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Le murmure d’une réforme attendue

25 mars 2025, 08:50

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Contrairement aux politiciens qui tricotent leurs mots comme on noue des filets de pêche – pour attraper sans se faire prendre – Babita Thannoo, invitée cette semaine dans Décryptage, parle sans filet. Son verbe est franc, presque brut, et pourtant traversé d’une tendresse désarmante pour le pays et le peuple. Il y a chez elle cette lueur des générations métissées, nées après les grands soubresauts, mais encore prisonnières d’un échafaudage institutionnel conçu dans un autre siècle. Elle espère, avec d’autres, que le chantier de réforme constitutionnelle, annoncé pour dans deux mois, ne sera pas qu’une opération de retouche.

Car pour l’heure, on veut couper la poire ethnique en deux : créer une cinquième catégorie de «candidats mauriciens» pour ceux qui refusent de s’inscrire dans les quatre cases communautaires… mais leur interdire, en même temps, le droit au repêchage. On hésite aussi à abolir le Best Loser System, ce système à la fois rafistolé et sacralisé, au cœur des divisions de l’Alliance du changement. L’héritage colonial a laissé ses chaînes, même là où il a prétendu offrir des béquilles

ReA, en septembre 2022, après un rejet sec de sa plainte constitutionnelle, n’avait pas lâché prise. Face à un État crispé, à une Commission électorale sourde et à des institutions qui préféraient les silences à la transparence, le mouvement de gauche a continué de dire haut pourquoi des regulations de 1968 ne pouvaient plus régir la vie d’une République moderne.

Ce combat est autant juridique que symbolique : il s’agit de désamorcer une mécanique d’exclusion.

Mais, bien des années plus tard, la réforme peine encore à naître. Pourquoi ? Parce qu’elle dérange. Parce qu’elle implique la proportionnelle, ce mot honni qui fait encore trembler les majorités. Pourtant, l’Histoire – notre histoire – l’a déjà effleurée, comme un espoir avorté.

C’était à Londres, en 1965. Anthony Greenwood voulait nous donner une architecture politique digne d’un peuple en devenir. Il envoya Harold Banwell, l’arpenteur scrupuleux, qui marcha sur la terre mauricienne pendant 28 jours avant de proposer une ingénieuse greffe démocratique : un correctif variable pour accorder à tout parti ayant 25 % des voix, au moins 25 % des sièges. Un garde-fou contre la tyrannie d’une majorité arithmétique. Mais Ramgoolam-père, hanté par le sort de Cheddi Jagan en Guyane, préféra le confort d’un système verrouillé. Alors Londres, pour calmer les passions, dépêcha John Stonehouse – le tailleur de compromis – qui, en supprimant la proportionnelle, inventa le Best Loser System.

Ce système, fondé sur une logique communautaire figée, exigea un recensement d’un autre âge. Et depuis, nous vivons sous le joug du First Past The Post, avec ses excès, ses injustices, ses silences et ses ‘data’...datant de 1972. Chaque élection devient une caricature de représentation. Et chaque réforme, une illusion d’équilibre.

Aujourd’hui encore, il faut croire qu’un jour, d’autres vont déconstruire ce que d’autres ont cousu sur mesure pour nous. Mais cette fois, ce ne sera peut-être ni à Londres, ni à Port-Louis que la mèche s’allumera – mais dans les mots simples, précis, et profondément mauriciens, d’une femme comme Babita Thannoo.

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