Publicité

Questions à...

Olivier Barbe : «L’électorat a été mené en bateau»

10 juin 2025, 15:00

Par

Partager cet article

Facebook X WhatsApp

Olivier Barbe : «L’électorat a été mené en bateau»

🔵Le Budget présenté cette année répond-il réellement aux priorités les plus urgentes du pays, notamment en matière d’emploi, de logement, d’éducation, de santé et de transition climatique ?

Pas du tout. C’est un Budget sans boussole, qui va à l’encontre des engagements pris dans le manifeste électoral de l’Alliance du changement. L’électorat a été mené en bateau. On nous avait promis une rupture, des réformes ambitieuses, un changement profond. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est un alignement de blueprints et d’assises sans direction claire. Rien de concret, aucune vision structurée. Commençons par l’emploi.Il n’y a aucune mesure concrète dans ce Budget pour en créer. Rien pour redynamiser le marché du travail ou retenir nos jeunes talents. La problématique du brain drain n’est même pas sérieusement évoquée, alors qu’elle s’aggrave. Le PMSD a toujours insisté sur la nécessité non seulement de créer de l’emploi, mais aussi de valoriser le travail. On parle beaucoup de «bien-vivre», mais on oublie le «bien-être» au travail. Les deux sont indissociables. Aujourd’hui, on a un gouvernement qui reste passif face à l’hémorragie de compétences.

Concernant le changement climatique,on aurait espéré un engagement fort, mais le signal envoyé est négatif. On a retiré les incitations pour les véhicules eco-friendly – c’est incompréhensible. Maurice n’est pas un gros pollueur, c’est vrai, mais nous sommes parmi les pays les plus vulnérables. Il fallait une politique environnementale rigoureuse, avec une obligation que tout développement foncier soit environment-friendly. Il n’en est rien. Et puis, rien non plus pour éduquer nos jeunes à ces enjeux. Rien sur la résilience face à la sécheresse, aux inondations, aux catastrophes naturelles. On est face à une urgence mondiale et le gouvernement passe à côté. Il en va de même pour le concept du logement. Le gouvernement évoque la continuité des projets existants. Justement, c’est bien là le problème. Aucune nouvelle stratégie, aucune ambition, juste du business as usual. On ne prend pas en compte les réalités d’aujourd’hui : la hausse des prix des matériaux, la rareté des terrains, les besoins spécifiques des jeunes couples ou des familles nombreuses. Il fallait une refonte complète de la politique du logement, mais on nous ressert les mêmes recettes. Il faut également souligner que l’idée de la Police Academy avait été portée par Xavier-Luc Duval alors qu’il était vice-Premier ministre au sein de l’Alliance Lepep.

🔵Toutefois, le volet santé semble avoir été renforcé. Partagez-vous cet avis ?

Je poserais une question simple : où sont les médicaments gratuits promis aux personnes âgées ? Cette mesure figurait noir sur blanc dans les promesses électorales. Elle représentait une attente légitime d’une population vieillissante et souvent vulnérable. Or, elle a disparu du Budget. C’est une promesse abandonnée et cela traduit un manque de respect total envers nos aînés.

🔵Face à une inflation persistante, les annonces suffisent-elles à redonner du souffle aux ménages, en particulier les plus vulnérables ?

Absolument pas. Ce Budget ne soulage pas les ménages ; il les pénalise davantage. Prenons un exemple concret : le relèvement du seuil de la taxe sur la valeur ajoutée de Rs 6 millions à Rs 3 millions. C’est un coup dur, surtout pour les petites et moyennes entreprises, mais aussi pour les consommateurs. Ce sont eux qui paieront les pots cassés. On parle d’un Budget social, mais dans les faits, il rogne sur le pouvoir d’achat des familles. Et que dire du prix de l’essence ? Il a baissé à deux reprises sur le marché mondial, mais ici, il reste bloqué. Le gouvernement n’a pas tenu sa promesse de le faire baisser localement. Ce n’est pas seulement une occasion manquée : c’est un manquement flagrant à un engagement électoral. Pendant la campagne, le Premier ministre avait pourtant affirmé, je cite : «Mem si ena skelet dan plakar, mo pou tenir mo promes.» Aujourd’hui, il fait exactement le contraire. Même scénario pour l’électricité. Là aussi, une baisse des tarifs avait été promise. On ne voit rien venir. Le ministre concerné s’était engagé avant les élections. Où est cette baisse aujourd’hui ? Une réduction des coûts de l’énergie, que ce soit pour les carburants ou l’électricité, aurait eu un impact immédiat et positif sur le quotidien des familles. On ne l’a pas eue. Résultat : les ménages, notamment les plus vulnérables, continuent de s’enfoncer. Et ce Budget ne fait rien pour les en sortir.

🔵Alors que la dette publique reste un sujet de préoccupation, ce Budget vous paraît-il soutenable à long terme ou risque-t-il d’aggraver encore davantage l’endettement du pays ?

Il faut d’abord se rappeler que le pays a connu un lockdown de deux ans. Cela a évidemment eu un impact sur nos finances publiques. Mais aujourd’hui, alors qu’on parle de relance et de croissance, on aurait pu s’attendre à une véritable stratégie pour réduire la dette. Ce n’est pas le cas. Le gouvernement annonce une baisse du pourcentage de la dette publique par rapport au produit intérieur brut dans les années à venir. Mais c’est de la poudre aux yeux. En termes réels, la dette va continuer d’augmenter. Il n’y a aucune mesure concrète dans ce Budget pour l’endiguer. La vérité, c’est qu’on continue de fonctionner à crédit, sans vision à long terme. Ce Budget, tel qu’il est conçu, n’est pas soutenable. Il est basé sur des projections optimistes, mais sans fondement structurel. En clair, on repousse les problèmes et ce sont les générations futures qui devront en payer le prix.

🔵La décision de réserver la pension de vieillesse aux 65 ans suscite de nombreuses réactions. Quelles pourraient être les conséquences sociales de cette mesure ?

C’est une mesure brutale, sans consultation avec les parties prenantes. Et surtout, ce n’était nullement annoncé dans le manifeste électoral de l’Alliance du changement. Pire : pendant la campagne, ils avaient même nié les mises en garde de l’Alliance Lepep, qui alertait sur une éventuelle abolition ou réduction des allocations. On nous a menés en bateau. Ce sont les travailleurs manuels qui seront les plus touchés. Ceux qui ont passé leur vie à faire des métiers physiquement exigeants auront bien du mal à tenir jusqu’à 65 ans. C’est profondément injuste.

Cette décision va à l’encontre des promesses faites par ce même gouvernement : ils avaient parlé de double pension pour les veuves et les personnes en situation de handicap à partir de 60 ans. Où en est-on ? L’espérance de vie a diminué dans le pays. Dans ce contexte, il serait juste de permettre à nos aînés de profiter pleinement de leur retraite. Ils ont contribué à l’économie nationale. Ce recul de l’âge de la pension est une forme de régression sociale et les conséquences à moyen terme pourraient être désastreuses pour les couches les plus vulnérables de la population.

🔵L’éducation est aussi abordée, avec quelques mesures ciblées. Est-ce suffisant à vos yeux ?

Non et c’est même inquiétant. L’abolition de la subvention pour les repeaters du School Certificate et du Higher School Certificate est un véritable coup de massue pour les familles modestes. Cela va décourager les élèves qui veulent une deuxième chance. C’est injuste et profondément inégalitaire. Puis, il n’y a aucune grande réforme pour adapter notre système éducatif aux défis du 21ᵉ siècle. Rien pour intégrer les nouvelles technologies, rien pour former les jeunes aux métiers d’avenir. L’éducation est censée être un levier d’égalité et de progrès, mais aujourd’hui, elle devient un facteur d’exclusion.

Publicité