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Analyse du Foreign Policy Research Institute
La restitution des Chagos, une opportunité stratégique pour les États-Unis
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Analyse du Foreign Policy Research Institute
La restitution des Chagos, une opportunité stratégique pour les États-Unis

■ La restitution des Chagos à Maurice ne signifie pas une perte pour les États-Unis, mais plutôt une opportunité de réajuster leur stratégie et renforcer leur légitimité dans une région sous pression.
Alors que les négociations entre le Royaume-Uni et Maurice sur la souveraineté de l’archipel des Chagos avancent, une récente analyse du Foreign Policy Research Institute (FPRI) met en lumière les implications stratégiques majeures de ce Chagos Deal pour les États-Unis et leur présence militaire dans l’océan Indien. Le think tank américain examine en profondeur comment ce transfert de souveraineté pourrait redessiner la carte militaire américaine dans une région géopolitiquement sensible.
Au cœur de l’archipel des Chagos, l’atoll de Diego Garcia représente l’un des points névralgiques de la puissance militaire américaine à l’étranger. Il abrite une base militaire conjointe américano-britannique dotée d’un port en eau profonde, d’une piste capable de recevoir des bombardiers stratégiques, des ravitailleurs et des infrastructures de communications satellites de pointe. Cette base joue un rôle central dans les opérations de surveillance, de logistique et de dissuasion stratégique des États-Unis, notamment dans des zones d’intérêt prioritaire, telles que le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie du Sud-Est.
Depuis le début des frappes aériennes contre les rebelles houthis au Yémen en mars 2025, les États-Unis ont intensifié leur utilisation de Diego Garcia. L’analyse du FPRI souligne l’envoi de bombardiers furtifs B-2, de transporteurs C-17 et de ravitailleurs KC-135, comme une démonstration de force destinée non seulement aux Houthis, mais aussi à l’Iran et à ses alliés. Dans ce contexte d’insécurité maritime, marqué par des attaques contre les routes commerciales du détroit de Bab-el-Mandeb, la base joue un rôle essentiel dans la défense de l’ordre international fondé sur des règles.
Une base face aux mutations géopolitiques
Le FPRI met en lumière une dynamique de plus en plus complexe dans la région Indopacifique. Face à la montée en puissance de la Chine, qui étend son influence via la Belt and Road Initiative (BRI), et des bases militaires comme celle de Djibouti, les États-Unis voient leur hégémonie historique contestée. Le rapport du FPRI indique que Pékin a participé au développement de plus de 70 ports en Afrique, certains à double usage civil et militaire, illustrant la stratégie de «fusion civilo-militaire» chinoise. De plus, le rapprochement géostratégique entre la Chine, la Russie et l’Iran alimente un dilemme sécuritaire pour Washington. Dans ce contexte tendu, Diego Garcia devient indispensable pour mener des opérations de déni d’accès (A2/AD), assurer la liberté de navigation, et protéger les chaînes d’approvisionnement globales. C’est une pièce maîtresse dans l’architecture militaire américaine.
Le contexte historique et juridique : une souveraineté contestée
L’article du FPRI revient également sur le passé colonial du territoire. Annexés en 1965 au British Indian Ocean Territory (BIOT), les Chagos ont été séparés de Maurice avant l’indépendance de cette dernière en 1968. En échange, Maurice aurait reçu une subvention de £3 millions. La population chagossienne a ensuite été expulsée entre 1967 et 1973 pour permettre la construction de la base. Ces expulsions forcées ont été largement condamnées par la communauté internationale.
Au fil des décennies, de nombreuses procédures judiciaires ont été engagées. En 2019, l’Assemblée générale des Nations Unies et la Cour internationale de justice ont toutes deux déclaré que le Royaume-Uni devrait mettre fin à son administration des Chagos. En 2021, le tribunal maritime international a confirmé que la souveraineté revenait à Maurice.
Le deal UK-Maurice : un tournant diplomatique
En 2024, sous la pression internationale, Londres a accepté d’ouvrir des négociations bilatérales avec Maurice. Ces discussions ont mené à un accord formel prévoyant la restitution de la souveraineté de l’archipel à Maurice, tout en garantissant la continuité des opérations américaines sur Diego Garcia.
Selon le FPRI, ce deal inaugure une nouvelle ère de coopération trilatérale entre Maurice, le Royaume-Uni et les États-Unis. Il permettrait à Washington de conserver l’accès à sa base tout en s’alignant sur les normes du droit international et en renforçant ses liens avec un partenaire démocratique africain. En retour, Maurice bénéficierait d’un partenariat stratégique inédit, d’un soutien au développement de Rodrigues et des îles extérieures, ainsi que d’une reconnaissance accrue sur la scène internationale.
Si le FPRI estime peu probable un retrait américain de Diego Garcia à court terme, il souligne que cette transition de souveraineté pourrait pousser le Pentagone à repenser ses accords de défense dans l’océan Indien.
Toute dépendance exclusive vis-à-vis d’une base étrangère, surtout sur un territoire disputé, comporte des risques stratégiques. L’analyse recommande à Washington de renforcer ses relations bilatérales avec Maurice, d’envisager des accords de défense formels avec les États insulaires de l’océan Indien, et d’élargir son réseau de «hubs» logistiques dans la région pour réduire les vulnérabilités.
Une nouvelle diplomatie insulaire?
L’analyse du FPRI reconnaît également le rôle diplomatique grandissant des petits États insulaires comme Maurice, capables de peser sur les équilibres régionaux grâce à leur position géographique stratégique. En revendiquant ses droits sur l’archipel, Maurice ne se contente pas de réparer une injustice historique, elle se positionne comme un acteur clé dans la gouvernance de l’océan Indien. L’affaire des Chagos, longtemps considérée comme un contentieux post-colonial, est désormais au centre des préoccupations géopolitiques internationales.
Le rapport du FPRI met en évidence que la restitution des Chagos à Maurice ne signifie pas nécessairement une perte pour les États-Unis, mais plutôt une opportunité de réajuster leur stratégie et de renforcer leur légitimité dans une région sous pression. Pour les États-Unis, l’enjeu ne sera pas tant de maintenir leur présence militaire, mais de le faire dans un cadre renouvelé, respectueux du droit international et en collaboration avec les puissances régionales légitimes. Le Chagos Deal, dans cette optique, pourrait bien être le point de départ d’un nouvel équilibre stratégique dans l’océan Indien – un équilibre où les alliances ne reposeront plus uniquement sur des héritages coloniaux, mais sur des partenariats équitables et durables.
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