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Humour et politique
Peut-on rire de tout, vraiment ?
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Humour et politique
Peut-on rire de tout, vraiment ?

Alain Gordon-Gentil, directeur général de la Mauritius Broadcasting Corporation : «Une télévision, un journal ou une radio ne sont pas une page Facebook»
Le directeur général de la Mauritius Broadcasting Corporation (MBC), Alain Gordon-Gentil, revient sur la polémique entourant la non-diffusion de l’épisode de «Ce Soir Avec Vince» avec Roshi Bhadain, et s’exprime sur la ligne éditoriale de la MBC, la liberté d’expression et l’avenir du service public audiovisuel.
🟦 Pourquoi l’émission «Ce Soir Avec Vince» – incluant la participation de Roshi Bhadain – saluée comme un signe de modernisation n’a-t-elle pas été diffusée sur les antennes officielles de la MBC ?
Qu’il y ait du changement à la MBCTV, je crois que tous les témoignages que nous recevons indiquent que les Mauriciens l’ont noté. Que ce soit dans notre bulletin d’information ou dans d’autres émissions comme celle de Vince, celle de Shenaz Patel, ou encore celle où, pour la première fois, l’esclavage et ses séquelles ont été abordés avec une liberté de ton et de contenu rarement vue par le passé.
Pour répondre plus précisément à votre question, il est important de connaître tous les faits. Ce Soir Avec Vince est une émission coproduite par la MBC et Pop TV. Elle est diffusée sur la MBC et sur Pop TV. Nous avons donc, bien entendu, un droit de regard sur ce qui est diffusé – comme tous les médias ont un droit de regard sur ce qu’ils publient.
Après avoir vu l’émission, nous avons estimé, après discussions, qu’il y avait des risques légaux. Nous sommes une chaîne de service public. J’ai le devoir, en tant que directeur, de protéger la MBC de ce genre de problèmes.
🟦 La publication sur la page personnelle de Vincent Duvergé témoigne-t-elle d’un contournement assumé de restrictions éditoriales internes ?
Absolument pas. Il est bon que vous sachiez que la diffusion de l’émission sur la page personnelle de Vincent Duvergé s’est faite totalement avec mon accord. Si j’avais voulu que personne ne puisse voir l’émission avec M. Roshi Bhadain, je lui aurais interdit la diffusion – ce qui était tout à fait notre droit en tant que coproducteurs.
Et puis, tout simplement, si j’avais voulu censurer Roshi Bhadain, je n’aurais pas permis qu’il soit l’invité de Ce Soir Avec Vince. Ce qui était aussi mon droit en tant que coproducteur et diffuseur.
🟦 Les propos critiques de Roshi Bhadain, notamment sur la redevance télé ou les fonctions ministérielles, ont-ils motivé une mise à l’écart de l’émission ?
Tout cela a déjà été dit sur le plateau du journal télévisé de la MBCTV de 19 h 30, en toute liberté, par Jack Bizlall, dont on connaît la parole cinglante. C’est ça la nouvelle MBC. Mais je peux, si vous le désirez, donner mon appréciation personnelle, non pas en tant que directeur général, mais en tant que journaliste ayant une certaine expérience des interviews. Ce Soir Avec Vince est une émission humoristique et non une tribune de propagande politique.
Rire de soi, c’est vrai, n’est pas donné à tout le monde. Si j’avais été l’animateur de l’émission, j’aurais posé certaines questions qui auraient équilibré les propos de l’invité et recadré, avec humour, l’échange.
Dans toute émission, il doit y avoir un équilibre ; l’animateur doit en permanence garder la maîtrise du plateau.
🟦 Ce ton mêlant humour acerbe et franc-parler politique est-il encore jugé trop risqué pour le service audiovisuel public ?
Rien n’est risqué si l’invité comprend la différence entre propagande et humour, et si l’animateur maîtrise son plateau. Mais nous devons aussi comprendre certaines choses. La télévision nationale revient d’un vrai voyage au bout de l’enfer, qui a duré plus d’une dizaine d’années. Pendant une partie de cette période, soit dit en passant, M. Bhadain a été ministre et propagandiste attitré de cette télévision, alors violemment fermée à l’opposition.
Pendant plus de dix ans, la liberté d’expression a été massacrée et cela a conduit les Mauriciens, dégoûtés, à tout simplement cesser de regarder la MBC. La nouvelle direction a pris un autre chemin : celui de construire une télévision libre qui donne la parole aux Mauriciens. Et les chiffres, les témoignages nous le montrent : les Mauriciens reviennent vers la MBC.
Nos journalistes peuvent travailler en toute quiétude, sans avoir à soumettre leurs carnets de notes à des messieurs ou des dames. Les sujets sont choisis par les rédactions télé et radio, qui fonctionnent en toute sérénité. Le ton de nos chroniqueurs sur RM1, la nouvelle radio, est libre, cinglant, mais toujours talentueux et mesuré.
🟦 Cette affaire met-elle en lumière un fossé entre l’image d’ouverture prônée par la MBC et sa gestion interne du pluralisme ?
Ce n’est pas une image d’ouverture ; c’est l’ouverture elle-même. Quand vous avez, en ouverture du grand journal télévisé de 19 h 30, l’ancien Premier ministre, Pravind Jugnauth, qui peut intervenir et s’expliquer, ce n’est pas une image. Quand vous avez les représentants de Lalit au journal pour parler de Diego Garcia et de sa souveraineté – une parole jamais entendue sur la MBC –, c’est une réalité. Et une réalité qui était tout simplement impossible sous l’ancien régime.
🟦 La direction de la MBC autorise-telle que des productions maison soient diffusées de manière indépendante, sans validation officielle ?
Aucun média ne diffuse ou ne publie quelque chose sans qu’une validation ne soit obtenue. Un rédacteur en chef vérifie tout ce qui est publié dans son journal. Parce qu’il en est le responsable. C’est son devoir premier. Le contraire serait de l’irresponsabilité.
Une télévision, un journal ou une radio ne sont pas une page Facebook où chacun raconte n’importe quoi. Ces médias ont une responsabilité envers ceux qui leur font confiance. On appelle cela la liberté – et, comme toute liberté, elle ne va pas sans responsabilité.
🟦 À l’heure où la MBC accumule les déficits et fait face à des critiques sur son efficacité, le gouvernement peut-il encore justifier le maintien de la redevance mensuelle de Rs 150 ?
Vous avez raison : la MBC accumule des déficits. Et il faudra bien qu’un jour, les responsables viennent rendre des comptes. Mais ce n’est pas le moment pour moi d’en parler.
Aussitôt l’audit de la situation financière prêt, croyez-moi, vous en entendrez parler. Et vous saurez ce qui s’est passé pendant ces dix dernières années.
🟦 L’émission «Ce Soir Avec Vince» – incluant la participation de Shakeel Mohamed – est diffusée sur les antennes officielles de la MBC (page YouTube de la MBC) et a pour titre «Ce Soir Avec Vince – Shakeel Mohamed – Humour & Politique». Est-ce que la mention «politique» dans une émission humoristique est permise lorsqu’il s’agit d’un membre de la majorité, mais censurée lorsqu’elle concerne un critique du gouvernement ?
Qui peut croire cela ? En à peine quelques mois, les Mauriciens ont vu, sur leur petit écran, s’exprimer des gens de toutes tendances et de toutes opinions politiques. Et cela ne va certainement pas cesser. Je vous en donne l’assurance.
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Roshi Bhadain, avocat et politicien : «La direction de la MBC a exercé une censure injuste et un boycott»
🟦 Des risques légaux sont évoqués pour justifier la non-diffusion de l’émission «Ce Soir Avec Vince», dans laquelle vous étiez invité. Comment réagissez-vous à cela ?
D’abord un fait : la diffusion de l’émission n’a pas été effectuée comme convenu par la MBC. La direction de la MBC a exercé une censure injuste et un boycott. Un mois plus tard, le dimanche 13 juillet, Pop TV a finalement diffusé l’émission sur YouTube, avec l’accord de la direction de la MBC, ce qui donne matière à réflexion.
🟦 Malgré la non-diffusion sur les antennes de la MBC, quel a été le retour sur les autres médias ?
Sur les plateformes digitales de Pop TV et sur ma page Facebook, ce programme de divertissement humoristique a attiré plus de 650 000 personnes (à hier midi) ! Les commentaires sont à la fois expressifs et percutants. Allez les lire…
🟦 Quelle était l’ambiance à la MBC lors de l’enregistrement de l’émission ? Avez-vous parlé uniquement de politique ?
J’ai été invité à la MBC le jeudi 12 juin, et j’étais accompagné de mon fils et de ma fille. Les employés de la MBC étaient très accueillants et aimables. Nous avons enregistré l’émission. J’ai répondu aux questions de Vince en plaisantant. Mes réponses étaient spontanées, directes et toujours amusantes. Nous avons fait des blagues politiques tout en abordant d’autres sujets. C’était fun et léger ! Vince Duvergé et son équipe sont vraiment épatants et sympathiques.
🟦 Avez-vous constaté un changement à la MBC ?
Pour qu’il y ait un véritable changement à la MBC, il est essentiel de mettre fin au système des nominés politiques et de créer un Appointments Committee indépendant, comme nous l’avions proposé durant la campagne électorale. Or, ce n’est toujours pas le cas !
🟦 Quelle est la différence entre l’époque où vous étiez ministre et aujourd’hui concernant les émissions diffusées à la MBC ? Était-ce mieux ou pire ? Au-delà de cet épisode, peut-on dire que la MBC est aujourd’hui une télévision libre, qui donne réellement la parole aux Mauriciens ?
La MBC était dirigée par Mme Chong en 2015. Reza Uteem, qui était alors membre de l’opposition, et moi-même étions invités à un débat télévisé diffusé en direct. Des journalistes indépendants (dont un membre de la rédaction de l’express) étaient présents pour nous poser des questions. J’ai également eu l’occasion de proposer Jean-Claude de l’Estrac comme directeur général de la MBC. Il avait même eu une rencontre avec le Premier ministre de l’époque, SAJ, qui était favorable à sa nomination, mais le leader du MSM, Pravind Jugnauth, s’y est opposé pour des raisons que j’ignore.
🟦 Selon vous, que faut-il pour que la MBC connaisse un véritable changement ?
Nous sommes en 2025. Nous avons énormément appris. Il est impératif d’arrêter ce système de nominations politiques à la tête de la MBC, y compris pour les conseillers juridiques, eux aussi choisis sur des critères politiques. Ils sont rémunérés pour protéger leur paroisse, et il leur est difficile d’être indépendants et impartiaux. Pour que la MBC – et notre pays – connaissent un véritable changement, ce système archaïque doit être remplacé.
🟦 Face à Alain Gordon-Gentil, qui explique les raisons de la non-diffusion de vos propos sur la MBC, quel est votre mot de la fin ?
Autrefois, j’aurais répondu de manière frontale à M. Gordon-Gentil. Mais aujourd’hui, I choose my battles. Si M. GordonGentil m’avait invité pour une tasse de thé afin de m’expliquer personnellement sa décision de ne pas diffuser l’émission, les choses auraient peut-être été différentes. Quoi qu’il en soit, pour moi, le chapitre est maintenant clos.
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PopTV : «La décision de diffuser ou non un épisode appartient à la direction de la MBC»
PopTV a réagi dans un communiqué sur sa page Facebook le dimanche 20 juillet pour apporter des précisions concernant la non-diffusion de l’épisode de Roshi Bhadain dans l’émission Ce Soir Avec Vince : «La décision de diffuser ou non un épisode appartient à la direction de la MBC et nous avons l’obligation de respecter pleinement cette prérogative.» Si l’émission n’a pas été diffusée sur les antennes de la MBC, PopTV a reçu l’autorisation de la MBC pour la diffusion de l’épisode sur ses plateformes digitales. «L’accueil du public a été exceptionnel et les taux d’audience ont atteint des sommets», précise le communiqué. La direction de PopTV rappelle également que Ce Soir Avec Vince est avant tout une émission de divertissement et que l’objectif n’a jamais été d’entrer dans l’arène politique : «Lorsqu’une personnalité politique est invitée, c’est pour lui offrir un espace différent : plus humain, plus léger, parfois absurde – loin des débats classiques – afin que le public découvre un autre visage de ses figures publiques.»
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