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Crise de l’eau

Rodrigues toujours en mode goutte à goutte

28 juillet 2025, 15:00

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Rodrigues toujours en mode goutte à goutte

À Rodrigues, malgré les engagements gouvernementaux et les aides internationales, la population continue de subir un accès irrégulier à l’eau potable. Derrière les chiffres, une île attend que les robinets coulent enfin. Alors qu’un investissement de plus d’un milliard de roupies est annoncé sur deux ans, les foyers rodriguais, l’agriculture et l’économie restent pénalisés par la rareté de l’eau. Les infrastructures existantes ne suffisent pas à couvrir les besoins quotidiens et les coupures prolongées sont devenues la norme.

Ce déficit est structurel. Les réseaux vétustes, les pertes techniques et la baisse des précipitations compliquent un approvisionnement déjà fragile. Malgré la mobilisation des autorités régionales, le fossé entre annonces et résultats tangibles reste profond.

Plusieurs projets ont vu le jour ces dernières années, avec le soutien de partenaires internationaux. L’Agence française de développement a conclu un accord avec l’Assemblée régionale de Rodrigues, en collaboration avec le Bureau de recherches géologiques et minières, afin de cartographier les nappes phréatiques. L’objectif est de diversifier les sources et de réduire la dépendance au dessalement, très coûteux et énergivore.

Depuis 2018, une unité de dessalement solaire installée à Caverne Bouteille produit de l’eau à partir d’énergie renouvelable. Ce projet, piloté avec l’aide de la Commission de l’océan Indien, de l’Union européenne et du Fonds français pour l’environnement mondial, reste néanmoins limité dans sa capacité. D’autres stations à Baie Malgache, Pointe-Vénus ou Pointe Coton fonctionnent en deçà de leur potentiel en raison de pannes ou de retards techniques.

En effet, à Baie-Malgache, la station de dessalement – qui pourrait théoriquement atteindre 1 000 m³ par jour – ne produit aujourd’hui que 900m³, selon les chiffres officiels publiés par la Rodrigues Public Utilities Corporation (RPUC). Par comparaison, Pointe-Vénus atteint seulement 368 m³/jour, Caverne Bouteille environ 250m³, tandis que Pointe-Coton est montée à 700 m³/ jour après des travaux d’amélioration.

Un réservoir est également en construction à Manique pour renforcer le stockage dans l’Ouest. Mais les retards s’accumulent et nourrissent la frustration des habitants. Un programme de collecte des eaux de pluie a également été mis en œuvre, avec des subventions pour des réservoirs domestiques. Toutefois, de nombreux bénéficiaires n’ont pas mené les travaux à terme, faute de clauses contraignantes ou d’un suivi efficace.

Dans un rapport parlementaire en 2024, Reza Uteem, alors député de l’opposition, dénonçait les lenteurs administratives, les projets mal exécutés et l’absence de coordination. Il appelait à une réforme de la gouvernance de l’eau, insistant sur la nécessité d’une planification plus rigoureuse et d’une reddition de comptes accrue.

«Rodrigues souffre d’un effet de marginalisation dans la gestion nationale des infrastructures, malgré son autonomie», confie un acteur du dossier. «Il ne suffit plus de signer des accords : les projets doivent être menés à terme, les stations maintenues et les programmes communautaires évalués.»

Face à ces critiques, l’ancien chef commissaire, Johnson Roussety, met en avant les efforts engagés sous son mandat. Selon lui, la situation s’est améliorée depuis 2022, année où il a repris la responsabilité des Ressources en eau. Il évoque une stratégie globale articulée autour de quatre axes : l’exploitation des ressources terrestres, la mobilisation des eaux souterraines, le recours au dessalement en soutien durant les périodes sèches et l’encouragement à la participation citoyenne via la collecte des eaux de pluie.

Il reconnaît toutefois que les ambitions sont freinées par des contraintes budgétaires. La promesse d’un investissement d’un milliard de roupies, dit-il, repose essentiellement sur un emprunt aujourd’hui difficile à décaisser, en raison notamment des complications entourant la Mauritius Investment Corporation. La RPUC, l’entité chargée de la mise en œuvre des projets, peine à faire face aux retards de paiement, les factures s’accumulant sans que les fonds promis ne soient débloqués à temps.

Parmi les projets lancés durant son mandat, il cite la mise en place d’une usine de dessalement à Pointe-Coton, avec une capacité prévue de 4 000 m³ par jour pour un coût estimé à Rs 200 millions. Un réseau structurant de transfert Est-Ouest et Nord-Sud, surnommé la «colonne vertébrale de l’eau», aurait également été amorcé pour rééquilibrer l’accès entre les différentes régions de l’île.

Mais le chantier, admet-il, reste loin d’être achevé. Le principal frein, selon lui, ne tient pas à l’ambition des plans, mais au manque de fluidité dans les décaissements, et à une coordination encore insuffisante entre les instances locales et nationales.

Il souligne également l’écart entre les montants annoncés et les sommes effectivement déboursées. «Sur le milliard de roupies annoncé, seuls environ Rs 120 millions ont été débloquées jusqu’ici», affirme-t-il. Il note enfin que le budget capital alloué pour l’eau dans le cadre de l’Assemblée régionale n’est que de Rs 9 millions, un montant dérisoire à ses yeux. Et ce budget reste sous la mainmise du ministère des Finances à Maurice, ce qui limite, selon lui, la marge de manœuvre réelle de Rodrigues.

Alors que Maurice dans son ensemble est de plus en plus exposée à une crise hydrique, Rodrigues reste en première ligne. Pour ses habitants, ce n’est plus seulement une question de développement, mais un enjeu de dignité. Comme bien d’autres, Joseph, planteur à Mont-Lubin, confie ses peines : «Mo bizin plant tomat, bred, pima, me san delo, tou sek. Bizin met sistem ki kapte lapli ouswa ki servi disel dan enn fason intelizan. Nou pa pou kapav kontinie koumsa.»

Marie-Anne, habitante de La Ferme, explique que les coupures s’étalent parfois sur plusieurs jours : «Parfwa, nou pa gagn delo pandan trwa zour. Nou bizin aste delo dan laboutik, e sa kout nou bokou. Mo pa trouv okenn diferans malgre tou bann proze ki finn anonse.»

Pour sa part, Ravi, employé dans un centre touristique, soutient qu’il en va de l’image de l’île vis-à-vis des touristes : «Kan pena delo, touris plingne. Sa afekte nou limaz. Nou bizin enn sistem modern, enn sistem serye.»

Il faut savoir qu’environ 4 800 m³ d’eau potable sont produits chaque jour à Rodrigues, contre un besoin estimé à plus de 12 000 m³. Plus de 50 % de l’eau est perdue à cause de fuites sur les réseaux vétustes, alors que trois usines de dessalement ont pourtant été construites mais donnent des performances limitées. Les Rodriguais déplorent également que l’unité solaire de CaverneBouteille, capable de produire jusqu’à 80 000 litres par jour, reste hélas sous-exploitée.

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