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Éducation
Revenir ou rester ? Le dilemme des lauréats
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Éducation
Revenir ou rester ? Le dilemme des lauréats

Lors de son discours à la State House, le 8 mai, à l’occasion de la réception organisée en l’honneur des lauréats de la cuvée 2024, le Premier ministre, Navin Ramgoolam, a lancé un appel appuyé aux jeunes boursiers : il les a encouragés à revenir au pays après leurs études à l’étranger pour contribuer activement à l’avancement de la nation.
Ce message, empreint de patriotisme et de responsabilité civique, a suscité de nombreuses réactions. Afin de mieux comprendre la réalité derrière cet appel, nous sommes allés à la rencontre de plusieurs anciens lauréats – certains revenus au pays, d’autres établis à l’étranger – pour recueillir leurs impressions et connaître les raisons qui ont guidé leur choix.
Entre attachement à la terre natale, opportunités professionnelles, et conditions locales parfois peu motivantes, les réponses témoignent d’un débat complexe et personnel, où chacun tente de concilier ambitions individuelles et devoir envers la patrie.
De retour à Maurice, pour servir la patrie… mais à quel prix ?
Ils ont brillé aux examens du Higher School Certificate (HSC), décroché des bourses prestigieuses, étudié à l’étranger… et sont revenus, animés par l’envie de servir leur pays. Mais derrière ces retours, souvent célébrés, se cachent aussi des parcours semés d’embûches, de désillusions et de choix difficiles.
■ Leckraj Hurbhookun.
Pour Leckraj Hurbhookun, la décision de rentrer à Maurice n’a rien d’un retour triomphal. Lauréat en 2019, il a étudié en Inde, faute de mieux. «Notre roupie est plus forte que la leur, et les conditions de travail là-bas n’étaient pas idéales», explique-t-il. Contrairement à d’autres destinations comme l’Europe ou l’Australie, il n’a pas eu la possibilité de travailler durant ses études. «Si j’avais été en Europe, j’aurais sérieusement envisagé de rester. Là, je n’ai pas vraiment eu le choix.»
Il déplore surtout le manque de reconnaissance à long terme. «On glorifie les lauréats lors des proclamations, puis plus rien. On s’éteint comme des étoiles filantes, à moins d’être déjà dans les bons cercles.» Il regrette l’absence de suivi, d’accompagnement pour ceux qui rentrent. «On nous dit qu’on n’a pas d’expérience, donc on ne peut pas avoir tel ou tel poste. Finalement, on est logés à la même enseigne que les autres.»
Selon lui, la perception est faussée. «Les gens pensent qu’un lauréat est un privilégié, qu’il a des portes grandes ouvertes. Mais ce n’est pas vrai. Après le HSC, on fait nos études, puis on revient à zéro. On redevient “normal”.»
■ Kugan Parapen.
Kugan Parapen, aujourd’hui junior minister à la Sécurité sociale, connaît bien ce dilemme. Lauréat en 2004, il se souvient de cette hésitation : rester ou rentrer ? «J’avais envie d’acquérir de l’expérience, mais jamais je n’ai pensé qu’une carrière à l’étranger serait meilleure que chez moi. J’ai toujours voulu contribuer à mon pays – et je ne parle pas de politique.»
À son retour, la chance lui sourit : il décroche le premier poste pour lequel il postule. Mais il n’est pas naïf. «À un moment, j’ai été frustré par la lenteur de ma progression, surtout côté salaire. J’ai dû changer d’emploi.» Pour lui, le rêve patriotique se heurte souvent à la réalité. «Beaucoup de jeunes brillants rentrent avec l’envie d’aider, mais sont vite désillusionnés. Les conditions salariales et les responsabilités ne suivent pas. C’est aussi pour cela que tant de parents encouragent leurs enfants à rester à l’étranger.»
Mais pour Kugan Parapen, malgré tout, Maurice reste un choix de cœur. «On a ici un équilibre rare entre vie professionnelle et qualité de vie. Des étrangers quittent tout pour venir s’installer ici. Et nous, on a la chance d’appeler ce pays notre patrie.» Il se souvient avec amertume du climat britannique. «Gris, froid, déprimant. Je n’arrivais pas à m’y faire.»
Le Dr Zeennat Aumeerally partage ce même attachement profond à Maurice. Issue d’un milieu modeste, elle se dit redevable à son pays. «C’est grâce à Maurice que j’ai pu réaliser mon rêve. C’est donc normal pour moi d’y revenir. Dans un grand pays, j’aurais été un petit maillon. Ici, je suis un gros maillon dans une petite chaîne.»
Elle met en lumière une autre réalité : la majorité des lauréats sont issus de la classe moyenne. Et pourtant, dit-elle, on ne les valorise pas suffisamment. «On les critique souvent en disant qu’ils sont trop académiques. C’est injuste.»
Dans son domaine médical, plusieurs lauréats ont aussi fait le choix de rentrer. «Ce sont des intellectuels, mais surtout des patriotes. Le système ne change pas du jour au lendemain, surtout dans la santé. C’est pour cela que j’ai rejoint le privé.»
La cuvée 2024 honorée à la State House
■ Les lauréats ont été reçus à la State House jeudi. © Dev Ramkhelawon
Le State House a accueilli, jeudi, une réception en l’honneur des lauréats du HSC – promotion 2024. La cérémonie, tenue à 11 heures, s’est déroulée en présence du Président de la République, du Premier ministre, du ministre de l’Éducation et des Ressources humaines ainsi que de plusieurs autres personnalités. Dans son allocution, le ministre de l’Éducation, Mahend Gungapersad, a tenu à saluer le rôle crucial des parents, des enseignants, des recteurs et même des professeurs de cours particuliers dans l’accompagnement des lauréats vers l’excellence. Le Premier ministre, Navin Ramgoolam a, pour sa part, invité les élèves à faire preuve de discipline tout au long de leur parcours universitaire, tout en insistant sur l’importance d’un équilibre sain entre vie sociale et réussite académique. À l’instar du président de la République, Dharam Gokhool, il a encouragé les jeunes à envisager un retour au pays après leurs études, afin de participer activement à la construction d’une île Maurice meilleure. Parmi les lauréats, Bhumika Devi Gopaul, issue de la filière scientifique, a exprimé sa fierté d’être reçue à la State House. Elle a également souligné que la bourse gouvernementale dont elle bénéficiera représente une aide précieuse pour la poursuite de ses études.
Vers un avenir partagé : Entre ambitions personnelles et devoir national
La célébration des lauréats du HSC 2024 au State House a mis en lumière non seulement l’excellence académique, mais aussi les aspirations profondes et les dilemmes auxquels sont confrontés ces jeunes brillants. Si l’appel du Premier ministre à revenir au pays résonne avec un patriotisme sincère, les témoignages des anciens lauréats révèlent une réalité plus nuancée, faite de choix personnels, d’ambitions professionnelles et de conditions locales. Pour que ces talents envisagent réellement un retour durable à Maurice, il est essentiel d’investir dans un environnement professionnel valorisant, de reconnaître l’expertise acquise à l’étranger et de créer des espaces où leur contribution peut faire une réelle différence. Car c’est dans la reconnaissance et la valorisation de leur potentiel que Maurice pourra véritablement compter sur ses esprits les plus brillants pour bâtir un avenir prometteur.
Rishi Nursimulu, cuvée 1999 : «Envisager la création d’une Association des Lauréats»
J’ai toujours envisagé de revenir à Maurice. Pour moi, partir faire des études à l’étranger n’a jamais été une fuite, mais un enrichissement, un moyen de me former ailleurs pour mieux servir ici. Plusieurs facteurs m’ont conduit à revenir – «push and pull factors».
D’un côté, je vivais un rythme de travail extrêmement intense, avec de très longues heures, ce qui a fini par affecter ma santé. Maurice offrait un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, ainsi qu’un précieux soutien familial.
D’un autre côté, j’avais atteint l’objectif professionnel que je m’étais fixé. Après près de quinze années à l’étranger, je sentais que le moment était venu de rentrer avec une envie profonde de mettre cette expérience au service de mon pays.
🔴Les principaux freins au retour des lauréats
Le premier frein, c’est bien sûr la perspective financière. Il est évident qu’on ne peut pas espérer gagner ici ce qu’on gagnerait ailleurs. On ne revient pas à Maurice pour l’argent. Le retour doit être motivé par autre chose : famille, projet, une envie sincère de contribuer.
Un autre frein – qu’on sous-estime souvent – c’est le manque de perspectives de carrière véritablement stimulantes dans certains secteurs prisés. Si, par exemple, j’avais voulu rester dans l’Investment Banking, je n’aurais jamais envisagé un retour à Maurice. Ce type de carrière n’existe tout simplement pas ici. Et pour beaucoup de lauréats spécialisés dans des domaines très pointus ou très compétitifs, le retour signifie parfois devoir réorienter sa carrière, ou accepter un poste en dessous de ses compétences.
🔴Que faudrait-il changer pour encourager leur retour ?
Une fois diplômé, lorsqu’on rentre, il n’y a ni accompagnement, ni reconnaissance. On nous a fait signer un engagement légal. Mais peut-être qu’il existe une voie plus intelligente. Pourquoi ne pas attribuer à nos lauréats des postes d’administrateurs indépendants pour qu’ils puissent contribuer concrètement au pays ?
Il faudrait aussi envisager la création d’une Association des Lauréats pour former un cercle engagé, à l’image du Rotary ou du Round Table, avec une mission d’intérêt public.
Toshanand Beekarry, cuvée 1999 : «Il faut offrir de bonnes perspectives professionnelles»
J’avais l’intention de revenir. D’abord pour des raisons familiales. Ensuite parce que je voulais travailler dans l’enseignement public à Maurice.
Je suis revenu après mes études de troisième cycle, dès que le poste d’éducateur a été annoncé.
🔴Les principaux freins au retour des lauréats
Les boursiers hésitent à revenir parce que les opportunités professionnelles sont souvent meilleures – à tous les niveaux – à l’étranger.
Pour encourager les lauréats – et les professionnels talentueux en général – il faut offrir de bonnes perspectives professionnelles. Une perspective de carrière, un développement professionnel continu, une croissance dans le métier et de bonnes conditions de travail.
Roshnee prayag, cuvée 1999 : «Mieux valoriser les parcours internationaux»
J’ai toujours eu l’intention de revenir à Maurice. Je suis partie à l’étranger pour étudier, pas pour m’y installer. Mon objectif était clair : me former, élargir mes horizons, puis revenir pour contribuer.
J’ai eu l’honneur de bénéficier de deux bourses. Cela a renforcé en moi un sentiment de gratitude et de responsabilité : celui de revenir et de servir mon pays.
Revenir était une décision naturelle pour moi. Au-delà de l’aspect professionnel, ce sont surtout les liens familiaux et culturels profonds qui m’ont rappelée.
🔴Les principaux freins au retour des lauréats
Ce sont plutôt des choix personnels, motivés par la recherche de meilleures conditions de vie, de salaires plus attractifs, ou encore d’une mobilité géographique plus étendue. Beaucoup pensent que «l’herbe est plus verte ailleurs». Mais cela dépend des priorités de chacun. Pour ma part, le sens et la contribution ont eu plus de poids que d’autres considérations.
🔴Que faudrait-il changer pour encourager leur retour ?
Il faudrait créer un environnement professionnel plus ouvert, plus souple et plus accueillant aux idées nouvelles. Cela implique aussi de simplifier les démarches administratives, de mieux valoriser les parcours internationaux et de développer des passerelles entre l’expérience acquise à l’étranger et les besoins du pays.
Bevin Bhoyrul, cuvée 1999 : «Même si les opportunités existent, beaucoup pensent que la méritocratie est absente»
Je suis dans le domaine médical et je pensais que les opportunités ne seraient pas les mêmes à Maurice. J’ai poursuivi une carrière pour laquelle je me suis déplacé à maintes reprises en GrandeBretagne et en Australie.
🔴Les principaux freins au retour des lauréats
Le manque d’opportunités de poursuivre des études avancées dans certains domaines et la crainte que la méritocratie n’existe pas. Le problème, c’est que même si les opportunités existent, beaucoup sont ceux qui pensent que la méritocratie est absente.
Pour que les lauréats restent, il faut de la transparence et l’honnêteté dans le recrutement, peut-être des dialogues entre les policy makers et les professionnels pour élaborer un plan d’avenir : comment développer les industries/secteurs de manière que les futurs lauréats ou les professionnels en général sont motivés à travailler à Maurice.
Luciano Azor, cuvée 2017 : «La corruption et le favoritisme jouent un rôle qui décourage ceux qui n’ont pas de ‘backing’»
Luciano Azor, quant à lui, a toujours eu envie de servir son pays parce qu’il est contre les injustices. Il dit croire en Maurice et ses capacités. Il a de grandes aspirations pour le pays.
Il n’a pas eu l’opportunité de travailler à l’étranger. Il aurait voulu travailler au Luxembourg où il a fait ses études mais il n’a pas eu la chance de le faire.
Il cite un manque d’opportunités sur le marché de l’emploi pour les lauréats. Selon lui, il n’y a pas d’encadrement pour les lauréats. Le salaire offert aux lauréats à leur retour au pays n’est pas attrayant. «La corruption et le favoritisme jouent un rôle qui décourage ceux qui n’ont pas de backing. Il faut mieux encadrer les lauréats.»
Ceux qui ne sont pas rentrés
Il ressort, des divers témoignages, que les raisons principales pour lesquelles certains lauréats ne retournent pas au pays après leurs études supérieures sont :
🟦Frustrations liées au monde du travail à Maurice, telles que le népotisme ou l’absence de méritocratie
🟦Manque d’opportunités professionnelles correspondant à leurs qualifications.
🟦Obstacles administratifs et manque de soutien à leur retour
🟦Choix personnel ou familial, comme une meilleure qualité de vie ou des opportunités pour leurs proches à l’étranger.
🟦Sentiment de pouvoir contribuer autrement, même à distance.
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