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Pauvres zarts ! Pauvre kultur !

1 septembre 2010, 20:00

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La photographie de Gaston Valayden devant l’imposant portail de la Présidence devrait devenir un grand classique de photojournalisme : d’une part, Gaston, comme d’habitude vêtu simplement, venu simplement, habité par une cause et une colère grandissantes que ne trahit pas son visage mais sa présence en cet endroit et la décision hautement symbolique de rendre sa médaille. D’autre part, le portail et l’officier également impassibles, pareillement indifférents, tout au moins en apparence, à la teneur émotionnelle, voire passionnelle de l’instant. Un portail et un officier qui n’ont aucune idée de ce que traduit le geste de Gaston, et qui ne peuvent donc pas trouver de geste équivalent, ne serait-ce qu’un regard, ne serait-ce qu’un rapprochement physique, un sourire compatissant, un mot, un seul, de regret.

Le portail a une excuse : c’est un portail.

Si je parle de cette photo, de tout ce qu’elle véhicule de distance, d’incompréhension et d’indifférence, de tout ce qu’elle ranime de souvenirs quant au mépris du pouvoir envers ceux qu’il refuse de comprendre, c’est que de nouveau, cette semaine, la culture fait parler d’elle. De nouveau, en mal. De nouveau, avec un mépris envers la signification de ce mot et, à travers lui, de tous ceux qui se sont engagés pour créer, pour agir, pour vivre, bref, au nom des arts.

Au vu de la pauvreté du contexte, j’ai du mal à utiliser les mots «arts» et «culture» – d’où la graphie douteuse de mon titre. Que font les arts et la culture dans le discours communautariste ?
En France, les discours politiques deviennent de plus en plus ouvertement ignobles et intégristes. A Maurice, il faut bien dire que nous avons de l’avance, puisque les choses se sont toujours dites à huis clos de façon flagrante et qu’aucun de nos hommes politiques, presque sans exception me semble-t-il, ne s’est privé de pratiquer le communalisme, d’autant plus que ces bons vieux discours aux relents de moisissure identitaire continuent de faire de l’effet. Les responsables sont ceux qui les écoutent autant que ceux qui les prononcent.

La différence, aujourd’hui, est que ce que l’on dit en petit comité a été prononcé devant des journalistes, peut-être avec le secret espoir qu’ils ne comprendraient pas une langue qui fait partie des nombreuses langues pratiquées à Maurice et que la traduction n’aurait pas encore été inventée. C’était sans doute «mieux avant», quand il n’y avait pas de télé, pas d’internet, pas de téléphones portables, et surtout, pas de journalistes dans des réunions intimes où chacun pouvait dire ce qu’il voulait et insulter qui il voulait et redéfinir les horizons identitaires avec une précision qu’envieraient les meilleurs sociologues, c’est-à-dire 1) la caste, 2) la religion, 3) la nationalité et 4) l’humanité. Cercles concentriques dans lesquels l’on se réduit à son plus petit dénominateur, à la notion la plus étriquée de l’être social, à la définition la plus inutile du soi (car quelle fonction véritable a la caste ?), sans se rendre compte que l’on vient par la même occasion de nier que notre plus grande valeur est celle d’être humain.

Mais après tout, les personnes qui tiennent de tels discours ont peut-être raison. A quoi sert-il vraiment d’être humain, dans ces conditions ? Mieux vaut être un portail.

Ce texte est ironique, j’espère qu’il fera sourire ceux qui apprécient la satire. Mais le fond de mon propos est grave. J’ai le coeur gros. Honte à vous qui continuez de nourrir de telles différences. Honte à vous qui en profitez. Et, naïve que je suis, j’ose encore espérer qu’un jour nous aurons un ministre de la Culture qui aura mérité sa fonction, non parce qu’il faut récompenser quelque sympathisant, mais parce qu’il aura été éclairé par tout ce qu’il y a de magnifique dans l’acte de création artistique. Je ne voudrais pas perdre foi en mon pays. Après tout, je suis Mauricienne.

Ananda Devi
(Source : l’express iD – jeudi 2 septembre)

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