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Du processus électoral

Le vote et l’artiste-poète

16 décembre 2024, 05:27

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Le vote est sacré. Or, que constatet-on dans le monde actuel ? Une véritable banalisation du vote ! Le consommateur fait désormais concurrence au citoyen. Il est systématiquement poussé à voter. Pour choisir tel produit ou s’abonner à tel programme. La machinerie du marketing s’accroche à son client. Pour qu’il s’exprime avant, pendant et après qu’une nouvelle marque de dentifrice a trouvé une place sur l’étagère des supermarchés. Par ailleurs, le sondage n’est-il pas devenu presque une science moderne ? Il s’agit d’un processus reposant sur votre «vote» à partir d’une liste.

Alors que les élections démocratiques sont périodiques, vous êtes quotidiennement sollicité pour sélectionner votre papier-toilette préféré ou indiquer votre destination touristique de rêve. Le phénomène des réseaux sociaux a poussé la vulgarisation du vote encore plus loin. Pour masquer l’opération, l’on a rebaptisé le vote par le mot anglais, like. Avec tant de force que la langue française s’est pliée en s’empressant d’inventer un nouveau verbe : liker.

Totalement manipulé par les géants occultes de la toile, chacun se donne des airs de candidat se livrant à un jeu de célébrité de mauvais goût. L’on se photographie sans nulle autre raison que de mener sa mini-campagne pour le Parti Vanité… Entre autres fonctions, les téléphones portables servent à mener une campagne permanente où des milliards sont candidats au like de leurs followers (un autre mot anglais emprunté du jargon électoral voulant dire «partisans»).

Les programmes de télévision en direct s’y mettent aussi en mobilisant l’intérêt public tout en singeant le processus électoral. Ces jeux (et l’écho médiatique qui en amplifie l’importance) éveillent des émotions collectives douteuses. Pour un euro, une roupie ou un dollar, l’on vote ainsi pour élire le chanteur aux aptitudes de star dans un populaire programme de télé. Des démocrates s’exerçant au processus démocratique ? Ou désacralisation du vote ? Cela dit, si dans les démocraties, le pourcentage de non-votants aux élections devient alarmant, ce serait pour des raisons diverses. La puissance de l’argent et la désillusion du citoyen y sont pour quelque chose.

Mais tout ceci justifie-t-il le fait que je ne vote pas ? Ma réponse doit être claire sans prétendre être un exemple à suivre. Non seulement suis-je d’abord un artiste, mais j’ai accordé mes modestes moyens et mon énergie à comprendre et à défendre poètes et artistes. Ma conviction profonde se résume à ceci : le poète serait à son propre titre un «élu de la terre». Selon des critères jamais expliqués, puisqu’irrationnels, voire arbitraires. Bref, il serait lui-même sélectionné parmi la foule par ce qu’il convient d’appeler «les forces de la nature».

Ni la naissance, ni le physique, ni la fortune, ni l’éducation, ni l’ethnie importe dans la genèse du poète. Sa fonction serait par nature distincte du reste des citoyens, invités aux élections à voter entre des candidats listés. L’art étant intrinsèquement universel, l’on attend de l’artiste-poète un éclairage oblique, éclairant non seulement son coin de terre, mais la grande famille humaine. Toujours par le biais de l’œuvre et par la poésie. L’éclairage que porte l’artiste et le poète devrait bénéficier au citoyen et au chef élu. Un peu hors du temps, l’artiste renoue les liens précieux avec l’ancêtre disparu, tout en ouvrant la voie pour l’enfant à naître.

Ainsi, l’art toucherait tant au temporel qu’au spirituel. Tout en se démarquant de la religion. D’où cette licence tacite de la société (démocratique ou pas) accordant à l’artiste-poète le droit de critiquer (positivement ou négativement) les gouvernants. Toujours en éduquant le peuple. D’où, à l’inverse, méfiance et jalousie instinctives du politique à l’égard du poète-artiste, parfois trop adulé par le peuple au goût de l’élu… Ce qui fait la différence, c’est l’enjeu.

Un vrai poète ne recherche ni les clés du pouvoir, ni les avantages personnels, ni les applaudissements faciles. Il reste en quête d’absolu, au service de la beauté et d’un idéal commun, si ce n’est d’une forme d’humanisme. Intuitivement, il aspire à une société juste. Car, oui, lorsqu’on naît artiste, il y a aussi une lourde charge à porter. Arbitrairement. Une responsabilité presque absurde aux yeux des autres. La mission qui est la sienne l’oriente vers une forme d’objectivité, si ce n’est de neutralité. En outre, le travail du poète s’insère dans une certaine permanence.

Est-ce qu’une telle charge l’absout du devoir de voter aux élections ? J’assume le paradoxe de valoriser la liberté sans pour autant voter.

* À paraître par Daniel Labonne, le livre QUEL THÉÂTRE POUR QUEL PEUPLE (Théâtre Matrice).

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