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Mahend Gungapersad : «L’ecole est le reflet de la société et la violence nous concerne tous»

15 juin 2025, 08:00

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Mahend Gungapersad : «L’ecole est le reflet de la société et la violence nous concerne tous»

Mahend Gungapersad, ministre de l'Éducation et des ressources humaines

Ancien recteur, ancien enseignant et ancien part-time lecturer, il a été responsable du dossier de l'éducation dans l'opposition. Il a posé des questions sur l'éducation et pris position sur une série de mesures de l'ancienne ministre avait prises. Le ministre, invité de Décryptage, se dit à l'aise dans son domaine de prédilection et fait un inventaire des problèmes et des mesures prises depuis sa nomination.

Récemment on a vu des vidéos de violences dans les écoles, comment gérez-vous ce problème ?

Vous soulevez un problème réel qui nous affecte tous, qui existe dans les rues, dans les cellules familiales et dans l'ensemble des écoles. Alors, nous nous demandons si l'école pourrait être épargnée quand dans la société il y a beaucoup de violences et problèmes comme la drogue, le bullying, entre autres ? L'école est un reflet de la société. Quand la société se porte mal, elle amène beaucoup de répercussions dans le comportement des élèves, dans le comportement des professeurs et celui des parents. C'est inacceptable que des parents entrent dans l'enceinte de l'école et agressent les enseignants. C'est pourquoi je lance un appel à tous les adultes sur leur comportement, leur façon de parler, leur façon d’interagir avec leurs voisins, leurs collègues car cela a un impact direct sur les enfants. Ces enfants-là vivent dans un milieu toxique où matin, midi et soir il y a des insultes, des agressions et de la violence. À leur tour, quand ils entrent à l'école, ils pensent que c'est normal. Les parents sont les premiers enseignants des enfants et c’est un grand rôle.

Au ministère quelles mesures avez-vous mis en place pour contrer ce problème ?

C'est avant tout un travail qui commence par les parents. Nous avons constitué un High Powered Committee sous la responsabilité du Chief Technical Officer (CTU), du ministère de l'Éducation, qui chapeaute un comité pour Manage Discipline dans nos écoles. Ce comité est constitué d'un officier du ministère, d'un policier, d'un psychologue, d'un responsable de la protection de la famille et nous voulons, dans les jours à venir, étendre ça avec des travailleurs sociaux et des ONG luttant contre le bullying, le suicide, la prolifération de la drogue et tous les gens de bonne volonté qui veulent aider l'école. Je suis le premier à vous dire que ces problèmes existent sans cacher la vérité. Nous devons faire du capacity-building avec ceux directement face à ces élèves-là – recteurs, enseignants, non-teaching staff, mais demandons aussi aux policiers, conducteurs d'autobus, etc. de nous donner un petit coup de main. Je veux remercier la force policière qui a commencé à descendre dans nos gares pour sensibiliser ces enfants. Je déplore un incident récent. Une personne qui descend d'un autobus pour essayer de discipliner un peu les enfants a été violemment agressée. C'est un incident grave. N'importe quel type de violence n'est pas acceptable dans une société respectable et je compte sur la bonne foi des Mauriciens et leur volonté. Car ce n'est pas le combat d'une personne, mais celui de toute la nation.

Vous avez promis un système éducatif à visage humain. Comment mettre cela en place dans l'état de l'économie ?

J'ai démarré ce ministère sans grand investissement financier. Mais il y a aussi la bonne foi. Nous avons commencé par ramener les cinq à trois crédits pour les enfants qui ne peuvent pas aller à l'université. C'est un aspect humain. Nou pa get sa bann zanfan la zot zefor. Ti pe rezet zot. Pa ti pe get zot milie sosial. On les laisse monter en Lower Six et les équipons pour l'avenir. Ça, c'est le visage humain. L'autre grand problème, c'est l’enfant qui échoue au PSAC, que nous mettons dans le standard stream vers l'examen du NCE. Alors, nous tenons un examen pour deux catégories d'enfants, les mainstream students qui ont réussi le PSAC, et 3 000 autres enfants qui ne peuvent pas réussir au PSAC, à qui nous donnons quatre ans, pour prendre le même examen. Un examen ultra que nous faisions subir à ces enfants-là. Nous ne trouvons pas cela correct. C’est pour ça que nous avons le Foundation Program et l'occasion de maîtriser le basic literacy, basic numeracy, basic computer skills, des valeurs et des development skills. Ils ont appris le slam ou monté leur propre groupe de musique, des choses qu'ils n'allaient pas apprendre avec le NCE. Et graduellement, nous pourrons les envoyer vers des institutions spécialisées pour développer davantage ces acquis. Avant, ces enfants-là n'avaient aucun certificat alors qu’ils sortiront du Foundation Program, avec un certificat pour valider leurs compétences. Nous leur donnons du self-esteem. C'est ça le visage humain. En même temps, ces enfants sont retournés vers l'éducation et bientôt, on aura une rencontre au niveau de la musique et de la danse. C'est bien que nos enfants puissent aller à l'école, non seulement pour le volet académique, mais aussi avec l'amour, avec l'affection, parce qu'ils peuvent nous montrer leur talent.

Comment comptez-vous encourager les enseignants dans leur métier ? Est-ce toujours facile pour un enseignant de vivre décemment avec son salaire ?

J'ai été enseignant. C'est normal qu'ils veuillent une hausse de leur salaire. Mais beaucoup aiment un certain autre salaire, la fierté d’enseigner. Toutefois, il y a eu la loi que les enseignants du secondaire avaient besoin d'un PGCE pour enseigner. Cela a entrainé un manque d'enseignants qui continue aujourd'hui. Par exemple, pour le KM, nous manquons d'enseignants mais ce sera résolu dans les années à venir. C'est dommage que certains parents entrent dans les écoles pour brutaliser les enseignants. Cela les décourage et a un impact sur leur autorité. Je demande aux parents d’avoir du respect pour leurs enseignants et je condamne toute forme d'agression. C'est inacceptable. Pour un enseignant, voir son élève réussir, c'est ça son salaire.

Pour revenir aux salaires, il y a aussi la réalité que certains professeurs doivent donner des leçons particulières pour arrondir leurs fins de mois.

Je pense que si on commence à dispenser une éducation de qualité à l'école, cela réduira les leçons particulières, qui sont aussi le choix des parents. Néanmoins, certains enseignants négligent les enfants à l'école pour les forcer à prendre des leçons particulières. C'est inacceptable, parce qu'il y a des enfants qui ne peuvent se payer des leçons. L'autre chose importante, c’est la formation continue. La personne qui s'est formée il y a 25 ans, doit aujourd'hui, d'ailleurs avec l'IA, le ChatGPT, la technologie, mettre à jour ses compétences et méthodologies d'enseignement. Dans le budget, est prévu un curriculum advisory board pour un curriculum adapté aux professeurs et un National Education Council avec des représentants de plusieurs secteurs de l'éducation – parents, élèves, enseignants, syndicalistes autour d'une table pour travailler au bien-être de nos enfants.

Vous avez décidé d’interdire le téléphone portable à l'école ?

Oui il y avait alors une certaine réticence mais j'ai écouté les jeunes et j'ai compris qu'il fallait les laisser prendre leurs responsabilités. Certaines écoles ont une no-phone zone ou pas de téléphone. Dans certaines écoles ça marche et parfois, la règle de no-phone n'est pas respectée. Je salue les headboys et headgirls – que j’ai rencontrés – et qui ont su s'aligner avec cette décision sans qu'on ait à se battre ou se disputer. Mais, si jamais il faut mettre des règles, je le ferai. Néanmoins, là où j'étais recteur, on n'avait pas le droit d'utiliser le téléphone durant les heures de classe. Sauf si l'enfant devait communiquer avec ses parents s'il était malade ou autre. Il y a aussi les vidéos que les enfants font et qui portent préjudice à l'enfant mais aussi aux enseignants.

Vous me ramenez à une vidéo sur Facebook où un enseignant est «bullied». Comment rassurez-vous les enseignants ?

C'est inacceptable d'humilier une personne de la sorte. J'ai vu une autre vidéo où des enfants se font agresser. Il faut sensibiliser nos enfants. Il y a des parents qui ont agressé des enseignants ou des enfants qui ont fait des vidéos pour nuire à des enseignants. Il faut que la justice suive son cours. Mais je lance un appel aux enfants : faites attention aux vidéos que vous faites et à l'usage de votre téléphone car ça peut avoir un impact psychologique sur une personne. Ne faites donc pas des choses qui pourront vous causer des problèmes judiciaires plus tard.

Malgré le contexte budgétaire difficile, l'éducation recevra Rs 438 millions pour moderniser les infrastructures des écoles. Pensez-vous cela suffisant ?

Le budget que nous avons eu est plus de Rs 20 milliards. J'ai hérité d'un ministère qui ne s'occupait pas des écoles pendant 10 ans. Pendant des années, les enfants ont été négligés. C'est pour ça qu'en décembre 2024 nous avons donné Rs 100 000 aux écoles pour refaire les toilettes et toitures. Certaines écoles ont plus de 70 ans et doivent être pulled down. Cette somme n'est pas suffisante mais malgré un contexte difficile on a eu une enveloppe pour adresser tous les problèmes. Mais nous avons un mandat de cinq ans et il y a d'autres priorités car Moody's nous surveille.

Quand vous parlez de plus de soutien aux écoles SEN, vous faites allusion à quoi ?

Nous avons à cœur ces écoles. Par exemple, les frais de taxis pour ces enfants-là seront remboursés. Ils ont aussi besoin d'un carer à l'école. J'avoue un manque d'assistance et de carers mais une fois le board du SENA constitué, on pourra pallier ce manquement. Il y a aussi un problème de matériel – braille ou matériel auditif. Je félicite certains ONG que j'ai visités pour leur dévouement. En dépit de ce qu'on pourrait dire sur le système éducatif, nous devons reconnaître qu'il y a des hommes et de femmes qui s'occupent bien de nos enfants et nous faisons tout pour que ces écoles puissent disposer de ce qu'il faut pour les enfants.

Quelles recommandations des assises de l'éducation vous ont le plus impressionné ?

Il y en a eu beaucoup et elles sont compilées en ce moment. Nous les avons tenues à Maurice et Rodrigues. Il y a eu beaucoup de demandes faites et je vais bientôt les annoncer après avoir consulté le cabinet. J'apprécie que cela s'est bien passé même si certains ont dit qu'ils n'ont pas eu la chance de s'exprimer mais d'autre part on ne pouvait pas écouter tout le monde. Je reçois toujours des suggestions tous les jours. Je vais bientôt annoncer les grandes mesures des assises.

Vous avez annoncé un Blueprint et des améliorations pour le secteur de l'éducation. Mais un aspect qui mérite d’être revu, c'est la gestion en cas d'intempéries quand des parents doivent se lever à 4 heures du matin pour savoir s'il y aura école ou pas ?

Il y a eu une réflexion approfondie à ce sujet et je suis sensible à ce que vous dites. Il y a des enfants qui sont déjà à l'arrêt d'autobus et qui doivent prendre trois bus pour aller à l'école. Des fois c'est seulement quand ils ont fini de couvrir une bonne partie du parcours qu'ils doivent malheureusement rentrer par mauvais temps. Il y a eu un débat sur le sujet avec plusieurs ministères concernés sous le PMO. Nous viendrons avec des décisions importantes bientôt. Aujourd'hui il faut une annonce pour les différents secteurs – secondaire, tertiaire, crèches. Je pense à ses familles qui s'organisent le matin pour que les enfants puissent aller à l'école. Il faut qu'on pense à un bon plan B pour la sécurité de nos enfants. Nous allons nous organiser pour voir le problème en long et large.

Pour terminer pouvez-nous nous expliquer cette mesure de doubler le nombre d'étudiants étrangers à Maurice ?

Il est important de mettre en avant nos universités. Nous devons devenir un Education Hub pour le secteur tertiaire et nous devons pouvoir accueillir ces étudiants étrangers. Des Sud- Africains veulent venir chez nous pour l'aspect sécurité et même des Indiens et des Népalais. Pourquoi ? Parce que peut-être qu’en Europe ça coûte plus cher mais aussi parce que chez nous c'est accueillant et multiculturel. C'est pour ça qu'il faut qu'on fasse attention à ne pas abîmer la réputation de Maurice et trouver un autre type de vivre-ensemble et de mauricianisme.

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