – mais pour Olivier Bancoult, c’est un nouveau chapitre. Il a annoncé la venue prochaine d’experts et de professeurs pour préparer le Resettlement Action Plan: eau, électricité, emploi.
Redonner vie aux îles, redonner un avenir à son peuple
Quand la chanson Peros Vert a résonné, reprise par toutes les voix, dans un mélange de chagrin et de fierté, Émilienne s’est levée. Soutenue par une jeune femme, elle a chanté. Les larmes coulaient. Celles de la douleur. Celles de la renaissance.
Le champagne a coulé, les gâteaux typiques ont été partagés. Mais c’est la dignité d’un peuple, sa résilience et son amour indestructible pour sa terre natale qui ont nourri cette fête.
Ce soir-là, à Pointe-aux-Sables, les Chagossiens n’ont pas seulement célébré un accord. Ils ont retrouvé un bout d’eux-mêmes. Et dans le regard d’Émilienne, dans ses silences chargés d’histoire, c’est tout un peuple qui a pleuré son passé… et chanté son retour.
Publicité
Publicité
Les plus récents




