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Interview

Shirin Aumeeruddy-Cziffra, speaker de l'Assemblée nationale : «Je prône une politique de tolérance-zéro»

23 février 2025, 08:16

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Shirin Aumeeruddy-Cziffra, speaker de l'Assemblée nationale : «Je prône une politique de tolérance-zéro»

Notre invitée cette semaine se livre sur son rôle au Parlement, dont son «ruling» et son rappel à l'ordre, vendredi, au Vice-Premier ministre, Paul Bérenger, pour les propos «déplacés» de ce dernier le 7 février envers le leader de l'opposition, Joe Lesjongard.

Il y a beaucoup de questions sur les fonctions du speaker. Quel est son rôle justement ?

C'est plus complexe que ce que beaucoup pourraient penser. Mes deux outils de travail sont la Constitution de la République de Maurice et les Standing Orders and Rules of The National Assembly. Quand les gens nous regardent en direct, ils croient que mon rôle se cantonne à l'assemblée et au débat dans l'hémicycle. C'est un des rôles les plus importants mais derrière, il y a énormément de travail qui se fera, je l'espère bientôt, dans des comités spécialisés. Il y a aussi une partie internationale dans notre travail et nous sommes en lien avec ces autres grandes démocraties et, bien sûr, avec le House of Commons, dont j'ai un peu d’expérience ayant été parlementaire pendant 15 ans à l'époque de sir Harilal Vaghjee. Malgré tout ça, nous sommes tous en apprentissage même si certains connaissent mieux les standing orders. Nous apprenons tous comment remettre cet hémicycle dans le statut qu'il mérite car le problème, c'est qu’à mon arrivée, il y avait beaucoup d'attentes. Mo la pou met lord. Mo pa la pou fer sourir ar zot ou kontan zot. Je vais fonctionner d'après les lois et avec une approche différente de ce que les parlementaires ont vécu dernièrement.

Dépendant de votre parcours et carrière notamment comme défenseure des droits humains, comment mariez-vous toutes ces qualités à votre rôle de speaker?

J'étais avocate de profession pour les veuves et orphelins et engagée dans les droits humains. Je considère que la loi ne doit pas être ignorée, même pas par les députés. Nous sommes des humains. On ne doit pas s'attendre qu'ils la maîtrisent à la lettre. J'ai cette sensibilité de gauche et je le proclame, je suis clairement de gauche. J'ai envie de donner au temps au temps. Il y a un traumatisme dans ce Parlement. Quand j'écoute les parlementaires, je sens cette colère après la 60- 0. On m'a approchée pour ce job même si je ne l'ai pas demandé car j'étais avocate. Mais j'ai senti que j'ai encore un rôle à jouer en fin de carrière pour rétablir la démocratie parlementaire et à travers, la démocratie dans le pays. C'est ma mission. J'ai envie d'emmener les députés dans un débat passionné sur des sujets extrêmement importants qui intéressent le public. Non pa zot lager kouma adverser koumadir dan meeting. Mo pa pou toler sa. Historiquement je suis une MMM, où je suis restée pendant 20 ans. Je n'ai jamais été au PTr mais ma relation avec le Premier ministre est correcte. Il m'a présentée comme speaker, soutenu par le leader de l'opposition. Il était important pour moi que les gens voient que je suis dans un consensus et qu'avec ça, on ramène un peu plus de calme dans le Parlement sans qu'il ne soit calme et n'intéresse personne.

Lors de votre nomination, certains vous ont critiqué. Comment l’avez-vous vécu ?

Il y avait un moment délicat lorsqu'on m'a fait la proposition et lorsque j'ai été élue. Je ne suis pas une political appointee. Je l'ai été dans plusieurs postes avant mais ça ne m'a jamais empêché de faire ce que j'avais envie de faire. Je n'ai pas honte de dire que c'est sir Anerood Jugnauth, qui m'a nommée en poste lorsqu'il était Premier ministre et président. Je n'accepte pas qu'on dise que j'étais dans Lakwizinn. Sa mo Lakwizinn la enn vilin mo sa. Je respecte que certains avaient l'ambition d'avoir ce poste et ce n'est pas négatif. Ce n'est pas moi qui ai décidé de ce poste. Kan enn dimounn dir mo ti enn chatwa, fransman, kan sir Anerood mor mo ti dan PBAT. Quelques mois après, ils m'ont remerciée. Je ne me suis jamais plainte. Quand je n'accepte pas, je démissionne. Je l'ai déjà fait dans le passé.

L'Assemblée était comme un film ces dernières années avec des phrases cultes. Quelle est votre stratégie pour redonner au Parlement ses lettres de noblesse ?

C'est extrêmement intéressant que le public regarde les travaux parlementaires. Je n'avais pas réalisé que les gens regardaient le Parlement à ce point. J'espère que ma patience aura ses limites même si parfois les députés seront en colère. Je vais trouver des systèmes pour calmer le jeu avec des blagues ou commentaires car je suis une personne de dialogue. Je vais continuer ce rôle de médiatrice comme quand j'étais Ombudsperson. Jamais je ne vais order out quelqu'un. Par contre, je peux lever la séance pour qu'ils se calment. Ce ne sera jamais parfait mais on va y arriver.

Vous pensez que vous ne direz jamais la phrase «I order you out» ?

Je le dirais si l'erreur est très, très, grave. Le jour où je le dirais, vous m'inviterez encore pour une émission. Ça ne veut pas dire que les députés ou ministres doivent penser que j'ai peur.

La perception du public, c'est que vous êtes une nominée politique, donc redevable au gouvernement, et que vous allez favoriser ou protéger le gouvernement.

Je redis ce que j'ai dit avant. J'ai déjà été nommée politique. Quand j'étais à la MBC, je donnais la parole aux syndicalistes. Ça avait agacé le gouvernement qui m'avait nommée à ce poste. Je ne peux prendre d'ordre de personne. J'ai un poste protocolaire. Sa pa mont dan mo latet. Avan mo vinn la mo sorti Jumbo la monn al fer mo shopping. Mo pa per personn mwa. Mo marse latet ot. Les anciens me connaissent et d'ailleurs certains ont dit «Ou pe nomm madam Cziffra be ou konn so karakter» et j'ai compris que c'est aussi une des raisons pourquoi j'ai été nommée. Il faut des personnes au-dessus de la mêlée comme un arbitre. Le débat actuel se base sur une comparaison avec ce que l'ancien gouvernement a fait. C'est normal mais c'est délicat de pinpoint une personne spécifiquement. J'aimerais qu'on retrouve une sérénité aussi.

Lors de la séance du 7 février, c'était un peu animé entre Paul Bérenger et Joe Lesjongard avec des propos qui ont été relayés partout et que certains ont trouvé «inacceptables».

Effectivement, on ne va pas les répéter. Je concède qu'il y avait un débat animé qui est venu d'une drôle de façon. L'honorable Adrien Duval, qui parle avec beaucoup de calme, faisait un discours sur la démocratie et ses camarades lui lançaient des piques. Quand il choisit de parler de la sécurité routière, il ne sait pas que les autres vont lui lancer des piques ? Peut-être même qu'il voulait que les autres le piquent pour dire qu'il est victime. Lors de son discours, ça a agacé Paul Bérenger, un des plus anciens qui a un caractère. Il ne fallait pas pinpoint le leader de l'opposition à ce moment-là en sa capacité de leader de l'opposition et non comme président du parti MSM. Mon style, c'est d'essayer de ramener l'ordre même si ce dernier avait raise a point of order. Joe Lesjongard était agacé et il a fait un walk-out. Je ne l'ai pas order out. J'ai toujours été contre les walk-outs. Quand il faisait ce walk-out, il y a eu cette phrase de dérapage que je n'ai pas entendue. Un ami de la Suisse me disait que des fois quand je parle, c'est difficile de m'entendre avec un micro qui ne marche pas et en plus le brouhaha. Dès que j'ai vérifié et que j'ai vu ces mots, j'ai appelé une personne qui travaille avec M. Paul Bérenger. Ce dernier m'a appelée le lendemain matin pour dire qu'il avait décidé de retirer ces mots. La loi me donne le droit de ne pas donner un ruling immédiatement. Par manque de pratique, je n'ai pas demandé à Joe Lesjongard de me donner du temps et il a walk-out. Mais la prochaine fois, bien sûr, ce sera différent.

Joe Lesjongard est venu vers vous avec une correspondance plus tard…

Il est d'abord venu me voir personnellement pour me faire part de ces propos. Il m'a envoyé une lettre hier à 10 h 56 alors que j'avais déjà décidé de donner mon ruling et avait déjà parlé avec Paul Bérenger.

Et Adrien Duval qui dit avoir été victime de «bullying»…

Il a une manière d'aborder les choses qui fait qu'il commence une phrase et marque un temps d'arrêt. Adrien Duval a parlé plusieurs fois et posé plusieurs questions supplémentaires. Quand il va sur un terrain glissant, ça invite à des commentaires et là les choses se gâtent. Il n'est pas le seul. Certaines personnes pensent qu'ils sont dans un ring. Adrien Duval a une manière de s'exprimer très posée et rusée. Je n'ai aucun problème personnel avec lui ou la famille Duval. Ça ne m'intéresse pas. Je suis intéressée par la démocratie. Il n'y avait pas de bullying. This is our day-to-day running. Quelquefois je suis là maîtresse d'école et c'est difficile. Parfois on m'appelle soft speaker et c'est toujours le cas. J'espère ne pas devenir worse than that.

Vous allez adopter une politique de tolérance zéro sur certains mots pour éviter les dérives des 10 dernières années.

Absolument. Le standing order le dit. Je vais le gérer un peu plus souplement. Comme je le dis, il faut faire de la pédagogie.

Dans le passé c'était assez difficile d'avoir le speaker dans les médias pour répondre à des questions mais vous êtes là. Est-ce que normalement un speaker n'a pas le droit d'être invité sur un plateau ?

Non il n'y a rien qui dit que nous n'avons pas le droit . Néanmoins, un grand ami à moi m'a dit que ce n'est pas mon rôle d'aller dans la presse et de ne pas trop exagérer. Je prends ça comme une petite leçon. Je prends sur moi. Si je ne parle pas avec la presse, pourquoi je dirais que je suis une défenseure de la liberté. La liberté de la presse est extrêmement importante. J'ai envie de parler avec la presse car je la respecte.

La place de la femme au Parlement, vous en pensez quoi ?

Il y a encore du travail à faire par rapport à cela. C'est évident et tout le monde sait que je suis une grande féministe qui se bat pour que la femme ait sa juste place partout dans la société et même à des postes à responsabilité. Pour moi, la parité fait partie de la démocratie.

Votre message à ces femmes qui vous écoutent et vous suivent…

Je suis dans une lumière extraordinaire en ce moment. Je suppose qu'une des raisons pourquoi je suis là c'est parce que je suis une femme et peut-être pour mes compétences. Ça vient compenser un peu le nombre de femmes au Parlement. J'aimerais que les jeunes filles prennent confiance en elles. C'est la raison pour laquelle on milite depuis des années.

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