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Interview
Sydney Pierre : «Aujourd’hui la MTPA est dépassée»
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Interview
Sydney Pierre : «Aujourd’hui la MTPA est dépassée»

Sydney Pierre, «Junior ministre» du tourisme et deputy secretary general du parti travailliste.
À travers un discours lucide et ancré dans l’expérience, le jeune ministre délégué au Tourisme partage sa vision d’un secteur en mutation. Dans un contexte post-COVID encore fragile, Sydney Pierre plaide pour un repositionnement stratégique de la destination Maurice, au-delà du traditionnel «Sea, Sun and Sand». Il évoque les défis du marketing touristique, l’importance de raviver l’hospitalité mauricienne et le besoin urgent de réformer des institutions comme la MTPA. S’il se défend encore d’être un homme politique, il assume pleinement sa volonté de changement.
🟦Depuis votre nomination, comment vivez-vous vos débuts en tant que junior ministre du Tourisme ?
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai accepté cette responsabilité. Comme beaucoup, j’ai commencé ma carrière en pensant à mes objectifs professionnels, mais jamais je n’aurais imaginé me retrouver un jour au ministère du Tourisme, en tant que ministre délégué.
Je prends cette nomination avec une grande humilité. Après m’être engagé en politique et dans le secteur du tourisme, il me semble naturel de contribuer à cette industrie au plus haut niveau de l’État, surtout dans un contexte mondial marqué par de nombreuses secousses.
🟦Dans quelle optique le tourisme demeure-t-il un secteur stratégique ?
Le tourisme est l’un des piliers majeurs de notre économie. Il représente un peu moins de 9 % de notre produit intérieur brut (PIB), mais sa contribution dépasse largement ce chiffre. L’impact du secteur s’étend à de nombreuses autres industries, de manière directe et indirecte.
La crise de la COVID-19 en est la preuve la plus frappante. Lorsque les hôtels ont dû fermer, c’est toute une chaîne qui s’est effondrée : même la production agricole locale s’est retrouvée en surplus, faute de débouchés. De nombreuses familles et entreprises ont souffert. Cela nous a rappelé à quel point le tourisme est vital pour notre pays.
Il ne faut pas oublier que des milliers de familles vivent de cette industrie. De plus, le secteur génère des devises étrangères importantes, puisque la majorité des hôtels facturent en devise, selon le marché d’origine des visiteurs.
C’est précisément pour cela qu’il est essentiel de mettre en place une stratégie claire et structurée pour soutenir et faire évoluer ce secteur. Lorsque le tourisme est en difficulté, c’est toute l’économie nationale qui en ressent les effets.
🟦Comment se passe la collaboration avec le ministre Richard Duval et dans quel état avez-vous trouvé votre ministère ?
Comme vous le savez, certaines enquêtes sont toujours en cours, notamment concernant la MTPA. Je ne souhaite donc pas m’exprimer davantage sur ce sujet.
En ce qui concerne ma collaboration avec le ministre Richard Duval, elle se passe très bien. Nous avons une bonne entente et échangeons régulièrement. Même si, en raison de nos emplois du temps respectifs — entre les séances parlementaires et les journées consacrées aux rencontres avec nos mandants — nous ne nous voyons pas tous les jours, nous restons en contact constant.
Le ministre me confie des responsabilités concrètes. Actuellement, nous préparons la basse saison. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de présider plusieurs réunions avec le secteur privé. Le tourisme est un travail de fond, de longue haleine. Et sans vouloir esquiver votre question, je dirais simplement qu’un certain nombre d’institutions liées au tourisme méritent aujourd’hui d’être repensées en profondeur.
🟦Quel est actuellement le marché touristique le plus représentatif pour Maurice ?
La France reste, depuis de nombreuses années, notre premier marché émetteur. Elle est suivie de près par La Réunion, même si ce marché a connu un recul ces derniers temps. Cela dit, avec la montée en puissance de la demande britannique, nous avons vu Air Mauritius lancer un vol quotidien au départ de Gatwick, ce qui illustre bien l’intérêt croissant pour notre destination.
La France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Afrique du Sud et l’Inde constituent nos marchés primaires, notre «bread and butter». Ce sont des marchés historiques que nous continuons de développer.
Cela dit, certains marchés ont enregistré une baisse, et il est important d’en comprendre les raisons. Lorsqu’un client décide de voyager, il entame ce qu’on appelle dans le jargon le customer journey. Il commence par se poser la question «Où aller ?», puis entame une phase de recherche, souvent en ligne, en discutant avec sa famille. Aujourd’hui, cette décision passe majoritairement par Internet, via des recherches sur mobile.
Le processus de décision peut s’étaler sur quatre à cinq mois. Or, à Maurice, le taux de «repeaters» — c’est-à-dire de touristes qui reviennent — est relativement faible. La plupart des visiteurs ne viennent qu’une seule fois. Il est donc crucial d’avoir une stratégie marketing continue pour attirer de nouveaux voyageurs.
Quand on observe une baisse de fréquentation, il faut l’analyser avec nuance. Par exemple, pour le mois de mars, certains ont pointé du doigt le gouvernement, mais il faut rappeler que, cette année, les vacances de Pâques ont eu lieu en avril. Comparer ces deux mois sans tenir compte de ce décalage saisonnier mène à des conclusions biaisées.
Mo pa pe dir kan li marse savedir nou bon e kan li pa marse savedir pa nou. Pa sa ki mo pe rod dir. Le tourisme repose avant tout sur le marketing — c’est ce qu’on appelle le pull factor, ce qui attire les visiteurs. Maurice, autrefois, faisait partie de ces destinations qui faisaient rêver, visibles dans les films, les campagnes internationales, et les productions culturelles. Aujourd’hui, je ne me souviens pas de la dernière vraie campagne fraîche lancée par le pays. La dernière en date, Feel the Island Energy, remonte à plus de deux ans. Depuis, nous n’avons eu que des reprises d’anciennes campagnes.
Si nous ne faisons pas de promotion, il ne faut pas s’étonner que les arrivées touristiques stagnent. Il fut un temps où la marque «Maurice» parlait d’elle-même. Aujourd’hui, des destinations comme Paris ou Milan ont un branding si puissant qu’elles évoquent instantanément une image forte dans l’esprit du consommateur. C’est exactement ce que nous devons reconstruire.
Le consumer behavior est ce qui déclenche l’acte d’achat. Et c’est à travers une communication stratégique qu’on parvient à le stimuler.
C’est dans cette optique que le ministre m’a demandé de présider un comité chargé de relancer notre image. Un appel d’offres a été lancé pour qu’une agence spécialisée nous accompagne dans la conception d’une nouvelle campagne. Ce ne sera pas une campagne entièrement neuve, car le temps nous manque pour produire de nouveaux visuels ou organiser des tournages. Nous allons donc utiliser des photos et vidéos existantes, en collaboration avec le secteur privé, notamment les hôtels représentés par l’AHRIM. Air Mauritius est également autour de la table.
J’aurais aimé pouvoir lancer une campagne totalement inédite, mais vu l’urgence, nous faisons au mieux avec les moyens et le temps dont nous disposons.
🟦Quand vous parlez du marketing de la destination Maurice, envisagez-vous de repenser l’image de l’île au-delà du classique «Sea, Sun and Sand» ?
Il faut revenir 30 ans en arrière pour comprendre. À cette époque, on ne parlait ni d’Airbnb ni de billets d’avion hors de prix. Il n’y avait pas non plus de crise de main-d’œuvre. Et surtout, on ne se comparait pas aux Seychelles ou aux Maldives. Ces destinations existaient, certes, mais elles n’étaient pas perçues comme des concurrentes. Maurice, à l’époque, c’était la destination idéale. Ce qui faisait notre force, c’était notre ADN : l’hospitalité mauricienne.
Cet esprit d’accueil coulait dans nos veines. Les touristes venaient pour cela. On anticipait leurs besoins, on les traitait avec attention. L’image que j’aime rappeler, c’est celle du client qui n’avait même pas besoin d’allumer sa cigarette : on le faisait pour lui. Et si une fourchette tombait, c’était à nous de la ramasser — sans attendre. Aujourd’hui, si cela arrive dans un hôtel, on doit parfois appeler plusieurs fois avant d’obtenir un service. Cela veut-il dire que nous avons perdu notre hospitalité ? Non. Elle est toujours là, mais nou bisin enn reglaz.
Alors oui, nous devons continuer à vendre le «Sea, Sun and Sand», car cela fait partie de notre attrait. Mais nous ne devons pas nous y limiter. Notre force, c’est aussi ce qu’il y a au-delà des plages : nos musées, nos marchés, nos sentiers, nos villages, nos tables d’hôtes, et surtout notre population. Le visiteur ne vient pas à Maurice pour rester enfermé dans un hôtel. Il cherche une expérience humaine, culturelle, authentique. Et c’est là que nous devons nous démarquer.
Il est donc impératif de diversifier notre offre touristique et de retravailler notre hospitalité à la racine. Cela ne passe pas forcément par de nouvelles formations ou des recrutements massifs, mais par un retour à nos fondamentaux. J’ai travaillé dans les hôtels, je sais de quoi je parle. Aujourd’hui, même si nous voulons que les jeunes travaillent dans ce secteur, beaucoup refusent. Pourquoi ? Parce que l’image des hôtels s’est dégradée à leurs yeux, tout comme l’image de Maurice s’est peut-être altérée aux yeux de certains visiteurs.
Pendant la COVID, de nombreuses personnes ont perdu leur emploi, et nous n’avions pas de fonds suffisants pour les soutenir. Ensuite est venu le revenge travel, qui a permis aux hôtels de se remplir et à l’économie de repartir.
Aujourd’hui, certains se tournent vers la facilité en recrutant des travailleurs étrangers pour combler les postes. Mais ce n’est pas une solution durable. Kan malad nou pran panadol pou pa gagn douler me bizin regle problem-la pou pa kontign pran panadol touletan.
🟦La présence de travailleurs étrangers dans les hôtels soulève certaines frustrations chez les Mauriciens, qui se retrouvent face à des employés ne parlant ni créole, ni leur langue. Cela peut donner l’impression qu’ils ne sont plus «chez eux»...
Ce ressenti ne touche pas que les Mauriciens. Un touriste, qu’il parle français ou anglais, vient à Maurice pour rencontrer… des Mauriciens. Il ne s’attend pas à passer son séjour entouré uniquement d’étrangers dans un hôtel all-inclusive. Parfois, le seul Mauricien qu’il croise est le chauffeur de l’aéroport — et encore, lui aussi peut être étranger. Ce n’est pas normal. Si un client vient à Maurice mais que Maurice n’est pas là, l’expérience perd tout son sens.
Je vous rassure, ce problème est pris en compte. Le ministre Richard Duval travaille à redonner un rôle central à l’École hôtelière. Tout commence par la formation. Il faut qu’un jeune entrant dans le secteur puisse voir une vraie trajectoire de carrière. On doit relancer les académies dans les hôtels, qui formaient des employés compétents et motivés.
Il est aussi temps de changer de regard sur les recrutements : même sans HSC, un jeune peut être un excellent serveur. Il faut revaloriser les métiers de l’hôtellerie, les rendre attractifs pour notre jeunesse. On ne doit pas seulement vendre Maurice comme destination, mais vendre le tourisme comme une filière d’avenir pour les Mauriciens.
La promotion de Maurice ne peut se limiter aux plages. L’aspect culturel doit être pleinement intégré, y compris nos musées — même ceux laissés à l’abandon.
Maurice est un pays riche en valeurs, cultures et histoires. Au-delà des bâtiments en ruine, nous avons un héritage linguistique, des vieilles boutiques, des lieux de mémoire qui font partie intégrante de notre identité. Les différents peuples venus à Maurice ont laissé leur trace, et il est essentiel de construire un récit autour de cela — un vrai storytelling, comme on le dit en marketing.
Malheureusement, nous nous sommes trop longtemps arrêtés au «Sea, Sun and Sand» sans approfondir l’âme du pays. Par exemple, beaucoup de jeunes ignorent même l’origine du nom Curepipe — lieu où les Français s’arrêtaient pour curer leur pipe.
Nous devons aussi relever des défis cruciaux : la propreté, la qualité de l’accueil, et la transmission du patrimoine. Le tourisme repose sur trois piliers : le produit, le marketing et l’accès aérien.
🟦Avez-vous repensé votre stratégie marketing face à l’essor des plateformes digitales ?
Comme le disent les Anglais : «Let’s go and gush where the fishes are». Il faut savoir où se trouve le client, l’étudier, et mettre en place les bonnes stratégies pour capter son attention. Aujourd’hui, cela passe inévitablement par le digital.
Mais force est de constater que le branding de Maurice a connu plusieurs faux pas. Il y a deux ans, le slogan «Maurice, c’est un plaisir» a suscité des critiques à cause de ses connotations sexuelles mal perçues à l’international. Ensuite, nous avons vu émerger des intitulés comme «Mauritius Sus Island» ou «Sus Mauritius», qui ont prêté à confusion et nui à l’image du pays.
Le marketing, c’est comme la pêche : tout dépend de l’appât qu’on utilise pour attirer le bon poisson. Et aujourd’hui, il faut des spécialistes capables de concevoir des campagnes ciblées, créatives et adaptées au digital.
Quant à la MTPA, il faut le dire : elle est dépassée. À l’origine, il y avait un autre véhicule de promotion, puis la MTPA a pris le relais. Mais aujourd’hui, si cette agence remplissait son rôle, je n’aurais pas eu à lancer un appel d’offres pour une nouvelle campagne. Cela montre clairement un manque de compétence et d’adaptation.
La MTPA doit être revampée avec des professionnels qui comprennent les enjeux du numérique, qui savent travailler avec des créateurs de contenu, et qui sont en phase avec les codes actuels du marketing.
🟦Quel est l’apport concret des foires internationales pour Maurice, notamment en termes de chiffres ?
Il ne faut pas toujours évaluer cela uniquement en termes de chiffres. Il existe de grands salons internationaux, comme le World Travel Market, où la présence de l’île Maurice est indispensable. L’important, c’est de savoir où être présent et pourquoi, en fonction de nos objectifs stratégiques.
Ces foires permettent non seulement de renforcer notre visibilité auprès des tour-opérateurs, mais aussi d’ouvrir la porte à d’autres opportunités comme les tournages de films internationaux – par exemple pour Netflix.
🟦Doit-on s’attendre à un cadre fiscal incitatif, comme des tax rebates ou subventions ?
Oui, c’est en réflexion. Le développement durable n’est plus un luxe, mais une nécessité. Certains clients refusent, par exemple, la présence de bouteilles en plastique. Les marchés surveillent de près le niveau de durabilité des destinations.
Il est aussi temps de diversifier notre offre, notamment à travers le tourisme expérientiel, qui fonctionne déjà dans plusieurs pays. La sécurité reste également une priorité. Le ministre Duval a annoncé une collaboration avec la police, car l’hospitalité commence par un environnementsûr, même si la présence policière sur les plages doit rester discrète.
🟦La MIC a-t-elle eu un impact sur le secteur du tourisme ?
La MIC a été créée après le COVID comme un véhicule de soutien économique, et elle a effectivement injecté des fonds dans le secteur touristique. Malheureusement, certaines dérives ont été constatées, et des abus ont eu lieu. Je préfère ne pas m’étendre là-dessus car des enquêtes sont en cours.
🟦Et pour les touristes de croisière, des mesures sont-elles prévues ?
Oui, nous travaillons à améliorer nos capacités d’accueil, car même les touristes en court séjour génèrent des retombées économiques importantes. Cela dit, les dépenses par passager ont baissé ces dix dernières années, et il faut agir pour revaloriser cette expérience.
🟦Avez-vous une idée du temps nécessaire pour redresser tout ce que vous avez évoqué ?
C’est un travail graduel, mené en collaboration étroite avec les acteurs du secteur. Nous sommes à l’écoute, et des signes de changement sont déjà visibles, notamment en matière de sécurité et d’indépendance policière. Aujourd’hui, le peuple n’a plus peur, et on ne parle plus de planting. L’économie reste fragile, mais je veux que Maurice refasse rêver, malgré les défis.
🟦Certains s’interrogent sur le traitement différencié des arrestations par la FCC, notamment celles de figures politiques comparé à des «ti dimounn»…
Je vous arrête tout de suite. Nous sommes dans un État de droit. Chacun, quelle que soit sa position, a droit au même respect de ses droits. La FCC agit de manière indépendante, et c’est ce qui renforce la confiance dans notre système. On a adopté des lois pour garantir que tous soient traités équitablement.
🟦Vous dites souvent «sans vouloir faire de la politique»… Vous ne vous considérez pas encore comme un politicien ?
Mo pankor enn politisien. Peut-être dans quelques années, vous me reposerez la question. Pour l’instant, je suis pragmatique, je fais de la politique pour amener du changement. Je suis un enfant du sol, et si j’ai pu arriver là où je suis, c’est grâce à l’éducation gratuite. Peut-être que sans cela, je ne serais pas là aujourd’hui.
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