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Pardon national pour l’esclavage : «Une sincère reconnaissance des mérites est plus raisonnable»
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Pardon national pour l’esclavage : «Une sincère reconnaissance des mérites est plus raisonnable»

Concluant l’entretien qu’il accorde à Deepa Bhookhun dans l’express du 10 décembre, le «Commissaire  Parmaseeven Veerapen souligne, en parlant du développement de l’industrie sucrière, que «cela n’aurait pas été possible sans les esclaves et les engagés. Il serait temps de le reconnaître, de rendre hommage à ces personnes».
L’allusion au devoir de «reconnaissance » est, en effet, plus susceptible de recueillir l’adhésion des institutions que la Commission Justice et Vérité mentionne dans son rapport qu’une demande de pardon. Se résigner à un tel acte de contrition publique implique un aveu de culpabilité. D’une responsabilité personnelle dans la perpétration d’un crime aux siècles passés. D’une complicité aussi dans la maintenance d’une infamie au 21e siècle. M. Veerapen parle de «continuité». Les intentions de la Commission sont peut être louables. La logique d’une demande de pardon demeure toutefois spécieuse. Ni la Chambre de commerce, ni le gouvernement actuel, ni même l’Eglise catholique ou les «sucriers» ne peuvent être tenus responsables ou coupables en 2011 de pratiques faisant partie de l’ordre des choses – si révoltantes que ces pratiques puissent nous paraître aujourd’hui.
Le sursaut moralisateur des «Commissaires» est conditionné par notre sensibilité contemporaine, affinée par les expériences et les épreuves du passé. Sauf rares exceptions, cela n’a pas été le cas pendant des siècles. Une analyse objective de l’histoire de ces quelque 500 années de traite, et d’un siècle environ d’engagisme, révèle une désolante banalisation de la cruauté. Sans pour autant être institutionnalisée, cette banalisation empoisonne aujourd’hui encore les relations humaines dans maints pays. L’inhumanité de l’homme pour l’homme ne cesse de susciter un réflexe de révulsion.
Nos prédécesseurs, qu’ils soient d’ici ou ailleurs, ne partageaient nullement cette sensibilité.
S’il nous semble aujourd’hui évident de voir en tout être humain un semblable digne de considération et de respect, même d’amour, un tel sentiment leur était pour la plupart indifférent, voire étranger.
L’esclave n’était qu’une commodité qu’on achetait ou revendait, et dont on se servait a des fi ns économiques.
Au siècle de l’exploitation de l’homme par l’homme, un engagé, pour son employeur, ne méritait pas plus que le traitement qu’on lui infligeait.
Ailleurs, par exemple, les serfs des boyards russes et les paysans de l’empire austro-hongrois ne jouissaient que d’une liberté relative.
Leurs conditions de vie étaient atroces, les punitions d’une rare cruauté et les chances de sortir de cet enfer pratiquement nulles. Le vol d’une volaille ou d’un pain par un affamé lui valait des années de galère ou la déportation a perpétuité.
Les matelots sur les bâtiments de guerre au 18e siècle avaient, par exemple, peu de choses à envier au sort des esclaves. La moindre indiscipline était punie de dizaines de coups de fouet, mains liées au mat, ou le corps suspendu aux basses vergues. Typhus, paludisme, et «fièvres putrides» ravageaient les effectifs. La mortalité moyenne par les maladies a été évaluée à plus de 10 % par voyage, sans compter celles dues aux noyades, accidents, suicides et blessures au combat.
Serfs, paysans ou marins n’étaient guère plus libres que les esclaves - sauf qu’ils n’avaient pas été vendus.
Ils n’étaient pas, non plus, mieux traités que les engagés. Pire pour la plupart du temps – sauf qu’une campagne en mer ne durait que quelques années et non le temps d’une vie.
L’église catholique
De nombreux textes attestent que dès le début de l’esclavage moderne (15e siècle), les Papes s’en émeuvent. En 1462, le Vatican condamne la traite. L’église catholique récidive périodiquement, soit à propos des Indiens d’ Amérique ou à propos des Noirs d’Afrique –
Paul III en 1537, Alexandre III en 1655 et 1667. Les Papes ne cesseront de souligner l’obligation chrétienne de respecter la liberté des êtres et leurs cultures. Ils n’allèrent toutefois pas jusqu’a excommunier les esclavagistes. Très sérieusement, prélats et dignitaires d’Espagne s’interrogent, lors de la Controverse de Valladolid, sur la nature de l’esclave en Amérique. A-t-il une âme ? Peut-il avoir des sentiments humains ? Bartolomé de Las Casas, prêtre espagnol du 16e siècle condamne «l’encomienda» (pouvoir absolu des conquistadores et des maîtres) et rappelle que d’après Saint Thomas «la liberté est le préalable absolu de la conversion».
L’Evêque de Port-Louis serait prêt à faire acte de contrition. Cela l’honore d’autant plus qu’il n’avait même pas à le faire. Tout le passé du catholicisme depuis cinq siècles, et la somme de ses oeuvres charitables en Afrique et ailleurs, l’en dispensaient. Amplement.
Enrichissement et compensation
En Europe il s’avère, parait-il, que la fortune de certaines grandes familles encore puissantes aujourd’hui remonte à la traite qui aura duré 400 ans. Les profits de ce trafic humain fut investi dans le financement des gouvernements, dans les mines de charbon et de fer, dans l’armement, dans les banques, les assurances, et, à partir de 18e siècle, dans tous les secteurs d’une industrialisation accélérée.
La fortune de certains groupes mauriciens remonte également à la pratique de l’esclavage et de l’engagisme du 18e au 20e siècle. Il serait toutefois injuste de limiter cet enrichissement à la seule exploitation de la sueur humaine, sans admettre qu’en contrepartie, il y eut une forte dose de débrouillardise, de vision, de rigueur et d’astucieux investissements dans les banques, le commerce, la construction, l’import-export, la navigation..
Il n’est pas déraisonnable qu’aujourd’hui les descendants des esclaves réclament une compensation. Ce qui est juste n’est toutefois pas facile à satisfaire.
Les embûches juridiques, économiques, politiques, diplomatiques sont nombreuses. Il ne suffit pas d’identifier ceux qui doivent regretter, s’excuser, compenser, cela plusieurs générations après l’abolition, après de nombreux changements administratifs, constitutionnels dans l’organisation de certaines institutions, et d’un gouvernement aujourd’hui indépendant, où des milliers de petits-fils et de petites-filles de descendants d’esclaves et d’engagés sont employés, considérés, socialement intégrés et rétribués équitablement. Et quid, en passant, des rabatteurs africains dont les descendants ont pignon sur rue dans les ports d’Afrique de l’Est et de l’Ouest ? Ces roitelets ou chefs de tribus vendaient sans vergogne leurs semblables aux capitaines de vaisseaux engagés dans la traite.
Vont-ils eux aussi avoir à demander pardon ?
A une demande de pardon qui est loin de recueillir l’adhésion des institutions identifiées, une sincère reconnaissance des mérites paraît plus raisonnable philosophiquement, et moralement plus adaptée aux circonstances actuelles. Que l’hommage éventuellement rendu aux esclaves et aux engagés par un texte approprié débouche sur tout un programme d’actions à mener afin d’atténuer les séquelles de ce lourd passé d’exploitation et de mépris.
 
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