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Le chant étouffé de notre zîle

22 février 2025, 08:30

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Depuis hier, 26 ans déjà, et pourtant, le mystère demeure. La mort de Kaya, ce chantre du seggae, reste enveloppée de zones d’ombre, précisément parce que ceux qui avaient charge de sa détention, et donc de sa sécurité, n’ont pas vraiment eu à rendre de comptes. Ce silence d’État, lourd comme une chape de plomb, a laissé libre cours aux doutes, aux soupçons, et surtout, à une colère sourde qui, en ce mois de février 1999, avait embrasé les rues du pays.

Vingt-six ans plus tard, peut-on vraiment prétendre que nous avons appris de ces événements ? Les flammes des émeutes ont léché le pays, réveillant des fractures que l’on croyait scellées, réveillant la peur du voisin, la peur de l’Autre.

À l’origine, une simple histoire de fumée, de feuilles roulées et brûlées, de libertés individuelles heurtant les dogmes d’un ordre figé. Si Kaya n’avait pas eu l’audace d’allumer ce joint sur scène, à Rose-Hill, ce soir-là, aurait-il connu l’humiliation des geôles ? Aurait-il rejoint, trop tôt, le panthéon des voix réduites au silence ?

Mais l’histoire n’aime guère les «si». Si un avocat s’était levé pour plaider sa cause, si la machine judiciaire s’était montrée plus clémente, si un simple dépôt de caution avait suffi, peut-être que les pierres ne seraient pas tombées sur les boucliers, peut-être que les vitrines n’auraient pas volé en éclats, peut-être que Kaya aurait continué à chanter la misère et l’espoir, à tisser le lien fragile entre les âmes dispersées de l’île.

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Le chant du passé et la surdité du slam présent ! Aujourd’hui, la voix de Kaya résonne encore, mais les oreilles qui devraient l’entendre restent volontairement bouchées. Lorsqu’un Premier ministre affirme que la dépénalisation du gandia n’est pas à l’ordre du jour, à notre avis, il ne fait que s’accrocher aux dogmes d’une époque révolue. Comme si la simple interdiction suffisait à masquer l’échec flagrant des politiques répressives, comme si elle pouvait cacher l’ampleur du fléau qui gangrène notre jeunesse – non pas le gandia, mais les drogues dures et artificielles, simik à souhait, l’héroïne et les synthétiques qui rongent les veines de nos enfants et adultes, les substances synthétisées qui les transforment en spectres errants.

Que gagne-t-on à poursuivre une guerre perdue d’avance ? Des prisons engorgées de fumeurs du dimanche, côtoyant de véritables criminels. Une force policière mobilisée pour traquer quelques grammes d’herbe, pendant que l’héroïne s’écoule sans entrave jusque dans les cours d’école. Une hypocrisie d’État qui empêche de voir que là où le gandia «bio» est banni, les poisons de synthèse se déploient en maîtres.

Le rapport de la commission d’enquête Lam Shang Leen l’a pourtant bien souligné : la répression n’a fait qu’empirer la situation. Mais qui, aujourd’hui, veut vraiment écouter ? Le nouveau Czar montre de bonnes dispositions, mais la volonté seule suffira-t-elle ? Qui osera briser le cercle infernal et adopter un regard neuf, loin des postures moralisatrices et des calculs électoraux ?

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Les enfants de Kaya sont toujours l à , opprimés , marginalisés, jugés sur leur apparence, sur leurs choix, sur leur volonté d’être libres. Les dreadlocks dérangent, le reggaeman est toujours perçu comme un délinquant en puissance. Une société qui condamne la liberté d’être est une société qui trahit ses propres fondements.

Faut-il attendre encore 26 ans pour que la lumière soit enfin faite sur la mort de Kaya ? Faut-il que d’autres prophètes tombent pour que l’on accepte enfin de questionner ce qui mérite de l’être ? L’île, longtemps bercée par les vagues du progrès, semble aujourd’hui à l’ancre, refusant de lever les yeux vers l’horizon.

Écouter Kaya, c’est comprendre que le combat n’est pas terminé. C’est entendre, derrière chaque note, l’appel d’un peuple qui réclame justice, reconnaissance et dignité. Ce n’est pas une question de drogue naturelle, c’est une question de liberté. Simplement.

Pour Kaya. Pour toujours.

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