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Parents solos
Quand l’absence de l’autre devient une entrave quotidienne
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Parents solos
Quand l’absence de l’autre devient une entrave quotidienne

(photo d'illustration)
Démarches bloquées, voyages impossibles, décisions retardées… Ils élèvent seuls leurs enfants, mais restent dépendants d’un parent fantôme. L’express révèle une vague de témoignages bouleversants et les promesses d’une réforme attendue depuis trop longtemps.
Depuis notre récent appel à contributions, l’express a reçu des dizaines de messages, parfois à visage découvert, parfois sous le sceau de l’anonymat. Tous dénoncent la même absurdité : celle d’être seul·e à tout assumer, tout porter, tout endurer… mais de ne pas pouvoir décider, faute de la fameuse signature de l’autre parent, souvent absent, indifférent, voire malveillant. Un parent invisible… mais dont la signature reste juridiquement nécessaire.
Au cœur de ces récits, une injustice structurelle : la loi, dans sa forme actuelle, continue d’exiger l’accord des deux parents pour toute décision importante concernant un enfant mineur, y compris lorsque l’un des deux a disparu de la vie familiale. Une mère célibataire qui souhaite renouveler le passeport de son enfant ou l’emmener en vacances doit supplier un ex-conjoint qui l’a abandonnée depuis des années. Un père gardien doit «retrouver» la mère disparue qui a fui à l’étranger, pour faire légaliser une procédure. Une absurdité administrative qui tourne, pour beaucoup, au cauchemar émotionnel.
La double peine
Ces parents isolés livrent un combat invisible au quotidien. Ils sont enseignants, caissiers, psychologues, chauffeurs, fonctionnaires… Tous doivent jongler entre emploi, parentalité, démarches judiciaires et solitude. À cette réalité déjà lourde, s’ajoute la violence sourde d’un système qui les contraint à quémander l’autorisation d’un parent qui ne remplit ni ses devoirs ni ses responsabilités. «Mon ex a quitté le pays avec notre enfant, dans des conditions inhumaines. À Maurice, l’avocat qui représentait ses intérêts a détourné la vérité. Depuis, je me bats pour que mon enfant puisse revenir. Personne ne m’écoute. J’ai écrit au procureur, au ministère du Genre, vu un psy, car je perds pied. Et malgré tout, je reste dépendante de cet homme pour la moindre démarche. C’est inhumain, c’est violent, c’est une trahison de la justice.»
Ce cri du cœur, partagé par une mère en détresse, fait écho à de nombreux autres. Une maman s’interroge : «Je suis fonctionnaire. Mon fils a 10 ans. Le père a disparu depuis qu’il avait deux ans et demi. Il ne paie la pension que de manière sporadique. J’ai dû le menacer d’aller en justice, pour qu’il signe enfin une autorisation de voyage à Rodrigues. À chaque déplacement, je revis ce cauchemar. Pourquoi faut-il retourner vers l’abandon pour pouvoir avancer ?»
Des enfants également prisonniers
Les parents ne sont pas les seuls à souffrir. Les enfants aussi sont pris en otage de cette situation de cellule monoparentale. Plusieurs témoignages évoquent des cas où des enfants subissent des ruptures de liens, des manipulations, voire des situations dangereuses que la justice ne reconnaît pas.
«Pour la fête des mères, mon fils m’avait préparé une carte. Il était tout content. Mais on lui a interdit de me la donner. On veut me rayer de sa vie, pourtant je suis celle qui l’élève, qui l’écoute, qui le soigne. Mais légalement, je n’ai pas tous les droits et privilèges, même si l’autre a disparu.»
Une autre mère se confie : «La cour a ordonné au père de mon enfant de me payer une pension alimentaire, mais il ne l’a jamais fait. Et comme je suis en concubinage, je n’ai droit à aucune aide. Je vis avec quatre enfants, dont un qui est très malade. Le père est absent, l’État aussi.»
Justice lente, coûteuse et épuisante
Toutes ces familles se heurtent au même mur: la lenteur et le coût de la justice.* «J’ai lancé une procédure il y a dix ans pour le divorce et la pension. Rien n’a bougé. Je vis dans l’attente et l’angoisse.»* Un père fait, lui, part de son exaspération : «La mère de ma fille est partie à l’étranger, sans laisser d’adresse. Je suis seul à m’en occuper. Et pourtant, je dois demander son accord pour chaque chose. C’est absurde.»
Une pression politique en hausse Ces cris n’ont pas été sans écho. Lors de la présentation du Legal Aid and Legal Assistance Bill, le 16 juillet dernier à l’Assemblée nationale, l’Attorney General Gavin Glover a cité mot pour mot un article de l’express : «La seule solution reste le tribunal avec des délais longs, des coûts élevés et un épuisement émotionnel garanti. L’article a raison.» L’homme de loi a reconnu que le système d’aide juridique excluait trop de citoyens qui ne peuvent se payer un avocat mais qui n’ont pas non plus accès à l’aide légale. Il a promis que ce projet de loi allait enfin répondre à cette injustice.
Des promesses… et maintenant ?
Le ministère de l’Égalité des genres et du bien-être de la famille a également réagi. À la suite d’une rencontre entre la ministre Arianne Navarre-Marie et une mère concernée – également journaliste – un travail de réforme a été amorcé. La ministre s’est engagée à faire évoluer les textes pour faciliter la vie des parents solos, notamment sur les questions d’autorisation parentale, de pension alimentaire et de garde en cas de violences ou de disparition de l’un des parents.
Mais ces promesses, saluées comme un premier pas, doivent désormais se traduire en actions. Les familles, elles, n’ont plus le luxe d’attendre.
Seul.e mais pas libre
Le paradoxe est cruel. Ces parents sont «solos» dans les faits, mais pas dans le droit. Ils doivent affronter seuls les charges quotidiennes, mais restent dépendants de l’ombre d’un parent qui a fui. La société les regarde souvent avec suspicion, les institutions les laissent dans le vide juridique. Mais leur nombre, leur détermination et leur colère deviennent une force collective.
Ces voix – anonymes ou non – racontent bien plus qu’une difficulté administrative. Elles dénoncent une violence systémique. Celle d’une société qui prêche la famille tout en punissant ceux qui, seuls, la font tenir debout.
Le pays est à la croisée des chemins. Il peut continuer à ignorer ces souffrances ou choisir d’adapter la loi à la réalité. Car un parent qui élève seul son enfant ne devrait jamais être prisonnier d’une signature.
La loi doit évoluer pour :
• Permettre au parent gardien d’agir seul dans les décisions quotidiennes concernant l’enfant, en cas d’abandon manifeste de l’autre parent.
• Assurer un accès simplifié à la justice, sans délais interminables ni coûts prohibitifs.
• Renforcer les mécanismes de recouvrement des pensions alimentaires.
• Protéger les enfants victimes de violences en prenant en compte les expertises psychologiques dans les décisions de garde et de visites.
• Mettre en place un accompagnement social et juridique renforcé pour les parents solos.
Chiffres clés
• Plus de 60 témoignages recueillis en moins d’un mois par «l’express» sur la monoparentalité abandonnée.
• 3 parents sur 5 déclarent ne pas recevoir une pension alimentaire complète ou régulière.
• 90 % des personnes dénoncent les lourdeurs administratives liées aux autorisations parentales.
• 75 % des parents solos interrogés affirment ressentir un épuisement émotionnel et une grande solitude face aux procédures judiciaires.
Témoignages forts
«Depuis que le père de mon fils nous a expulsés alors que mon enfant n’avait que cinq mois, il n’a jamais contribué financièrement, ni tenté de voir son fils. Pourtant, pour renouveler le passeport de l’enfant, je dois obtenir l’accord du père. C’est un vrai calvaire.» — Maman anonyme
«Mon ex-mari a obtenu des droits de visite malgré des rapports psychiatriques accablants. Un jour, il a tenté d’enlever ma fille de force. La justice ferme les yeux.» — Mère courageuse
«Je vis en concubinage, pourtant je ne peux prétendre à aucune aide sociale, même avec quatre enfants à charge, dont un qui est malade. La loi nous abandonne.» — Mère solo en détresse
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