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Interview
Steven Obeegadoo : «Ena bann nouvo chatwa»
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Interview
Steven Obeegadoo : «Ena bann nouvo chatwa»

Steven Obeegadoo, ancien DPM et leader de la Plateforme militante.
Cette semaine, l’émission Décryptage reçoit Steven Obeegadoo, ancien ministre et leader engagé de la Plateforme militante. Il revient sur les récentes élections, les défis économiques et sociaux qui secouent le pays, ainsi que son regard critique sur les décisions du gouvernement actuel. Entre analyses politiques et appel à l’engagement citoyen, il livre sa vision pour l’avenir du pays.
Quelles sont les nouvelles de la Plateforme militante ?
Je tiens à rappeler que la Plateforme militante est une plateforme créée en 2018, suite à mon exclusion, ainsi qu’à la démission du MMM de Françoise Label, Pradeep Jeeha et d'autres. Ensuite, nous avons fait le choix de rejoindre le MSM pour les élections de 2019, et nous avons gouverné ensemble pendant cinq ans. Depuis la défaite, nous sommes passés dans l'opposition. Nous avons sept mois pour nous réorganiser et nous renforcer. Aujourd’hui, nous sommes en très bon état, car nous sommes d'abord un groupe de militants. Nou ena bann konviksion, bann ideolozi. Nou pa la pou zistifie tou seki gouvernman inn fer depi 2019 ziska 2024, ni pou kritik tou seki nouvo gouvernman pe fer. Notre mouvement est aussi une force de proposition. Aujourd'hui, nous nous sommes remis au travail pour faire un bilan sur l'état de l'économie. J’ajoute que nous avons une structure, et que nous sommes une plateforme nationale et régionale, notamment à Curepipe, Vacoas, entre autres.
Êtes-vous toujours en alliance avec, et en bons termes avec, le MSM ?
Vous savez, les alliances sont conclues en vue des élections générales, surtout lorsqu'on sait que nous avons des points communs. Après les élections, chacune des composantes de l’alliance retrouve sa liberté d’action. Néanmoins, je continue d’entretenir des relations cordiales avec les membres du PMSD, du MSM et au-delà.
Nous avons vécu des élections historiques, surtout avec un 60-0. Avez-vous pu faire une autopsie de ces élections ?
C’est une question qui demande beaucoup de temps, mais je vais tenter d’y répondre. J’estime qu’il y a eu des erreurs. D’ailleurs, je le dis bien : si un gouvernement a perdu des élections, c’est qu’il y a eu des erreurs. Mais le bilan du gouvernement est globalement positif, surtout quand on parle du fait d’être resté aux côtés de la population pour faire face à la pandémie.
Aujourd’hui, quand je regarde le nombre de personnes qui sont mortes de la Covid, le nombre de personnes qui l’ont contractée, et surtout quand je vois que l’Organisation mondiale de la santé et d’autres institutions ont reconnu que la pandémie avait été très bien gérée par le gouvernement mauricien, c’est un signal fort. Il y a aussi tout ce que notre gouvernement a mis en place pendant cette période : pour que tout le monde puisse manger, pour que nos aînés continuent à recevoir leur pension, ou encore avec le Wage Assistance Scheme. Nous n’avons pas connu de vague de licenciements. On a tout mis en œuvre pour protéger la population. Le premier élément que je retiens, c’est l’action menée par le gouvernement pendant la pandémie. À ce sujet, j’entends beaucoup de critiques concernant l’utilisation des fonds de la Banque de Maurice ou de la MIC, accusés d’avoir été utilisés à mauvais escient. Mais ces fonds ont été mobilisés pour le peuple. Bien sûr, je ne nie pas qu’il puisse y avoir eu des dérapages — une enquête est en cours —, mais globalement, cette mobilisation a été cruciale. Le deuxième point, c’est la reprise économique post-Covid. Pena kriz ekonomik dan Moris. Nou finn viv de period resesion dan lane 79/80 : premie gran resesion, ek apre sa, period COVID. Ce sont les deux grandes récessions de notre histoire. À cette époque, nous n’avons pas dit que l’économie était à genoux, qu’il fallait couper les pensions, les salaires ou les allocations sociales. Non. Nous avons fait le contraire : nous avons aidé les plus vulnérables et stimulé l’économie. Après la pandémie, il y a eu une reprise à tous les niveaux. Le bilan est donc, encore une fois, globalement positif, même si cela a nécessité d’importantes dépenses pour remonter la pente. Peu importe quel gouvernement aurait été élu, il aurait dû assainir les finances publiques et rembourser la dette extérieure. Et pour cela, la seule solution, c’est la croissance. Un autre point : le tourisme. Les analyses financières, notamment en matière d’inégalités sociales et de recul de la pauvreté, montrent des avancées. Toutes les statistiques officielles reconnues à l’international confirment que nous avons beaucoup progressé, malgré la pandémie. Il y a aussi le logement : nous avons construit le plus grand nombre de maisons, là où d’autres gouvernements n’ont rien construit. Il y a le métro, que tout le monde utilise aujourd’hui. Et la diplomatie mauricienne, notamment sur le dossier des Chagos, avec un accord mis en place avec la Grande-Bretagne. Je considère que notre gouvernement a un bilan positif, et c’est ce même bilan qui faisait qu’à la veille des élections, les sondages nous donnaient gagnants. Bann kamarad Travayis, MMM, dir mwa ziska rant dan kampagn elektoral zot ti ena enn gro dout si zot ti pou kapav zet gouvernman. Et puis, la campagne électorale démarre. Je considère que nous avons mené une très mauvaise campagne. Les problèmes ont commencé dès le choix des candidats. La communication aussi a été très mauvaise. Il y a eu une série d’erreurs stratégiques. Et puis est arrivé Misie Moustas…
Comment pensez-vous que «Misie Moustas» a impacté ces élections ?
Misie Moustas est venu révéler des choses qui, si elles sont fondées, indiquent des dérives graves. Pour moi, c’est ça qui a été le tournant. Ensuite, une erreur fondamentale : l’interruption de certains réseaux sociaux. Sa finn touy lalians Pravind Jugnauth dan eleksion. Dimounn inn al vot avek laraz kont nou lekip. Zot pa ti oule sa mem gouvernman-la revini. Ce n’était pas un vote d’adhésion massif au PTr/MMM, mais plutôt une véritable surenchère autour de la pension, de la baisse des prix, etc. Le peuple n’a pas regardé les acquis, les bilans ou les personnalités… Je reconnais bien sûr cette défaite, ce 60-0. Mo enn militan. Mo abitie ar viktwar ek defet.
Vous étiez présent à la marche contre la réforme du système de pension à Port-Louis. Pourquoi revenir sur le devant de la scène maintenant, et quel accueil avez-vous reçu des syndicats et des manifestants en général ?
Après une élection, je considère que c’est un devoir démocratique de laisser à un nouveau gouvernement un temps pour se mettre en place. Un «temps de grâce» de cent jours. C’est aussi une marque de respect envers les électeurs. Le but n’est pas que l’opposition critique le gouvernement dès le premier jour. On leur laisse un peu de temps pour voir ce qu’ils vont faire. Pendant ce temps, nous faisons notre travail en interne : on rencontre nos mandants, on s’organise, et on observe ce que le gouvernement met en place. Mais aujourd’hui, cela fait déjà sept mois et demi — soit plus d’un dixième de mandat — et nous voyons émerger un discours dominant : «Lakes vid, tou bann avan-la bann voler, bizin met zot dan prison.» Ce discours est désormais porté par ce que j’appelle «bann nouvo chatwa». Avant, on appelait ainsi ceux qui soutenaient aveuglément le gouvernement, mais aujourd’hui un nouveau phénomène est apparu : ceux qui estiment que tout ce que fait le gouvernement est forcément bon. J’ai aussi observé que, mis à part les enquêtes individuelles menées par la FCC, beaucoup de propos graves ont été tenus sans suite : On disait que les élections de 2019 avaient été truquées, que des Bangladais avaient voté, que c’est pour cela que nous avions gagné… Alors pourquoi, maintenant qu’ils sont au pouvoir, ne demandent-ils pas une enquête ? Pourquoi continuer avec le même système électoral et surtout le même commissaire électoral ? Bann lanket pa pe fer . Ti dir ena baz indien lor Agalega. Kot li ete ? Inn fonn ? Larzan Arabie saoudite ti dir gouvernman inn kokin ? Wakashio ti dir Pravind Jugnauth inn fane ? Pa fer lanket ? Zafer Kistnen ti dir asasina, zafer sniffing, pa fer lanket ? Et puis, il y a eu le budget. Le budget, c’est l’épreuve de vérité, le moment où le gouvernement présente non seulement son bilan pour l’année écoulée, mais aussi sa vision pour l’avenir. Ce budget a, selon moi, provoqué beaucoup de déceptions et de trahisons. C’était donc le bon moment pour moi de m’exprimer à nouveau publiquement.
Justement, que pensez-vous du budget ? Quelles sont vos impressions ?
C’est une grande déception. J’aurais été le premier à applaudir si ce budget avait été bon. Depuis 2021, nous sommes dans une logique de relance, liée aux conséquences de la pandémie. On subit encore aujourd’hui le contrecoup de la Covid. Et nous sommes à un tournant : comment générer une croissance économique forte, sans laquelle il est impossible de faire progresser la population ? Juste avant la pandémie, Maurice était classé comme un «pays à haut revenu». On s’attendait donc à ce que le gouvernement propose un budget structurant : un budget pour soutenir les exportations, redresser les finances publiques et aider les familles à faire face au coût de la vie. À la place, on a un budget qui est catastrophique sur le plan social : l’âge de la pension est relevé, s’inscrivant dans une logique d’austérité ; l’éducation redevient payante ; et le budget alloué à la santé est insuffisant, comme l’ont reconnu certains ministres eux-mêmes. Bref, socialement, le budget est mauvais, et économiquement, il manque clairement d’ambition. Le dernier rapport de Moody’s le confirme : il souligne que ce budget ne permettra probablement pas d’atteindre ses objectifs, qu’il risque de peser sur le pouvoir d’achat des citoyens, et que les nouvelles taxes pourraient freiner la demande économique. Les perspectives sont donc préoccupantes… mais j’espère avoir tort, car je reste un patriote.
Le gouvernement actuel évoque souvent «Lakes vid». Qu'en pensez-vous?
Ce n’est pas nouveau. Déjà en 82, le MMM avait adopté la même stratégie. À l’époque, les membres avaient publié un document intitulé The State of the Economy. Ce genre de document sert souvent de prétexte pour justifier une politique d’austérité. Ce sont les plus vulnérables qui souffrent dans tout ça. C'est une technique.
Et cette mesure de pension controversée, pensez-vous qu’elle était nécessaire ?
Le gouvernement est venu annoncer que si, en janvier, votre père devait avoir 60 ans, il devra désormais attendre pour toucher sa pension. C’est profondément injuste. En termes absolus, ce sont les plus vulnérables qui sont touchés. Aujourd’hui, une personne qui gagne Rs 150 000 par mois peut s’en sortir, même si on lui dit qu’elle ne recevra pas cette pension en janvier. Mais quelqu’un qui vit avec peu de moyens, lui, dépend entièrement de cette pension. Pour lui, cela fait toute la différence. Deuxièmement, c’est brutal. Dans quel pays démocratique annonce-t-on, en juin, à une personne qu’elle ne touchera pas sa pension en janvier ? Dans toute démocratie, une réforme des retraites se fait progressivement, par paliers, avec une période de transition. Ici, non. Une mesure imposée, sans dialogue, par un gouvernement qui agit avec arrogance, fort de son 60-0. Ce gouvernement fait l’exact contraire de ce qu’il avait annoncé. Si koumsa, mo rant dan enn eleksion, mo dir seki mo le ek apre mo fer lekontrer. Il n’y a pas eu de véritable dialogue social. J’ai été choqué d’entendre le ministre de la Sécurité sociale, à la radio, dire qu’il n’avait pas été consulté et qu’il n’était pas au courant de cette mesure. À sa place, j’aurais démissionné. C’est un manque de respect. Les ministres membres du comité ministériel devraient même remercier les syndicats. C’est grâce à leur mobilisation qu’ont été créés deux comités pour revoir la mesure. Sans eux, il n’y aurait rien eu. C’est une décision anti-démocratique. Je reconnais qu’il faut une réforme du système de pension. Cela fait longtemps qu’on en parle. Les rapports de la NPF le soulignent : il faut être prudent, car notre population vieillit.
Au Parlement récemment, Shakeel Mohammed, ministre du Logement, a évoqué un morcellement à Roches-Brunes — un projet du groupe Médine situé en face de la maison de Padayachy — vivement critiqué par le ministre des Terres. Qu’avez-vous à dire sur ce projet ?
Merci, car je n’étais pas au courant, et le ministre lui-même le reconnaît dans son discours. S’il y a eu un manquement, il faut une enquête. Tout le monde doit rendre des comptes — y compris les hommes politiques. Que ce soit Navin Ramgoolam, dans l’affaire des coffres-forts, Pravind Jugnauth, contre qui il y a eu des allégations graves, ou aujourd’hui Padayachy, nul ne doit être au-dessus de la loi. Je ne comprends pas pourquoi les enquêtes prennent autant de temps. Quand une enquête est ouverte, on doit établir les faits, recueillir des preuves, examiner les allégations. C’est normal que cela prenne du temps, mais parfois cela dure des années. Et souvent, sous tous les gouvernements, les enquêtes n’ont pas été menées correctement. Les personnes concernées sont jugées sur les réseaux sociaux, sans qu’il y ait de procès en bonne et due forme. Non. Il faut des enquêtes sérieuses, menées devant les tribunaux, avec des procédures équitables et publiques. Malheureusement, on voit encore des cas où l’on se contente de provisional charges Je croyais que le nouveau gouvernement allait changer cela. Je pense que l'enquête doit se faire vite et laisser entre les mains du DPP qui tranchera si besoin.
Et le ministre Richard Duval au parlement parle de Rs 7 millions dépensées pour vos déplacements à l’étranger. Une réaction ?
C’est d’une lâcheté ! La question a été posée au ministre Richard Duval, et au lieu d’y répondre, il a préféré jeter la boue sur son prédécesseur. Il m’a attaqué alors que je ne suis même pas au Parlement pour me défendre. Il s'est servi de cette question pour me salir publiquement, parce qu’il sait que ça va faire parler dans les médias. Mais c’est lâche. Moi, je suis au parlement depuis 1991 et je n’ai jamais fait ça.
Pendant mon mandat, j’ai effectué plusieurs missions à l’étranger, à la demande du Premier ministre, pour représenter le pays dans des forums internationaux. En tant que ministre du Tourisme, j’ai permis à Maurice d’accéder à des postes de prestige : vice-présidence de l’Organisation mondiale du tourisme, présidence de la Confédération africaine du tourisme. Jugez-moi pour ce que j'ai fait, pas sur des attaques aussi lâches que ça.
Avant de conclure, comment envisagez-vous votre avenir politique ?
Je me suis engagé au lendemain de mai 1975. En 1976, j’avais 15 ans, et je suis entré au MMM par conviction socialiste, pour changer mon pays et le monde. Il y a encore aujourd’hui des gens qui souffrent de la famine, alors qu'on envoie des fusées sur la lune. C'est inacceptable.
Ce combat je l’ai commencé très jeune. La finalité de mon action politique n’a jamais été d’être ministre, mais simplement d’être au gouvernement pour pouvoir engager des procédures et faire changer les choses.
Aujourd’hui, nous faisons face à d’autres défis, comme le développement technologique et l’intelligence artificielle. Par ailleurs, il y a toujours des problèmes de drogues qui continuent de dégrader la société mauricienne.
J’espère que mon expérience permettra d’encourager la jeune génération à s’engager politiquement.
Propos recueillis par Stewelderson Casimir et Francesco H.
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