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L’heure du festin
Le vent a tourné, et avec lui, les convives ont changé. Mais la table, elle, reste la même. Garnie des plus beaux mets, des privilèges en sauce, des passe-droits rôtis à feu doux, elle accueille à nouveau ceux qui ont patienté dans l’ombre, rongés par une faim de pouvoir et d’opulence. Ils ont attendu leur tour, et maintenant, les voilà attablés. Et visiblement affamés.
Dans les salons feutrés du pouvoir, on murmure que l’histoire bégaie. Que les visages se renouvellent, mais que l’appétit, lui, ne connaît ni trêve ni satiété. Le festin a recommencé, et ceux qui, hier encore, dénonçaient les excès d’un autre règne s’installent avec l’aisance de ceux qui savent que le banquet est éphémère et qu’il faut en profiter tant que dure la fête.
Faites le test. Demandez autour de vous ce que l’on pense du gouvernement du jour. Il y a fort à parier que la réponse tombera, cinglante et lasse : «Zot preske parey ki lekip chatwa MSM sa!» L’écho d’un désenchantement qui s’étire, inlassable, de législature en législature. Car si l’on change les rideaux et qu’on repeint les façades, à l’intérieur, le mobilier du clientélisme reste solidement arrimé.
À l’aube du changement, on nous avait promis une île Maurice assainie. Une île libérée des mailles serrées du copinage, où les nominations politiques ne seraient plus qu’un lointain souvenir, où l’égalité des chances cesserait d’être un mirage, qu’un panel de sélection ferait un travail impartial afin que la méritocratie remplace le népotisme. On nous avait juré, main sur le cœur, que la fraude et la corruption n’auraient, grâce à des professionnels choisis sur mérite, plus droit de cité, que la tendance serait inversée.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Des anciens ministres ou conseillers retrouvent des corps parapublics. Des agents politiques sont postés ça et là : de la MBC à la FSC, un peu comme hier on avait récompensé Vijaya Sumputh par un salaire indécent, plus élevé que celui du Premier ministre. Des proches, des cousins, des affidés placés ici et là, dans des postes stratégiques, sans passer par le moindre panel de sélection, pourtant tant promis en campagne préélectorale. N’est-ce pas là le reflet inversé d’une autre époque, où les mêmes excès, commis par d’autres, servaient de prétexte à l’indignation ?
Hier, les noms de Mᵉˢ Trilochun, Yerrigadoo, Chetty, Basset, Ragavoodoo ou Sonah-Ori résonnaient à chaque procès intenté par ou contre le gouvernement. Qui seront les remplaçants juridiques ? Qui, de la RDA à la FIU, en passant par l’ICTA, Air Mauritius et la MSCL, s’imposeront comme les bénéficiaires des dossiers juteux ? Qui sont en train d’être choisis comme conseillers ou membres de conseil d’administration mais qui sont si timides qu’ils ne veulent pas qu’on en parle ? «On verra après, c’est trop tôt !» Le film se répète, les dialogues sont connus, seule la distribution évolue au fil des mandats.
Mais pendant que certains festoient, que reste-t-il pour ceux qui se tiennent de l’autre côté du banquet, le nez collé à la vitre sans carton d’invitation, les poches vides et l’amertume au ventre ? Rien ou presque. Une dette publique qui enfle, des services essentiels à bout de souffle, une jeunesse à qui l’on promet des lendemains qui ne chantent plus depuis longtemps.
Les dossiers s’accumulent, et l’opinion s’émousse. Il n’y a plus d’illusion à entretenir : nous savons comment cela fonctionne. Nous avons vu les fils se tendre et les marionnettes s’animer. Nous savons qui tire les ficelles et comment le jeu se joue.
Comme au Kenya, où John Githongo s’était dressé contre un système où le pouvoir est avant tout une occasion de s’enrichir, nous voyons, ici aussi, une caste se partager les ressources publiques avec l’avidité de ceux qui savent que la fête ne dure qu’un temps. Mais à Maurice, qui aura le courage de s’élever contre cet engrenage ? Qui osera dire que la coupe est pleine, que le ventre de la bête est déjà trop rond et que l’heure est venue de refermer le banquet ?
L’alternance n’aura aucun sens si elle ne s’accompagne pas d’un changement de pratiques. Or, chaque élection ramène au pouvoir une nouvelle meute de voraces, pressés de croquer leur part avant que le bal ne s’arrête. Now it’s their time to eat as well!
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