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Toxicomanie
Sam Lauthan : «La lutte contre la drogue est l’affaire de tous»
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Toxicomanie
Sam Lauthan : «La lutte contre la drogue est l’affaire de tous»

■ Sam Lauthan était présent à la marche du collectif Lakaz A de Cassis devant l’église Immaculée Conception, jeudi dernier.
La Journée mondiale contre l’abus et le trafic des drogues, célébrée chaque 26 juin par l’ONU, vise à renforcer l’action et la coopération pour un monde débarrassé de la toxicomanie. Pour l’édition 2025, l’accent est mis sur l’investissement dans la prévention, la justice, l’éducation, la santé et des alternatives économiques durables – piliers essentiels pour bâtir une société résiliente. Le thème «Brisons le cycle. Stoppons le crime organisé» insiste sur l’urgence d’une réponse coordonnée à long terme pour enrayer la criminalité organisée et le trafic de drogue. Elle met en avant la nécessité de s’attaquer aux causes profondes du phénomène, d’investir davantage dans la prévention et de renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de soutien social.
🔵 Briser les tabous, un préalable à l’action
Sam Lauthan, président de la National Agency for Drug Control, (NADC), que nous avons interviewé, souligne l’importance de briser les tabous : «Je tiens à saluer l’effort remarquable des associations hindoues qui s’engagent aujourd’hui à lever ce tabou. J’ai récemment été invité par l’Association Brahma Kumaris à animer une demi-journée d’atelier. Cela a permis un véritable échange d’expériences. Les retours ont été très positifs, et nous prévoyons d’organiser d’autres ateliers, impliquant toutes les religions. La lutte contre la drogue est l’affaire de tous. Ce tabou est désormais levé. Beaucoup de Mauriciens ont longtemps pensé que la drogue sévissait uniquement dans certains faubourgs comme Plaine-Verte, Résidence Kennedy ou Roche-Bois. C’est totalement faux : elle s’est propagée bien au-delà. Il est temps de casser ce cycle et de miser sur la prévention.»
Il poursuit en affirmant que le trafic de drogue devient de plus en plus sophistiqué et que les efforts de prévention doivent donc être encore plus rigoureux : «Pour chaque cargaison de 4 kg de drogue interceptée, entre 8 kg et 10 kg parviennent à franchir nos frontières. Les trafiquants ont toujours un coup d’avance. Nous devons concevoir des mécanismes pour les devancer. Prenons ces passeurs britanniques récemment arrêtés par la MRA et l’ADSU à l’aéroport. Ce ne sont pas seulement des Africains mais aussi des Européens qui sont impliqués. Leur modus operandi est ingénieux avec l’usage de l’Airtag Apple. Ces trackers permettent aux commanditaires de suivre le parcours du passeur. Si le passage au scanner prend trop de temps, ils comprennent qu’il y a un problème et changent de plan, rendant toute opération de livraison contrôlée pratiquement impossible pour l’ADSU.»
🔵 Renforcer la coordination
Sam Lauthan explique avoir envoyé une circulaire aux agences répressives – l’aéroport, le port, l’ADSU et la douane :«Cette circulaire contient des directives à suivre pour améliorer la coordination entre ces différents organismes. Elle ne vise pas seulement à conseiller et surveiller, mais aussi à orienter les actions selon les recommandations du rapport de Paul Lam Shang Leen. Et s’il faut amender la loi pour renforcer ces actions, cela se fera, comme l’a affirmé le Directeur des poursuites publiques Rashid Amine, jeudi dernier à la radio.»
Et quelles sont ses priorités ? «Ma priorité est la mise en place de deux hotlines. L’une dédiée aux mères et familles démunies afin qu’elles puissent obtenir de l’aide pour sortir un proche de l’enfer de la drogue. Des formations seront dispensées à des psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux, entre autres, pour accompagner ces familles en détresse. La deuxième ligne permettra aux lanceurs d’alerte de signaler des cas de trafic en toute sécurité, sans devoir se rendre aux Casernes centrales. Je suis convaincu que, si la population se mobilise, chacun pourra jouer son rôle dans cette bataille qui prend notre pays en otage.»
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Le board de la NADC
Le Cabinet a avalisé vendredi la composition du conseil d’administration de la NADC avec Sam Lauthan, président à temps partiel, et des représentants de ministère, institution stratégique et ONG.
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Le combat désespéré et silencieux des familles
Ils ont porté la vie. Aujourd’hui, ils portent la douleur. À Maurice, des centaines de parents vivent un calvaire silencieux. Leur enfant, leur fierté d’hier, est aujourd’hui méconnaissable, englouti par les drogues synthétiques, l’héroïne ou la méthadone. Entre vols, crises de démence, violences domestiques et institutions débordées, ces mères et pères ne vivent plus. Ils survivent. Voici leurs témoignages. Brutes. Bouleversantes. Trop souvent ignorées.
Farida, 52 ans, voit son fils de 27 ans, autrefois brillant en mécanique, se transformer en un fantôme. «Il se déshabille sans raison, hurle dans sa chambre, urine dans la cuisine. J’ai honte de le dire… mais je vis dans la peur. Je dors la porte fermée à clé. Je suis sa mère… et pourtant j’ai peur de mon propre fils.» Kamal, veuve de 68 ans, a élevé seule ses deux enfants. Son cadet est tombé dans la drogue à 16 ans. «Il me demande de l’argent tous les jours. Quand je refuse, il me bouscule, me vole, m’insulte. Une fois, il m’a frappée avec un balai. J’ai eu un bleu pendant deux semaines. Quand j’ai voulu porter plainte, j’ai reculé. C’est mon fils, bon dieu… c’est mon sang.»
Par ailleurs, ce père de deux garçons a vécu l’impensable : «Un soir, il m’a regardé droit dans les yeux et il a sorti un couteau. Il ne savait plus qui j’étais. J’ai vu la mort dans ses yeux. Depuis, il ne vit plus chez nous. J’ai demandé une injonction. Il est mon fils… mais je veux rester en vie.» Ghislaine, retraitée, a déjà perdu un fils à cause de la drogue – hépatite C, overdose, silence. Son cadet est sous traitement à la méthadone. «Je suis fatiguée. Je vis dans la peur. Je ne veux pas perdre un autre enfant. Mais je n’ai plus de force. Qui nous aide, nous les parents ? Personne.»
Ce que ces familles décrivent n’est pas un cas isolé. Des centaines de foyers à Maurice vivent dans la peur, la honte et le désespoir face à leurs enfants toxicomanes. Pourtant, les structures d’aide sont rares, les soutiens psychologiques quasi absents et les institutions débordées ou déconnectées de la réalité du terrain. Le problème n’est pas seulement médical. Il est humain, social, familial. Ces parents, souvent de bonne foi, se retrouvent sans ressources, sans filets, sans voie de secours.
Ceux qui témoignent ici ne cherchent pas des excuses pour leurs enfants. Ils veulent des solutions : des centres spécialisés, des programmes de réinsertion, des aides pour les familles, des campagnes de prévention à l’école et un accompagnement digne. Leurs cris sont aussi un cri d’alarme pour une société à bout de souffle. La drogue ne détruit pas qu’une personne, mais toute une famille.
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Analyse d’un professionnel
Kunal Naik, psychologue et addictologue, reconnaît les avancées dans la politique de la drogue à Maurice, mais souligne que ces progrès ont pris du temps à se mettre en place. Il exprime une grande préoccupation face à l’absence d’associations spécialisées dans la réduction des risques sur le nouveau board de la NADC. Certaines associations essentielles, qui ont joué un rôle clé dans l’évolution des politiques de lutte contre les drogues, notamment la mise en place du programme de méthadone, sont aujourd’hui exclues des discussions décisionnelles. Cette exclusion, selon lui, constitue un frein majeur à l’avancement de cette politique. L’un des points préoccupants qu’il soulève est l’absence de personnes directement concernées par la problématique de la drogue.
Les usagers et ex-usagers, particulièrement ceux en réinsertion, détiennent une expertise précieuse et réaliste, directement issue du terrain. Pourtant, cette expertise n’est pas suffisamment valorisée dans la formulation des politiques publiques, ce qui, selon le professionnel, empêche d’aboutir à des solutions adaptées aux besoins des populations concernées. Il met en garde contre un risque d’une «top-down approach», où les décisions seraient imposées du sommet sans consulter ni inclure les personnes directement concernées. Cette approche pourrait mener à des décisions déconnectées de la réalité du terrain.
Bien qu’il appréhende ce modèle, Kunal Naik reste optimiste et espère qu’une écoute réelle et une ouverture d’esprit seront accordées aux propositions croissantes de légalisation et de régulation du cannabis. Il estime que ces mesures peuvent offrir une solution efficace pour contrôler le marché noir et réduire les effets à long terme des drogues synthétiques sur la santé publique. L’impact réel de ces politiques sur le terrain est une question centrale.
Kunal Naik s’interroge aussi sur la gestion des fonds alloués à la politique de la drogue – les Rs 70 millions destinées à la NADC. Comment seront-ils utilisés pour garantir un impact durable ? Enfin, il insiste sur les qualifications des personnes responsables des différentes divisions. Il appelle à une gestion transparente des ressources et à la mise en place de solutions pratiques pour répondre aux besoins immédiats des familles.
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