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La politique à deux fronts
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La politique à deux fronts
Il aura fallu un voyage à Nice pour confirmer les fissures de Port-Louis, après les premières secousses liées à l’affaire de la National Empowerment Foundation, relevant du ministère d’Ashok Subron. Tandis que Navin Ramgoolam recevait les honneurs de l’Élysée et se frayait un chemin diplomatique entre économie bleue, océanographie et souveraineté élargie – Maurice ayant considérablement agrandi sa superficie maritime avec les Chagos – le pays, lui, tanguait. Non pas au gré des vagues de la Méditerranée, mais sous les secousses d’un mécontentement populaire ravivé. Et d’un retour politique savamment orchestré : celui de Pravind Jugnauth.
La scène est digne d’un théâtre à deux niveaux. À l’étage supérieur, le Premier ministre mauricien renoue avec les grandes capitales. Il pense long terme : climat, alliances régionales, enjeux géostratégiques. À l’étage inférieur, sa majorité vacille sur une mesure domestique – pourtant inévitable : le report de la pension universelle à 65 ans. Et dans ce tumulte, Ramgoolam rentre au pays aujourd’hui avec un constat douloureux : il a quitté un pays gouverné, il retrouve une alliance quelque peu bousculée.
Car pendant qu’il s’absentait, ses partenaires ont eu le temps de douter, de parler – ou de se taire. Paul Bérenger, en pompier de fortune après sa sortie ratée à Camp-Diable, tente de maintenir l’unité. Mais ce n’est plus le Bérenger d’antan : moins vif, plus prudent, le leader du MMM, après 15 ans dans les champs de canne, a compris que gouverner en binôme, ce n’est pas régner en rival. Ashok Subron, habituellement prolifique, reste muet. L’affaire NEF l’a échaudé, et la réforme des pensions le pousse dans ses retranchements idéologiques. Son silence, plus que ses mots, en dit long.
Dans un petit État comme Maurice, la politique étrangère n’est jamais un simple exercice de représentation : elle prolonge, projette, et parfois protège la politique intérieure. Harold Lasswell, Robert Dahl ou encore Henry Kissinger l’ont tous théorisé : ce que l’on dit à l’international doit conforter le discours que l’on tient à l’intérieur. Et vice versa. C’est ce qu’on appelle la linkage politics, décrite par James Rosenau – cette idée que chaque décision externe trouve son écho dans un besoin interne, qu’il soit électoral, économique ou identitaire. Ainsi, lorsque Ramgoolam plaide à Paris pour une souveraineté maritime renforcée, il ne s’éloigne pas des priorités locales : il tente au contraire de raffermir l’unité nationale, de restaurer la légitimité d’un pouvoir bousculé. Dans les faits, gouverner Maurice aujourd’hui, c’est jouer sur deux échiquiers à la fois. Et dans ce jeu à deux niveaux, on ne gagne que si les pièces avancent ensemble.
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À l’extérieur du Conseil des ministres, les francs-tireurs s’en donnent à cœur joie. Ehsan Juman, resté sans maroquin, pose les vraies questions : peut-on imposer une telle réforme sans pédagogie ? Faut-il un comité indépendant pour retoucher le dispositif ? La réponse est dans l’équilibre des forces : oui, la mesure est budgétairement nécessaire – Moody’s et le FMI l’ont compris. Mais elle pèche par une absence de méthode, d’empathie, de concertation.
Khushal Lobine, lui aussi, joue sa partition. Moins muselé que Richard Duval et Véronique Leu-Govind, il sait que son positionnement pourrait faire de lui un homme clé dans les mois à venir. Il titille, pique, propose une pension à deux vitesses, et laisse entendre qu’il pourrait bien changer de camp si la ligne gouvernementale devient trop rigide. À l’Assemblée, il pourrait remplacer Joe Lesjongard comme principal opposant du chef du gouvernement. En ligne de mire : une recomposition de l’échiquier politique qui est un travail de longue haleine.
Et c’est là tout le paradoxe. Car si l’actuel Premier ministre se veut la conscience des limites budgétaires, son prédécesseur ressuscite en tribun de la rue, défenseur de la pension à 60 ans. L’homme qui n’a pas eu le courage d’amorcer cette réforme quand il en avait les moyens s’érige aujourd’hui en héraut de la justice sociale. Il parle avec assurance d’une pension qu’il a financée à crédit, avec des chèques distribués à la va-vite et une dette nationale galopante en héritage
Le MSM surfe sur la colère – et espère que l’usure du pouvoir fera le reste. Mais en attendant, c’est Ramgoolam qui gouverne. Et s’il revient dans un contexte instable, il revient renforcé d’un capital diplomatique qui n’est pas négligeable. La reconnaissance de la France, la validation des agences de notation, et les signaux du FMI, s’ils ne font pas l’unanimité, renforcent son pari : celui de réformer en profondeur, même au prix de l’impopularité.
Ce lundi, il devra trancher. Le Conseil des ministres spécial sur la pension est plus qu’un moment de gestion : c’est un test d’autorité. Aura-t-il la main ferme face aux doutes internes ? Saura-t-il rassurer sans reculer ? L’équation est délicate. Mais c’est peut-être ici que Ramgoolam devient ce qu’il a toujours voulu être : un homme d’État, conscient que l’Histoire n’épargne pas ceux qui retardent les échéances.
Le peuple, lui, regarde. Il écoute. Il doute. Il gronde parfois. Mais il distingue l’esbroufe de l’effort sincère. À Ramgoolam maintenant de prouver que gouverner, ce n’est pas plaire. C’est préparer. Même quand ça brûle.
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