Voilà que le ministère des Infrastructures publiques avec la bénédiction de l’administration de Beau-Bassin–Rose-Hill (BB-RH) se prépare à raser un des symboles les plus précieux de cette ville, en démolissant un symbole patrimonial, le plus vieux marché du quartier, pour en construire un nouveau, qui aura probablement le même sort qu’a connu un de notre legs historique, le marché de Port-Louis. Au-delà de sa valeur symbolique,  le marché de Rose-Hill est avant tout un lieu chargé d’histoire, d’où réside son importance culturelle, un patrimoine vivant.

Ce marché est un monument historique de première valeur patrimoniale de la ville de Rose-Hill. La valeur patrimoniale d’un monument ne réside pas dans sa volumétrie mais dans son histoire, son identité, son dynamisme et ses atouts. Il est important de bien comprendre que la valeur d’un édifice ou d’un lieu historique n’est pas limitée à la perception que l’on a de lui, mais dépendra de l’intégrité de toutes les parties qui le composent et de son environnement culturel.

En démolissant ce vieux marché, nous démolissons en même temps toutes les valeurs d’appartenance entourant cet édifice, les valeurs culturelles que les citoyens de BB-RH ont tissées tout au long de l’existence de ce marché. Ce «bazar Rose-Hill» est un repère non seulement pour les résidents de la localité, mais aussi pour toute la population mauricienne, un lieu où plusieurs familles mauriciennes se retrouvent quotidiennement pour faire leurs épiceries.

Nous avons vu un exemple catastrophique avec le marché de Port-Louis. Aujourd’hui, malgré une architecture nouvelle de ce marché, nous sommes tous unanimes à dire que le nouveau marché n’arrive pas à reproduire cette essence chaleureuse, cette odeur du vieux «bazar Port-Louis», l’ambiance qui y régnait jadis.

Couleurs, saveurs et odeurs réveillent les sens des nombreux clients venus de toute l’île. Ce marché du quartier n’est pas qu’une structure en soi, il y est rattaché toute une vie, un passé et une histoire. On n’effacera pas abruptement un patrimoine urbain qui a une très grande importance dans la mémoire populaire mauricienne et qui est un véritable fait urbain qui organise la vie économique, sociale, porteur de signification, de souvenir sur notre milieu et notre identité dans lesquels toute une population se reconnaît.

Si l’administration de BB-RH va de l’avant avec ce projet de démolition de l’ancien marché de Rose-Hill, elle fera preuve de méconnaissance des faits urbains et du patrimoine architectural de ce quartier. Le marché laissera derrière lui un grand vide, un vide quasiment impossible à combler de ce qu’il produisait : cette essence d’épices, ce bouillonnement d’humains, et cette histoire que ce marché nous raconte tous les jours que nous le côtoyons. Il y aura perte d’authenticité et de tradition. Ce sera la disparition d’un volet de notre histoire avec la production d’un nouveau concept architectural de ce marché.

Cette compréhension s’acquiert habituellement par des recherches documentées et orales ainsi que par des investigations physiques. Il importe donc de connaître sur quoi repose la valeur patrimoniale du lieu, de savoir comment il s’intègre, sur les plans physique et fonctionnel, à son environnement et d’être au fait de l’importance que ce lieu patrimonial avait, et aura dans la collectivité en général.

La conservation est un ensemble d’actions ou de processus qui visent à sauvegarder les éléments caractéristiques d’une ressource culturelle afin d’en préserver la valeur patrimoniale et d’en prolonger la vie physique. La reconstruction, reconstitution ou relocalisation d’une ressource culturelle de valeur patrimoniale n’est pas considérée comme une action de conservation patrimoniale. Tous les projets de conservation doivent suivre des lignes directrices. Lorsque des projets nécessitent plus qu’un traitement de préservation, ce qui est le cas du marché de Rose-Hill, il existe deux options possibles : la ligne directrice sur la réhabilitation ou celle sur la restauration.

La restauration implique le fait de révéler, de retrouver ou de représenter le plus fidèlement possible l’état d’un lieu patrimonial, ou d’une de ses composantes, tel qu’il était à une période donnée de son histoire. Ce qui nous amène à dire qu’une restauration du marché n’est pas appropriée dans ce contexte.

La réhabilitation d’un lieu ou d’un édifice patrimonial est un processus qui vise l’usage continu ou une nouvelle utilisation contemporaine et compatible avec le lieu ou l’édifice tout en protégeant la valeur patrimoniale. Lorsqu’on prévoit de faire des modifications ou construire des ajouts à un lieu patrimonial pour en faire une nouvelle utilisation ou pour le maintien de la fonction habituelle, la réhabilitation peut revitaliser les liens et les contextes historiques du lieu ; il s’agit donc du meilleur traitement à faire lorsque les valeurs patrimoniales liées au contexte du lieu patrimonial dominent. Nous pouvons conclure ici qu’une réhabilitation du marché est envisageable,toutefois avant d’entreprendre destravaux, il importe d’élaborer un plan de réhabilitation.

Je lance un appel aux administrateurs de BB-RH de surseoir à ce projet de reconstruction du marché car une compréhension approfondie des pratiques exemplaires de conservation est la meilleure solution. «Il vaut mieux préserver que réparer,réparer que restaurer, et restaurer quereconstruire». Que le nouveau maire prenne le temps d’étudier ce dossier avant de commettre l’irréparable et je me porte volontaire et bénévole au service des villes de BB-RH, d’évaluer ma proposition de réhabilitation de ce marché et je suis disposé à rencontrer le maire et ses administrateurs pour offrir mon expertise et expérience dans le cadre de ce projet, afin que cet édifice patrimonial retrouve son allure de marché du quartier – ce qui fera la fierté des citoyens du pays.