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Le silence m’a tuer

28 septembre 2012, 20:00

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Le silence m’a tuer*. Celui de mon entourage, celui des institutions. J’ai 35 ans, je suis un homme respecté et pourtant, j’ai toujours dix ans dans ma chair et des mains avides me souillent. J’ai une belle réussite professionnelle, mais je suis seul. Je n’ai –semble-t-il – jamais su « y faire » avec les filles. Les copains mariés en rigolent, ces mêmes copains qui, comme moi il y a 25 ans, étaient les jouets malléables d’un vieux frustré qui sous prétexte d’une institution respectable, le scoutisme, tripotait de nombreux enfants, imposait des séances de masturbation collective, nous terrorisait à propos des filles.

Le silence m’a tuer. Celui des parents qui savaient mais qui n’en continuaient pas moins d’envoyer leurs garçons à l’abattoir. J’imagine qu’à l’époque, cela devait passer pour une forme de rite initiatique, de même que la première chasse à peu près au même âge. Fallait devenir « un homme », un vrai ! Pour de nombreux parents, ce n’était « pas grave bonhomme ! ». Pire, pour d’autres, on ne se dénonce pas, chez nous. Seuls quelques parents mis au parfum refusaient catégoriquement d’envoyer leurs enfants, merci pour eux.

Le silence m’a tuer. Celui de l’entourage du vieux frustré, qui l’a incité à fuir et à se cacher. Ce qu’il continue à faire. En entendant, combien d’hommes brisés secrètement comme moi ? Combien de souffrances si peu exprimées, parce que la société est prête à reconnaître le statut de victime à une femme, mais pas toujours à un homme…
 
La justice m’a tuer. J’ai 11 ans et un policier m’a forcée à toucher son sexe dans le bus. Un policier. Un homme sensé représenter la loi, l’ordre et la paix. Un homme qui devrait être respecté ne sait pas être respectable. Un homme qui côtoie tous les jours des victimes. Un homme qui arrête les coupables et fait en sorte que justice soit rendue. Un homme capable d’être sexuellement attiré par la petite fille que je suis. Un homme qui m’a terrifiée, bouleversée et traumatisée à vie. Un homme que la justice vient de condamner à huit mois de travaux communautaires plutôt qu’à de la prison ferme. Voila le prix de mon innocence.
 
La peur m’a tuer. La peur de parler, de me confier. Je suis un homme, je suis une femme, je suis un enfant, je suis un adulte, mais je suis avant tout une victime. Mais je l’ignore. J’ignore que l’on ne devient victime QUE quand on s’accepte en tant que victime. Pour l’instant, je me sens coupable. Ca me donne envie de vomir, mais c’est ainsi. Tant que je n’aurais pas vu dans les yeux d’un autre, une lueur d’amour, de compréhension, tant que je n’aurais pas trouvé une écoute, tant que je ne me serais pas confié(e), je ne pourrai pas commencer ce long travail de reconstruction. La peur est rationnelle. Elle se justifie par l’étroitesse d’une société insulaire, la segmentation communautaire et son repli identitaire, la perméabilité du social et du professionnel, l’hypocrisie bien-pensante concernant la sexualité, le rigorisme religieux et le poids du regard d’autrui.
 
L’ignorance m’a tuer. Personne ne m’a jamais parlé sexualité. Personne ne m’a appris que mon corps était à moi. Personne ne m’a parlé de l’intégrité sacrée de mon corps, de mon sexe qui m’appartient. Personne ne m’a dit que certains gestes sont totalement interdits. Personne ne m’a dit que je pouvais me protéger. Mais surtout, les personnes qui avaient pour devoir de me protéger ne l’ont pas fait.
 
Aujourd’hui, je sais que je peux protéger. Mes enfants, les enfants de mon entourage. Il suffit d’en parler, de sensibiliser petits et grands. Des mots simples pour éviter des gestes dramatiques et indélébiles. Mettre en confiance, être à l’écoute. Bien des victimes nous entourent, silencieuses et souvent encore traumatisées parce que muettes depuis des années. Mais aussi, autant de pervers qu’il faut dénoncer et punir. Seul, ce processus libérateur aidera les victimes
 

Pédostop 28 septembre 2012-09-28


Le silence m’a tuer*. Référence à La célèbre inscription en lettres de sang :
« Omar m''''a tuer » (sic), présente sur la scène d’un crime en 1991 en France.

 

 

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