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Canne à sucre
Une bio-usine aux multiples exploitations et un potentiel d’innovation pour l’avenir
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Canne à sucre
Une bio-usine aux multiples exploitations et un potentiel d’innovation pour l’avenir

Le développement de la filière canne à sucre et plus particulièrement, du rhum. C’est sur ce thème que l’International Trade Centre (ITC) a organisé, hier, une première conférence dédiée au rhum mauricien à l’Espace Ernest Wiehe du Château de Labourdonnais. Cet événement s’inscrit dans le programme EU-ACP Business Friendly, financé par l’Union européenne (UE) et l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACPS). Le but est de renforcer les chaînes de valeur du sucre et du rhum à Maurice et dans les Caraïbes tout en identifiant des leviers stratégiques, de partager des retours d’expérience, et de considérer les opportunités et les défis à venir. Cette conférence a marqué une avancée majeure dans le partenariat entre les acteurs du secteur et les instances internationales pour de nouvelles opportunités pour la filière sucre et rhum à Maurice, tout en renforçant la position du pays sur l’échiquier mondial de la production agricole et de spiritueux.
William Castro Rodriguez, Project Manager à l’ITC, a souligné qu’il s’agissait avant tout d’écouter les points de vue et les contributions de chacun, afin de réfléchir à la manière de collaborer pour renforcer la chaîne de valeur du sucre et du rhum. Oskar Benedikt, ambassadeur de l’UE à Maurice, a soutenu que tous les acteurs de l’industrie sucrière ont été mobilisés pour relever des défis majeurs tels que la compétitivité du marché, l’adaptation au climat et les coûts de production élevés. «Face aux enjeux mondiaux, il est essentiel de diversifier les sources de revenus du secteur sucrier en développant des produits à valeur ajoutée et d’intégrer des pratiques agricoles durables, comme la réduction des engrais chimiques et une gestion efficace de l’irrigation.»
Oskar Benedikt a aussi précisé que l’intégration des énergies renouvelables, comme l’exploitation de la bagasse, permettrait de réduire l’empreinte carbone et de contribuer aux objectifs énergétiques du pays. Il a conclu en soulignant qu’il fallait innover et s’adapter aux demandes du marché. «Il est nécessaire que le sucre produit à Maurice soit de la plus haute qualité et réponde aux normes internationales les plus élevées. C’est sans aucun doute le cas, mais il faut faire des efforts constants pour s’adapter à l’évolution du marché. Les certifications, telles que l’agriculture biologique et l’accréditation de durabilité, peuvent ouvrir de nouveaux marchés et garantir que le sucre mauricien occupe une place de choix.» Il est d’avis que c’est en misant sur la diversification, la durabilité et l’innovation que Maurice assurera la pérennité de sa chaîne de valeur du sucre localement.
Jean Claude Autrey, General Secretary de l’International Society of Sugar Cane Technologists (ISSCT), a estimé que cette première conférence aura des retombées significatives et permettra d’être plus confiants dans l’avenir de l’industrie de la biomasse renouvelable. Selon lui, il est important de considérer que la canne à sucre est une bio-usine, produisant non seulement du sucre, mais aussi de l’énergie sous forme d’électricité et d’éthanol, du biogaz et des biofertilisants, ainsi qu’une multitude de produits chimiques (ou sucro-chimie). «Il nous faut, pour progresser, voire pour notre survie dans un monde excessivement compétitif, changer de palier. Pour cela, nous devrions poursuivre nos talents d’innovateurs en prenant avantage par exemple des avancées qui pourraient résulter de l’application du génie génétique et des technologies, comme l’édition du génome ou le gene editing, qui augmenteraient le potentiel de nos variétés, et aussi les avancées associées à l’intelligence artificielle que nous exploitons depuis quelques années à travers l’agriculture de précision par exemple. Aujourd’hui, nous sommes concernés par la valeur ajoutée. Il faut prendre avantage des résultats de nos projets de recherche, par exemple, sur les bioplastiques, pour les porter à un niveau industriel et entrer dans des applications pratiques telles que les dispositifs prothétiques chirurgicaux.» Il a fait ressortir que l’UE, par le biais de l’ITC, offre des possibilités et des outils à cette fin.
[Première conférence sur le rhum mauricien organisée par l’International Trade Centre pour discuter du développement de la filière canne à sucre et du rhum, hier.]
Pour sa part, Arvin Boolell, ministre de l’Agro-industrie, a annoncé qu’une feuille de route sera bientôt présentée pour définir les actions à entreprendre dans le secteur de l’industrie sucrière. «Il est essentiel d’ajouter de la valeur à ce secteur. Lorsque l’on dépoussière les recherches, on constate que le potentiel est immense. Il faut se tourner vers des produits porteurs comme le rhum. Avec le démantèlement des protocoles, il n’est plus nécessaire d’avoir peur d’utiliser le jus de canne pour produire du rhum. Nous voulons redynamiser le secteur en renforçant la recherche, le développement et l’innovation. Mais avant tout, il est crucial d’avoir une forte symbiose entre toute la communauté des planteurs : petits et grands planteurs ainsi que les corporates.» Au dire du ministre, il est temps de changer de mentalité. «Nous prônons une approche participative et collective, fondée sur des résultats mesurables.» Il a insisté sur la collaboration des chercheurs, des opérateurs économiques et de toutes les parties prenantes pour ouvrir de nouveaux horizons dans ce secteur.
Culture multifonctionnelle
La canne à sucre ne se limite pas au sucre ; elle est multifonctionnelle. Elle permet de créer des emplois, de générer des recettes d’exportation nettes, d’éviter l’utilisation de combustibles fossiles, de produire de l’électricité à moindre coût, de séquestrer le carbone, d’alimenter et de préserver les sols, et de favoriser le tourisme, entre autres. Il a été démon- tré qu’une expansion importante de la canne à sucre a toute son importance à l’ère du réchauffement climatique, a soutenu Jean Claude Autrey. «C’est un acteur clé dans la résolution de divers problèmes de société. C’est une culture qui a un avenir très prometteur. (…) À l’île Maurice, la canne à sucre a façonné notre destin depuis son introduction en 1639 par les Hollandais, établie en tant qu’industrie par les Français, développée en tant que monoculture par les Britanniques. En 1968, elle représentait 30 % de notre PIB et 90 % de la valeur de nos exportations. Aujourd’hui, malgré la baisse, elle couvre encore 40 000 hectares sur notre île. Cela a un rôle socio-économique important. Face aux circonstances actuelles, l’industrie s’est réorganisée en se diversifiant avec le sucre spécial, le bioéthanol, la bioélectricité, les bio-engrais, le biogaz et bien sûr, le rhum.»
Histoire du rhum mauricien
Les îles des Caraïbes et les pays d’Amérique centrale sont les leaders du marché avec différents types de rhum. En ce qu’il s’agit de Maurice, en 1639, les Hollandais introduisirent la canne à sucre de Java, initialement cultivée à petite échelle pour produire de l’arak, une boisson fermentée. En 1710, à leur départ, les Hollandais produisaient 6 000 litres d’arak et 1 000 kilos de sucre, mais ils détruisirent les plantations et les infrastructures. Sous le régime français, la culture de la canne reprit lentement, avec la construction de la première sucrerie en 1740 et de la première distillerie en 1743 à Villebague. La qualité du rhum produit, qui était de «mauvaise qualité», s’améliora au fil du temps.
En 1809, la France accorda à Maurice le droit exclusif de produire du rhum, nous distinguant ainsi de l’île de La Réunion. À la fin de la période française, Maurice comptait 89 usines produisant 4 000 tonnes de sucre et 300 000 litres d'arak, dont une partie était exportée. En 1830, Maurice comptait 135 distilleries, avec un accès à des marchés clés comme l’Angleterre, Madagascar, les Seychelles et l’Afrique de l’Ouest. Vers 1858, le ti lambic, une boisson fermentée à base de canne, fut produit, mais il fut interdit au 20e siècle. Au début de ce siècle, des réformes causèrent un déclin de la production de rhum, réduite à une quarantaine de distilleries. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la production de rhum augmenta pour approvisionner les soldats.
Dans le cadre du programme de réforme de l’industrie en 2006, la loi fut amendée, permettant aux distilleries à base de jus de canne de se mettre en opération. Aujourd’hui, Maurice compte trois distilleries produisant du rhum à partir de mélasse : Grays Inc., Medine et Omnicane. Quatre autres uti- lisent le jus de canne, à savoir la Rhumerie de Chamarel et celle de Saint-Aubin, la Distillerie de Labourdonnais et Oxenham. Une cinquième d’Omnicane sera bientôt opérationnelle. «Maurice est désormais connu pour ses rhums diversifiés de qualité», a déclaré Jean Claude Autrey.
En plus du rhum traditionnel à base de mélasse et du rhum agricole à base de jus de canne, Maurice produit également du rhum arrangé, infusé d’épices ou de fruits pour offrir de nouvelles saveurs. Depuis 2010, les exportations de rhum de Maurice ont presque doublé. En 2023, selon le World Integrated Trade Solution, Maurice a exporté environ cinq millions de litres de rhum, générant une recette de près de USD 7 millions, avec des destinations principales comme la France, l’Espagne, les Seychelles et le Royaume-Uni. Le rhum mauricien continue de consolider sa position sur le marché mondial des spiritueux.
«Le rhum dans les Caraïbes est majoritairement produit à partir de la canne bleue. Nous devrions évaluer nos variétés de canne, qui pourraient être supérieures à la canne bleue, ce qui nous permettrait de produire un rhum de meilleure qualité et d’être compétitifs sur le marché. Ce n’est là qu’une des nombreuses pistes à explorer. Toutefois, il s’agit de rivaliser avec les meilleurs, tant dans le secteur du sucre que dans celui des dérivés», a précisé Jean Claude Autrey.
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