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Les contradictions du pouvoir

21 mai 2025, 05:40

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À l’approche du Budget 2025-26, le gouvernement se retrouve au pied du mur. Il ne peut plus tergiverser. Les masques tomberont. Et ce qui se jouera, au-delà des chiffres, ce sera la cohérence d’un pouvoir qui, depuis six mois, souffle le chaud et le froid, promet la rigueur mais continue de distribuer, évoque l’austérité tout en caressant les clientèles politiques dans le sens du poil. Bref : un pouvoir qui veut tout et son contraire, au risque de provoquer une sanction économique imminente.

Car Maurice, aujourd’hui, est dans une situation très proche de celle des États-Unis décrite par Moody’s : trop d’objectifs contradictoires, pas assez de cap clair. Le FMI, les agences de notation et les investisseurs ne sont plus dupes des effets d’annonce. Ils regardent les actes. Et les actes, jusqu’ici, sont incohérents.

Premier paradoxe : on pleure sur la dette publique – 660 milliards de roupies, soit 89 % du PIB – mais on refuse de tailler dans le gras d’un État devenu obèse. On se plaint du suremploi mais on continue de recruter à tour de bras dans les ministères, les conseils d’administration et les entités parapubliques. Les special advisers et autres collaborateurs politiques se multiplient (dévidant les salles de redaction surtout), alors que le ministre des Finances devrait précisément commencer par balayer devant sa propre porte et accroître la productivité au sein de son armée de fonctionnaires, dont plusieurs se tournent les pouces à longueur de journée.

Deuxième contradiction : on proclame vouloir assainir les finances publiques mais on laisse vivre sous perfusion des corps parapublics déficitaires, gérés comme des succursales politiques. CEB, CWA, SIT, Air Mauritius, Rose-Belle Sugar Estate… Tous ces canards boiteux engloutissent des milliards sans résultats. Chaque année, c’est la même rengaine : des pertes, des plans de sauvetage, des garanties d’État. Mais rien ne change. Pire : le nombre de ces entités ne diminue pas. Aucune réforme structurelle ne les touche. On préfère éviter le clash politique que provoquer le sursaut économique.

Troisième paradoxe : alors que le pays affiche un déficit commercial abyssal de 200 milliards de roupies – trois fois plus d’importations que d’exportations – aucun plan industriel sérieux n’est à l’agenda. L’investissement privé se concentre dans l’immobilier de luxe. Le Made in Moris est devenu un slogan vide de contenu. La Banque de Maurice contrôle tant bien que mal la valeur de la roupie, mais à quel prix ? En réalité, le pays ne produit plus suffisamment. Il consomme, il importe, il construit des villas pour étrangers, mais il n’exporte pas.

Quatrième contradiction : on annonce des mesures fiscales courageuses, mais on continue à ménager les milliardaires. On parle de rigueur mais on oublie de recouvrer les dettes dues à la MIC. On promet de restreindre les exemptions, mais celles-ci bénéficient toujours aux mêmes groupes. On évoque l’austérité expansive, mais elle ne touche ni les grandes fortunes ni les zones d’opacité financière. Ce sont les classes moyennes et les PME qui trinquent, étranglées par les coûts salariaux, l’accès au crédit et les charges sociales.

Cinquième incohérence : on évoque une volonté de décentralisation et d’autonomie locale, mais les dernières élections municipales ont montré l’inverse. Les maires ont été désignés par arrangement politique, sans confrontation d’idées ni débat public. Les administrations locales sont vides de pouvoir et de sous. Ce sont les ministères qui licencient, recrutent, décident. Et pourtant, on continue de parler de démocratie locale. Là encore : le discours et les faits ne coïncident pas.

Et pourtant, il y a urgence. Ce Budget 2025-26 ne peut pas être une simple opération de cosmétique. Il doit être le point de bascule. Car, comme aux États-Unis, la sanction de Moody’s est en embuscade. Si Maurice continue d’afficher un double langage budgétaire – discours de discipline, pratiques de dispersion – elle risque un abaissement de sa note souveraine. Ce serait une bombe à retardement : hausse des taux d’intérêt, fuites de capitaux, instabilité financière.

Faut-il rappeler que malgré les 8,8 milliards de dollars de réserves annoncées, la réalité nette est bien moindre ? Que le déficit commercial dépasse les 4,4 milliards de dollars ? Que l’inflation gronde sous la surface ? Que les marges de manœuvre sont bien plus faibles qu’il n’y paraît ?

Il faut choisir. Choisir entre plaire et gouverner. Entre gérer une fiction et affronter la vérité. Il faut trancher dans le superflu, assainir les structures publiques, réorienter l’investissement, clarifier la politique fiscale et produire, enfin, une cohérence économique. Mais le plus important demeure le dosage et la communication…Pour l’heure, on avance en désordre, un ministre annonce qu’on va recruter 3 000 travailleurs, un autre dit qu’on n’en a pas les moyens et qu’il ne faut plus faire rêver (pour ne pas dire : couillonner).

Le moment de vérité approche. Et s’il n’est pas saisi, alors le pays, comme tant d’autres avant lui, découvrira que la crédibilité, une fois perdue, coûte plus cher à restaurer qu’à préserver

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