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Modus operandi des trafiquants
Le zamal se fait griller, le cannabis thaï fait un tabac
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Modus operandi des trafiquants
Le zamal se fait griller, le cannabis thaï fait un tabac

L’emballage des produits saisis ici ressemble fortement à ceux interceptés dans d’autres juridictions.
Alors que les autorités mauriciennes multiplient les saisies sur le front de la lutte contre le trafic de drogue, une tendance se dessine clairement : le cannabis thaïlandais, plus raffiné et plus puissant, gagne du terrain sur le marché local au détriment du zamal réunionnais, dont l’acheminement par voie maritime est aujourd’hui mieux maîtrisé.
Avec la légalisation partielle du cannabis en Thaïlande en 2022, les réseaux de trafiquants n’ont pas tardé à exploiter les nouvelles facilités de production et de distribution. À Maurice, les récentes saisies révèlent un schéma transnational reliant la Thaïlande, l’Angleterre, Dubaï et Maurice, souvent via des passagers aériens, certains transportant la drogue à l’insu des autorités, parfois même dissimulée dans des objets du quotidien ou sur des enfants. Le cannabis thaïlandais circule sous des formes variées : fleurs séchées, huiles concentrées, bonbons au THC ou encore vapes préremplies. Derrière ces produits attrayants se cache une puissance de frappe redoutable, avec des taux de THC (la molécule psychotrope) atteignant jusqu’à 25 %, contre une moyenne de 5 à 12 % pour le zamal. Alors que le cannabis thaïlandais est vendu à Rs 3 000 le gramme, allant jusqu’à Rs 3 millions le kilo, le zamal se vend à Rs 1,8 million le kilo et Rs 1 800 le gramme, selon un préposé de l’Anti Drug and Smuggling Unit.
Ce circuit de plus en plus actif a été mis en lumière à la suite d’un contrôle de bagages qui a abouti à une saisie spectaculaire : 161,91 kilos de cannabis retrouvés sur plusieurs passagers, dont un enfant de sept ans utilisé comme mule, pour une valeur marchande estimée à Rs 194,2 millions. Une découverte jugée «préoccupante» par les autorités, car elle marque un tournant dans les méthodes des trafiquants.
Questions à… Prabhas Reesaul, ancien «team leader» de la CANS
«En 2024, le marché légal thaïlandais était estimé à USD 1,31 milliard»
Ancien team leader de la Customs Anti-Narcotics Section (CANS) de la Mauritius Revenue Authority (MRA), Prabhas Reesaul cumule 36 années de service au sein des douanes.
Qu’est-ce qui explique l’augmentation récente des saisies de cannabis ou de produits dérivés en provenance de la Thaïlande ?
Depuis que la Thaïlande est devenue, en 2022, le premier pays d’Asie à partiellement légaliser le cannabis, la production a fortement augmenté, aussi bien dans les circuits légaux qu’illégaux. En 2024, le marché légal thaïlandais était estimé à USD 1,31 milliard et il pourrait atteindre USD 7,1 milliards d’ici 2030. Le prix du cannabis y est nettement plus bas qu’ailleurs, ce qui en fait une source privilégiée pour les trafiquants. Cette dynamique a engendré une hausse notable du trafic international, notamment à destination de pays comme Maurice.
■ Avez-vous observé une évolution des réseaux de trafic depuis cette légalisation ?
Oui. À Maurice, comme dans d’autres pays de la région, les autorités constatent une recrudescence des saisies de cannabis en provenance directe ou indirecte de la Thaïlande. Fait marquant : l’emballage des produits saisis ici ressemble fortement à ceux interceptés dans d’autres juridictions. Cela laisse penser à l’existence de réseaux structurés opérant à partir du territoire thaïlandais.
■ Les produits transportés sont-ils principalement destinés à un usage personnel ou à l’alimentation de réseaux ?
On observe les deux cas. Des voyageurs sont arrêtés en possession de petites quantités (quelques grammes), suggérant un usage personnel. Mais d’autres transportent plusieurs kilos, ce qui correspond clairement à une intention de distribution sur le marché local.
■ Qui sont les passeurs et comment opèrent-ils ?
Historiquement, les trafiquants utilisaient surtout des Africains ou Thaïlandais comme mules. Mais aujourd’hui, des Européens sont de plus en plus sollicités, car ils attirent moins l’attention. Les drogues sont souvent dissimulées dans des valises – rigides ou souples – parmi des effets personnels. L’emballage est conçu pour être hermétique aux odeurs afin d’échapper aux chiens renifleurs. Les dernières saisies concernent aussi bien des hommes que des femmes âgés de 20 ans à plus de 50 ans. Les itinéraires incluent généralement une escale à Dubaï, mais certains passent aussi par le Royaume-Uni, bien que le conditionnement laisse penser à une origine thaïlandaise.
■ Quels défis ce type de trafic pose-t-il à l’aéroport ?
Le flux élevé d e passagers à certaines heures complique la tâche des services de douane. Heureusement, des outils récents comme l’Advance Passenger Information System et l’installation de nouveaux scanners renforcent l’efficacité des contrôles. Le profilage basé sur un système de gestion des risques permet de mieux cibler les passagers suspects. Mais il faut noter que dans les aéroports de départ, les bagages ne sont souvent scannés que pour les explosifs et non pour les stupéfiants, d’où l’importance d’une détection fine à l’arrivée.
■ Peut-on dire que le trafic maritime de cannabis vers La Réunion est en recul ?
Oui, en partie. Le cannabis thaïlandais est non seulement plus accessible mais aussi d’une qualité relativement supérieure. De plus, les autorités maritimes comme la National Coast Guard (NCG) et la MRA ont renforcé les contrôles sur les petites embarcations. Plusieurs skippers impliqués dans la contrebande ont été arrêtés à Maurice ou à La Réunion. Enfin, le transport par voie aérienne revient moins cher pour les trafiquants que la mobilisation d’un bateau avec un équipage.
■ Ces contrôles renforcés portent-ils leurs fruits ?
Oui. La NCG et la MRA sont aujourd’hui mieux équipées et collaborent plus efficacement. Cela a permis d’intercepter plusieurs tentatives de trafic maritime, notamment à bord d’embarcations de plaisance.
■ Les trafiquants ont-ils changé de méthode ? Cela semble être le cas. Les itinéraires et méthodes évoluent sans cesse pour contourner les contrôles. Les autorités doivent donc rester en alerte permanente, car les réseaux criminels exploitent rapidement toute faille.
■ La surveillance sur les bateaux de plaisance s’est-elle intensifiée ? Absolument. La NCG et la MRA coopèrent étroitement, en collaboration avec d’autres entités comme l’Anti Drug and Smuggling Unit, le département des Pêches et la Financial Crimes Commission. Le partage d’informations s’est intensifié, ce qui améliore la réactivité des interventions.
■ Existe-t-il une coopération entre les douanes mauriciennes et réunionnaises ? Oui, un memorandum of understanding est en vigueur pour assurer une coopération fluide entre les deux territoires. Cela facilite les échanges d’information et la coordination des opérations conjointes
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