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L’art de tomber toujours debout

17 mars 2025, 05:30

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Parmi cette cohorte d’hommes et de femmes politiques qui hantent les couloirs du pouvoir, il en est qui avancent avec la prudence du renard et la patience du serpent. Satish Faugoo, Sarat Lallah, Rajesh Jeetah ou Yatin Varma pourraient être de ceux-là. Leurs pas sont mesurés, leur regard d’une fixité troublante. Lorsqu’ils parlent, c’est souvent en ménageant une issue de secours. Ils appartiennent à cette race d’apparatchiks rouges que la politique ne façonne pas, mais qu’elle révèle, sculptant dans la pierre brute d’une ambition patiente les traits de personnages romanesques, attendant qu’un bout de fromage tombe de l’arbre redressé.

Ces apparatchiks qui attendent reconnaissance ou récompense ne sont pas des tribuns enflammés. Ils sont de ces hommes d’appareil qui préfèrent le murmure au cri, l’ombre à la lumière, l’attente au coup d’éclat. Leur carrière, commencée sous les auspices du Parti travailliste, s’est construite dans la discrétion et l’ascension méthodique. Ministres ou députés sous Navin Ramgoolam, ils ont tissé leur toile dans les méandres du pouvoir sans jamais se laisser prendre aux illusions de la fidélité. Ils n’ont pas eu de ticket, mais alors ?

Nos personnages ont compris très tôt que la politique n’est pas une question de loyauté mais de positionnement. Lorsqu’en 2005, Faugoo devient ministre de la Santé, puis en 2008 ministre de l’Agro-industrie, il n’est pas de ceux qui s’opposent, mais de ceux qui attendent. Il sait que le temps est une arme redoutable, que l’usure du pouvoir sape même les fondations les plus solides. Il sert, il observe. Il endure, mais il calcule. En juin 2013, Faugoo est nommé Attorney General (en remplacement au boxeur Yatin Varma) tout en conservant son autre portefeuille ministériel. Un double titre qui le plaçait jadis dans les sphères les plus influentes du pays. Mais Faugoo sait, comme tout bon tacticien, que le pouvoir ne s’agrippe pas : il se manipule. Sa fidélité n’est qu’une façade, une posture commode derrière laquelle il prépare l’après.

Février 2023. Faugoo jette le masque. Le Parti travailliste, qu’il a servi pendant 25 ans, est à la dérive, affirme-t-il. Ramgoolam, ce monarque vieillissant, a confisqué la machine du parti, vidé les instances de leur substance, assène-t-il sans pitié. Faugoo se pose en homme libre, en voix de la raison. Il parle d’un parti où la parole s’éteint, où les décisions se prennent en cercle restreint, où l’avenir se joue à huis clos. Il pense que les autres sont derrière lui.

Les mots sont choisis avec soin : one-man show, hijacked, désordre total. Avec d’autres ex-ministres, il se présente comme l’ultime garant d’un certain idéal, celui d’un PTr rénové, structuré, gouverné par la raison et non par les caprices d’un seul homme. Il sait que l’attaque est audacieuse, mais elle est mûrement réfléchie. Qui ne tente rien n’a rien.

Faugoo, Varma et consorts ne sont pas si naïfs. Ils savent qu’ils ne pourront jamais ravir la tête du parti, qu’on ne les laissera pas s’imposer comme une alternative. Mais ils ne veulent pas être rois : ils veulent être indispensables.

Puis en mars 2025, Faugoo est annoncé à la Financial Services Commission (FSC), l’une des institutions les plus stratégiques du pays. Un poste où l’on ne parle pas, mais où l’on pèse. Un poste où l’on ne s’expose pas, mais où l’on arbitre. Une nomination qui fait grincer des dents jusque chez les rouges. Hier, il voulait la tête de Ramgoolam. Aujourd’hui, il trouve refuge sous l’ombre du pouvoir en place. Il a compris une chose en politique locale : l’essentiel n’est pas d’être fidèle, mais d’être indispensable.

On le répète : Faugoo n’est pas un cas isolé. Il est l’illustration parfaite d’un certain type d’homme politique, celui qui fait de la politique non pour servir, mais pour s’assurer une place à la table du pouvoir. Il est de ceux qui n’ont pas de convictions trop rigides, qui adaptent leurs discours au gré des circonstances, qui savent qu’en politique, la survie est une question de souplesse et non de droiture.

Car il appartient à cette engeance d’hommes que Balzac décrivait avec une précision impitoyable : des hommes qui naviguent entre idéalisme et opportunisme, des hommes qui tombent toujours, mais jamais du mauvais côté.

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