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Interview

Jyoti Jeetun : «Je fais un blackout des réseaux sociaux et j’écoute le peuple sur le terrain»

13 juillet 2025, 11:00

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Jyoti Jeetun : «Je fais un blackout des réseaux sociaux et j’écoute le peuple sur le terrain»

Jyoti Jeetun, ministre des services financiers et de la planification économique

Cette semaine, l’émission Décryptage accueille la ministre des Services financiers et de la Planification économique. Elle revient sur les choix délicats imposés par la situation du pays et partage sa vision pour redresser l’économie, détaille son plan d’action face au risque d’un mauvais classement Moody’s et évoque les sacrifices nécessaires, tant pour les citoyens que pour le gouvernement.

🟦 Vous débutez en politique après avoir quitté le secteur privé. Cette transition s’est bien passée ?

C’était un choc culturel, une décision bien réfléchie avec ma famille et mes enfants. L’idée était de faire les choses différemment pour changer le pays. Il y a des jours avec et des jours ça mais j’assume pleinement ce rôle.

🟦 Comment vivez-vous votre rôle de planifier l’économie ? On a l›impression que la mission s’avère plus énorme pour vous dans un contexte de «lakes vid»?

Tout est à refaire effectivement. On a eu un vide de réflexion stratégique pendant longtemps. Quelque part on avait arrêté de regarder l’avenir mais seulement le quotidien. C’est ce qui a amené une short-term view de Maurice. Aujourd’hui tout est à reconstruire. On travaille avec tous les ministères et la société. On travaille sur une vision 2050 qui inclut tout le monde et un development paywork pour les prochains dix ans.

🟦 Comment posez-vous les bases de cette nouvelle île Maurice avec le budget 2025-2026?

On devait démarrer avec les bases d’une consolidation fiscale et ensuite changer notre modèle économique. Notre économie est trop basée sur la consommation. Nous importons la majorité des choses en dollar. On doit sortir d’un modèle de consommation pour un modèle de production. Et ça ne se fait pas du jour au lendemain.

🟦 C’est aussi un changement pour une société habituée à une culture de consommation. Difficile de dire «aster bizin sanze…»

Faudra faire la pédagogie, comprendre le peuple et l’accompagner. Regardez la mesure sur l’importation de voitures. Elle n’est pas populaire car c’est le rêve de tout Mauricien d’être propriétaire d’une voiture. Dans un pays comme Maurice, avoir les voitures et l’essence comme les plus grosses importations ne fait pas de sens. Ça changera doucement.

🟦 Est-ce que cela rend votre tâche plus difficile de devoir annoncer ces mesures sachant qu’il y aura des critiques du peuple ?

Je fais tout par conviction comme le Premier ministre ou le deputy prime minister et nous savons ce c’est the right thing to do. C’est notre responsabilité de bien communiquer cela avec le peuple. Le changement ne doit pas se faire uniquement à l’hôtel du gouvernement mais aussi dans la société. Nou pa kapav dir zis lepep sanze e nou pa sanze nou.

🟦 Quand vous dites que le changement concerne tout le monde, vous comprenez que pour certains, c’est difficile de «ser sintir» et les ministres non ?

C’est une question légitime et c’est important que le peuple comprenne où se situent les ministres et que les ministres comprennent où se situent le peuple. Regardez la question de pension universelle. C’est très délicat et le peuple l’a vécu comme un choc. On doit le reconnaître : ti enn sok dan fason sa ti anonse ek zere. J’espère que le peuple a compris le message que la pension universelle n’est pas contributive. L’âge de la retraite est à 65 ans et ce n’est pas possible que certaines personnes touchent la pension à 60 ans. Mon ministère doit s’occuper de la question ageing population et working population car nous avons de moins en moins de personnes qui travaillent et cela va s’aggraver encore. Il faut augmenter la population active. Si on parle avec les PME ou les entreprises, ils vous diront que le premier problème, c’est le manque de main d’œuvre. Donc on doit tous regarder dans la même direction.

🟦 Quelles stratégies concrètes pour contrer le problème d’«ageing population» ?

L’Economic Planning est un dossier sur lequel nous devons travailler et voir comment augmenter la population active ; le développement économique ne se fera pas. Notre seule ressource, c’est le peuple. Encourager les gens à faire plus d’enfants, faire revenir nos jeunes à Maurice. Faudra revoir cela avec la population en entier.

🟦 Parlons de la «fair share contribution»

Avant tout, je souhaite revenir au strategy report du secteur financier que nous venons de release. C’est le premier pilier de notre économie, qui contribue presque 14 % du PIB, emploie plus de 20 000 personnes et apporte 66 % de la corporate tax avec un PAYE contribution de 34 %. Évidemment, la fair share contribution sera vue comme pe tap lor nou. Le Premier ministre et le Deputy prime minister l’ont dit au Parlement : c’est une mesure temporaire pour, j’espère, pas plus de deux ans. Ce rapport contient cinq piliers. En novembre j’ai appelé les stakeholders en petit comité, puis dans une rencontre en plus grande nombre, pour brainstorm et voir comment résoudre nos problèmes. Ces cinq piliers sont : ease of doing business, cost of doing business, diversification du produit, visibilité, branding and promotion, et les talents.

🟦 Comment renforcer le lien stratégique avec l’Inde? Il y a un plan en ce sens ? On travaille beaucoup avec le gouvernement indien pour voir comment renforcer nos liens avec l’Inde et accroître le secteur financier avec le marché indien. Au niveau de l’Afrique nous travaillons sur une Africa strategy pour être plus présent sur des forums africains. Le networking et la visibilité en Afrique sont importants car on forme partie de l’Afrique.

🟦 Y aura-t-il une législation verte pour les institutions financières opérant à Maurice ?

La FSC, qui tombe sous mon ministère a publié les ESG fund rules et on travaille sur des ESG guidelines avec la Banque africaine de développement. Cela nous aidera à parfaire notre place et notre réputation sur la place africaine.

🟦 Après les controverses autour de la MIC, comment reconstruire la confiance du public dans l’intégrité du secteur financier ?

Ça se construit tous les jours par votre propre intégrité. On parle de changer les lois ou de policy mais at the end of the day, ce sont les hommes et les femmes à la tête de ces entreprises qui sont vraiment les garants de cela. Tout le mal qui a été fait devra être reconstruit avec notre sincérité et intégrité.

🟦 Parmi les difficultés figurent la colère générée par la réforme controversée de la pension universelle avec des manifestations de rues et aussi j’imagine sur le terrain. Comment gérez-vous l’impopularité de cette réforme?

Je reçois les mandants chaque mercredi et au niveau du régional du MMM honnêtement il n’y a pas d’hésitation s’il faut qu’ils vous critiquent. À mon niveau je dois dire que je n’ai pas eu de critiques trop virulentes. Il y a eu des clarifications. Ena dimounn dir mwa be kifer inn met sa reform la, pa pou kapav aste loto. Mo konpran. Me kan pran letan explik zot, zot konpran. Je fais un blackout des réseaux sociaux et je préfère écouter le peuple sur le terrain.

🟦 Le leader de l’opposition reprend une phrase de votre campagne – «Weetabix monté hogal ba», devenue virale aujourd’hui. Les gens ne vous reprochent pas cette phrase et le fait que les prix n’ont pas encore changé ?

Je viens d’un village. Quand je partais à l’école primaire, je ne savais pas comment parler le créole car chez moi on parlait seulement le bhojpuri. J’assume cette identité et dans mon cercle social on parle encore en bhojpuri. Je crois qu’il est important de ne pas trop se focaliser sur un sujet et se concentrer sur des choses plus importantes. Ne perdons pas de temps sur ce qui est viral. Au début mes enfants m’ont dit «Mum don’t worry». Ils m’ont remonté le moral. J’ai une conviction forte et je vais le faire. Le reste, c’est que du bruit.

🟦 La mission de remettre l’île Maurice sur les rails est-elle réalisable avec tout ce que vous avez évoqué et Moody’s qui veille ?

Merci pour cette question. Souvenez-vous de l’époque où Maurice a eu l’indépendance. Tout le monde disait que le pays était condamné sans avenir. Pourtant nous avons combattu et remonté la pente. Si on a pu le faire à cette époque pourquoi pas maintenant. Aujourd’hui avec plus de facilités et de moyens ce n’est pas aussi difficile qu’à l’époque. On est dans un monde connecté. Si on met la main à la pâte on pourra le faire avec beaucoup de travail malgré Moody’s pour qu’en 2027 quand il y aura le mid-term examination on ne tombe pas encore une fois sur la liste grise.

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