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5ᵉ sommet des chefs d’état et de gouvernement de la COI
Plaidoyer pour une Indianocéanie solidaire
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5ᵉ sommet des chefs d’état et de gouvernement de la COI
Plaidoyer pour une Indianocéanie solidaire

■ Échanges entre le PM mauricien, Navin Ramgoolam, et le président français, Emmanuel Macron, hier à Madagascar.
Le cinquième sommet des chefs d’État de la Commission de l’océan Indien (COI) s’est ouvert hier à Madagascar, sous le signe de la coopération et de la résilience régionale. La cérémonie d’ouverture s’est déroulée dans une ambiance festive, marquée par des chants traditionnels et une vidéo valorisant les cinq membres de l’organisation : Madagascar, Maurice, les Comores, les Seychelles et La Réunion. L’absence remarquée de Mayotte, non représentée dans cette mise en scène, a cependant accentué le sentiment d’exclusion de ce département français d’outremer (voir hors texte). C’est dans ce contexte hautement stratégique que le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam, a prononcé un discours fort, à la fois lucide face aux enjeux géopolitiques et porteur d’une vision solidaire pour l’avenir de l’Indianocéanie.
Dès le début de son intervention, il a souligné la gravité du contexte mondial actuel, évoquant un «monde empreint de fragilité, de susceptibilité et d’impulsivité». Selon lui, cette instabilité dépasse désormais la simple rhétorique pour affecter profondément l’économie mondiale. Il a mis en garde contre l’instrumentalisation croissante des relations économiques internationales, qui redéfinissent les rapports de force au détriment des petits États insulaires. «Nous, les îles, risquons d’être condamnées à une vulnérabilité encore plus prononcée», a-t-il alerté, appelant à une réponse collective et solidaire face aux bouleversements globaux. Il a notamment dénoncé une «géoéconomie» de plus en plus agressive, dominée par des conflits commerciaux et des politiques protectionnistes menaçant directement la sécurité et la souveraineté alimentaires des pays insulaires.
Dans ce contexte, le thème du sommet – «Sécurité et souveraineté alimentaires pour le développement du marché de l’Indianocéanie» – prend une importance cruciale. Le chef du gouvernement a rappelé que la majorité des États membres de la COI restent fortement dépendants des importations alimentaires, situation aggravée par leur isolement géographique et des coûts logistiques élevés. «Il est malheureux de constater que nos îles restent extrêmement dépendantes des importations pour une large majorité de produits alimentaires», a-t-il déploré. Il a plaidé pour une intensification des échanges intrarégionaux afin de réduire cette dépendance. Évoquant une époque où Madagascar exportait du riz vers Maurice – le fameux riz «grigny» – il a exprimé le souhait de voir renaître ces coopérations pour une complémentarité économique.
Le Premier ministre a salué l’initiative des Seychelles de créer une ligne maritime régionale, y voyant une avancée concrète vers une meilleure connectivité entre les îles. Il a également souligné l’importance d’intégrer la sécurité alimentaire aux autres enjeux régionaux majeurs : gestion durable des ressources marines, protection des écosystèmes, lutte contre la drogue et la pauvreté. La pêche, artisanale comme industrielle, y joue un rôle fondamental, les produits de la mer constituant une source essentielle de protéines pour les populations de l’océan Indien.
Navin Ramgoolam a réaffirmé l’importance de l’économie bleue comme moteur de croissance, de création d’emplois et de durabilité environnementale. Il s’est réjoui des progrès accomplis en matière de surveillance des pêches et de lutte contre la pêche illégale, rendus possibles grâce à l’appui de l’Union européenne. La COI, a-t-il souligné, a su bâtir une architecture de sécurité maritime efficace, fondée sur la mutualisation des efforts régionaux.
Il a également salué l’approfondissement de la coopération avec les grandes puissances maritimes – Chine, Inde, Japon et, prochainement, Corée du Sud – désormais observateurs de la COI. Maurice, a-t-il rappelé, a récemment manifesté son intérêt à rejoindre les Combined Maritime Forces, coalition internationale réunissant 46 pays engagés dans la sécurité maritime.
Le chef du gouvernement mauricien a aussi exprimé sa reconnaissance envers le président français, Emmanuel Macron, pour son initiative de créer une Académie de l’océan Indien, qui vise à renforcer les capacités régionales en matière de sécurité en mer. À l’approche de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, prévue à Nice, Navin Ramgoolam a insisté sur la nécessité, pour les États membres de la COI, de parler d’une seule voix pour défendre les enjeux de la région sur la scène internationale. Il a émis l’espoir que cette conférence produise un «effet COP21», impulsant un véritable changement de paradigme en faveur des petits États insulaires en développement.
Enfin, il a souligné la pertinence du thème du sommet, à la croisée des préoccupations régionales majeures. Il a exhorté les dirigeants présents à renouveler leur engagement politique et stratégique afin de transformer la COI en un moteur de coopération régionale, proactive et ambitieuse. «Le statu quo dans un écosystème en mutation perpétuelle n’est pas de mise», a-t-il lancé, invitant ses homologues à tracer une voie nouvelle vers une COI plus forte et plus solidaire.
À noter que la table ronde sur la sécurité et la souveraineté alimentaires s’est tenue à huis clos. Les journalistes ont été priés de quitter la salle avant le début des discussions. Par ailleurs, il nous revient que le ministre délégué à la Francophonie, Thani Mohamed Soilihi, en visite officielle à Maurice ce vendredi 25 avril, mettra l’accent sur la coopération régionale et la préservation du patrimoine.
Tensions diplomatiques autour de Mayotte
La question de Mayotte a ravivé les tensions diplomatiques lors du sommet de la COI. Le président français a plaidé pour une participation active de l’île au sein de l’organisation, une proposition aussitôt qualifiée de «provocation» par le président comorien, Azali Assoumani. Dans son discours, Emmanuel Macron a souligné que tous les territoires insulaires partagent des défis communs : sécurité maritime, changement climatique, développement durable. «Aucun territoire ne devrait être mis à l’écart», a-t-il affirmé.
Cette position, déjà exprimée lors de sa visite à Mayotte, a suscité une réponse cinglante d’Azali Assoumani, qui assure actuellement la présidence tournante de la COI. Il a invoqué ironiquement une «leçon» d’un «professeur nommé Louis de Funès» pour rejeter ce qu’il considère comme une manœuvre provocatrice. Le président comorien a rappelé que, selon le droit international, Mayotte reste une île comorienne. Il a toutefois réaffirmé sa volonté de maintenir un dialogue «sincère et responsable» avec la France, en précisant que toute décision au sein de la COI doit être prise à l’unanimité.
Si Emmanuel Macron a salué la présence de représentants mahorais, les autres États membres, comme Maurice et les Seychelles, sont restés silencieux sur ce sujet sensible, illustrant la complexité du dossier.
Maurice restitue 25,5 kg d’or à Madagascar
Lors du sommet des chefs d’État de la COI, un événement symbolique a eu lieu : la restitution à Madagascar de 25,5 kg d’or saisis en 2019 par les autorités mauriciennes. Navin Ramgoolam a remis les lingots au président malgache, Andry Rajoelina, dans une cérémonie marquée par la solidarité régionale.
Dans son discours, le Dr Ramgoolam a souligné que cette restitution faisait partie d’un effort plus large de coopération et de justice entre les deux pays. Il a rappelé qu’en janvier 2019, trois ressortissants malgaches avaient été arrêtés à Maurice en possession de 45 lingots d’or, exportés illégalement de Madagascar. «La collaboration judiciaire a pris six ans, une lenteur due à l’inaction de l’ancien régime», a-t-il dénoncé. Le verdict de 2023, qui avait ordonné la saisie de l’or, n’a été exécuté qu’après un changement de gouvernement. Pour lui, cette restitution va au-delà du retour d’un bien matériel : «C’est un acte légitime et un message fort à la région sur la lutte contre le crime organisé transfrontalier.»
Le président malgache, Andry Rajoelina, a salué ce geste comme «responsable et exemplaire», soulignant qu’il marque «une justice retrouvée». Il a rappelé que Madagascar perd régulièrement des ressources précieuses à cause des trafics illicites, dont le peuple ne bénéficie pas. Selon lui, cette restitution est un premier pas pour inverser cette tendance.
Le président Rajoelina a annoncé que les 25,5 kg d’or seraient transférés à la Banque centrale de Madagascar. Il a également réaffirmé son engagement à renforcer la coopération entre les deux nations, en particulier dans la lutte contre les trafics et le renforcement des échanges douaniers. «Ensemble, nous devons protéger nos richesses et barrer la route aux réseaux mafieux», a-t-il ajouté, appelant à une coopération accrue en matière de sécurité et de renseignement.
Enfin, Rajoelina a proclamé : «Vive l’amitié entre nos deux nations et vive la coopération régionale.»
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