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Accord sur les Chagos
Un symbole historique… mais sans véritable impact budgétaire immédiat
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Accord sur les Chagos
Un symbole historique… mais sans véritable impact budgétaire immédiat

Après six décennies de lutte, Maurice a officiellement recouvré sa souveraineté sur l’archipel des Chagos. Ce tournant historique a été formalisé par un accord signé virtuellement, le 16 mai, entre le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam, et son homologue britannique, Keir Starmer. En plus de la reconnaissance pleine et entière de la souveraineté de Maurice, l’accord prévoit un package financier de GBP 3,4 milliards (environ Rs 170 milliards), étalé sur 99 ans. Mais derrière le caractère historique de cette victoire, une question centrale émerge à l’approche du Budget : le premier versement de Rs 10 milliards attendu cette année changera-t-il véritablement la donne budgétaire pour Maurice ?
Le Premier ministre et ministre des Finances, Navin Ramgoolam, assisté de son junior minister, Dhaneshwar Damry, se prépare à présenter un premier Budget sous haute surveillance le 5 juin. La conjoncture est délicate : un déficit budgétaire estimé à Rs 70 milliards et un ratio de dette publique frôlant les 90 % du produit intérieur brut (PIB) constituent un double défi pour la nouvelle majorité. Les attentes sont immenses : réduction de la dette, relance de l’investissement, mesures de justice sociale, maîtrise de l’inflation et amélioration du pouvoir d’achat.
C’est dans ce contexte que survient l’annonce du Chagos Deal, avec un premier décaissement prévu de GBP 165 millions dès cette année. Un montant qui, à première vue, pourrait être interprété comme une aubaine. Mais en y regardant de plus près, cette manne financière, bien que symbolique, ne modifiera en rien l’équation budgétaire complexe que devra résoudre l’Hôtel du gouvernement.
Avec un PIB estimé à environ Rs 725 milliards, le montant du premier versement représente à peine 1,3 % du PIB. Rapportées à la taille du déficit prévu cette année, les Rs 10 milliards du Chagos Deal couvrent à peine 14 % du gap budgétaire. Cela signifie concrètement que la différence devra être comblée par des mesures classiques : emprunts, réductions de dépenses ou hausses de revenus.
Autrement dit, cette somme est loin d’être un «game changer» : elle n’élargit pas la marge de manœuvre du ministre des Finances, ni ne lui donne les moyens d’une relance vigoureuse ou d’un soulagement fiscal massif durant la première année. Elle est surtout présentée comme un appui à des projets spécifiques : infrastructures dans la zone maritime, développement durable dans l’archipel, relogement des Chagossiens. Ce n’est donc pas une enveloppe budgétaire totalement libre d’emploi.
En effet, le financial package britannique est structuré sur plusieurs phases et répond à des objectifs stratégiques précis : en phase 1 (années 1-3), GBP 165 millions par an (Rs 10 milliards), ciblés sur les capacités institutionnelles, la souveraineté maritime et les infrastructures ; phase 2 (années 4–13) : GBP 120 millions annuels pour des projets de développement durable, la recherche scientifique et les droits des Chagossiens ; et phase post-année 13, versements annuels ajustés selon le GDP deflator britannique (inflation). (Voir tableau ci-contre)
Il ne s’agit donc pas d’un transfert financier libre, mais d’un soutien lié à des usages définis d’un commun accord. Toute tentative de dévier ces fonds vers d’autres usages nécessiterait des renégociations diplomatiques ou des amendements contractuels complexes.
Illusion d’une aisance temporaire
Certains observateurs craignent que cette manne soit mal interprétée dans l’opinion publique. Il pourrait y avoir une tentation politique de présenter le Chagos Deal comme une victoire budgétaire – alors qu’il ne résout pour le moment aucun des problèmes structurels des finances publiques. Pire : il pourrait créer une illusion d’aisance temporaire, incitant à repousser des réformes douloureuses mais nécessaires, notamment en matière de subventions, de retraites ou de consolidation fiscale. Hier, lors de la conférence, aussi bien le Premier ministre que le Deputy Prime Minister, Paul Bérenger, ont rappelé le contexte économique dans lequel ce premier Budget sera présenté.
Autre inquiétude soulevée par certains économistes : l’impact potentiel sur l’inflation. Injecter Rs 10 milliards dans l’économie en peu de temps, sans contrepartie productive immédiate, pourrait accentuer les pressions inflationnistes. Dans un pays déjà fragilisé par des hausses de prix persistantes et une monnaie sous tension,cette injection de liquidités pourrait renforcer les déséquilibres entre l’offre et la demande.
D’où la proposition de certains de placer ces fonds dans un fonds souverain national. Ce mécanisme permettrait de capitaliser cette rente exceptionnelle pour financer, sur le long terme, des projets de transformation économique, d’innovation ou de transition énergétique.
Au final, le véritable apport de l’accord du Chagos est moins financier que géostratégique. Il permet à Maurice de retrouver son intégrité territoriale, de renforcer sa légitimité maritime dans l’océan Indien et d’ouvrir un nouveau chapitre diplomatique avec le Royaume-Uni. Ce rapprochement offre des perspectives en matière de commerce, de sécurité maritime, de coopération climatique et de partenariats scientifiques.
Car au-delà de la somme ellemême, cet accord marque surtoutle début d’une relation économique repensée entre Londres et Port-Louis. Le Royaume-Uni entend désormais positionner Maurice comme un partenaire privilégié dans la région indopacifique, dans un contexte géopolitique en recomposition. Avec notamment des axes de coopération comme le codéveloppement d’infrastructures bleues (ports, recherche marine, énergie océanique) et la consolidation des relations commerciales bilatérales chiffrant aujourd’hui à GBP 1,2 milliard annuellement.
Ce repositionnement est stratégique : Maurice passe d’un statut d’ancien territoire disputé à celui d’allié diplomatique et économique dans l’océan Indien. Il y a là des retombées à long terme bien plus importantes que la seule somme immédiate.
Du coup, pour l’immédiat, le tandem Ramgoolam-Damry aurait tort de capitaliser politiquement sur une ressource qui, bien que significative symboliquement, ne transforme pas les paramètres budgétaires immédiats.
Le vrai défi réside ailleurs : réformer la dépense publique, diversifier les sources de croissance, moderniser l’État et retrouver une trajectoire soutenable de la dette. C’est à ce prix que Maurice pourra réellement retrouver sa souveraineté économique, au même titre que sa souveraineté territoriale.
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