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Jean Claude de l’Estrac : «La COI doit cesser de n’être qu’une agence de gestion de projets»

22 avril 2025, 15:00

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Jean Claude de l’Estrac : «La COI doit cesser de n’être qu’une agence de gestion de projets»

Jean Claude de l’Estrac, ancien secrétaire général de la Commission de l’océan Indien.

Un sommet de la Commission de l’océan Indien (COI) se tient dix ans après le dernier aux Comores. Peut-on s’attendre à des avancées significatives en matière de coopération régionale ?

J’ai bien peur que non, même si l’actuel secrétaire général a souhaité inscrire le problème crucial de la sécurité alimentaire à l’ordre du jour. La participation du président Macron et son obstination à obtenir l’adhésion du département français de Mayotte à la COI, malgré la persistance du contentieux avec les Comores, risque de pourrir ce sommet.

La tentative française est un coup d’épée dans l’eau tant que les Comores objecteront, fortes de la Charte de la COI qui prévoit que toute nouvelle adhésion ne se fera qu’à l’unanimité. Même les timides propositions françaises d’une participation administrative de Mayotte à des projets techniques de la COI, sur la santé par exemple, se heurtent à l’opposition des Comores. J’estime, pour ma part, que cela devrait pouvoir se faire, d’autant plus qu’une forte population comorienne habite Mayotte. En fait, Moroni pénalise ses propres ressortissants.

Secrétaire général, vous aviez annoncé que vous vous proposiez de rendre la COI «plus visible, plus lisible, plus audible». Dix ans plus tard, vos successeurs ont-ils tenu le pari ?

Le bilan est mitigé. La COI peut se prévaloir de quelques grandes réussites, pas suffisamment valorisées d’ailleurs par ses États membres. Elle est définitivement plus visible, paradoxalement davantage ailleurs que dans les pays membres.

C’est ainsi par la faute d’une instance de plus en plus bureaucratique, composée «d’officiers permanents de liaison» (OPL) – ce sont des fonctionnaires des États membres – qui n’assument pas leurs responsabilités. Et qui plus est, ces officiers, généralement délégués par les ministres des Affaires étrangères de chacun des pays membres, se posent dorénavant en instance décisionnelle sur la tête du Conseil des ministres et du secrétaire général, qui tient son mandat des chefs d’État et de gouvernement.

C’est une dérive trop longtemps tolérée par mes successeurs qui est en train d’usurper les prérogatives du secrétaire général et qui menace le bon fonctionnement de l’organisation. Il serait utile que nos chefs d’État, qui se réunissent si rarement, clarifient cette situation. Le secrétaire général devrait en prendre l’initiative.

Quelle impulsion devrait, selon vous, donner ce sommet ?

Je n’en vois qu’une. Après plus de quarante ans de gestion de projets communs financés, pour l’essentiel, par des bailleurs, au premier rang desquels l’Union européenne et la France, et compte tenu de la situation géopolitique dans notre région, il serait plus qu’opportun que la COI affiche une ambition plus grande.

Elle doit cesser de n’être qu’une agence de gestion de projets, une «Commission» pour se positionner comme la «Communauté de l’océan Indien». Une affirmation politique. Ce n’est pas une idée nouvelle, loin s’en faut. Le premier document préparé par Maurice, premier fondateur de la COI, parlait déjà de «Communauté».

Cette question avait été à l’agenda du Conseil des ministres qui avait précédé le sommet de Moroni, en 2014. La proposition du secrétaire général avait été évacuée, à l’insistance de l’officier permanent de liaison des Comores, sans l’aval de son président, qui me l’a confirmé par la suite. L’OPL des Comores soupçonnait, à tort, que l’idée de la Communauté était une manœuvre française pour faciliter éventuellement l’adhésion de Mayotte. Ce fonctionnaire comorien ne savait même pas qu’une adhésion ne peut se faire qu’à l’unanimité et que tant que les Comores objecteront, elle ne se fera pas. Il faudrait là aussi que les chefs d’État et de gouvernement clarifient une situation qui ne cesse d’empoisonner la vie du personnel du secrétariat général.

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