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L’idiote utile

Si un jour quelqu’un s’attelle à rédiger une anthologie du cynisme et de l’opportunisme dans le monde politique mauricien, sans doute, l’affirmation de M. Bérenger à l’effet que l’élimination éventuelle du Best Loser System crée de l’inquiétude au sein de la communauté musulmane et que la plupart de personnalités politiques issues de cette communauté s’y opposent, figurerait en bonne place. Cet homme, à ses débuts, nous avait tellement habitués à mieux.
Je suis Mauricien de foi musulmane et je ne suis pas inquiet.
Critique, entre autres choses, du système éducatif français, le philosophe Pierre Bourdieu parlait de violence symbolique. Alors qu’il utilisait ce terme surtout pour décrire la domination culturelle des élites sur les autres classes sociales, on pourrait tenter un rapprochement avec la société mauricienne. Que certains postes de responsabilité au sein de l’Etat soient réservés qu’à une communauté peut constituer une forme de violence, symboliquement, pour les autres.
Qu’une communauté se retrouve « sans élus » peut aussi être d’une violence symbolique pour cette communauté. Le Parlement (même si beaucoup de ses membres ne sont bons qu’à tap la tab et se faire appeler ‘honorables’ est une aberration) jouit d’un certain prestige au sein de la population. Débattre des lois régissant un territoire, travailler pour l’amélioration des conditions de vie de ses mandants sont des activités nobles. Les parlementaires sont souvent, à tort ou à raison, perçus comme des role models au sein de leur communauté et de la population.
Ceci pour dire la portée symbolique dont jouit encore le parlementaire dans le pays. Est-ce justifié ? Forcément pas ! Mais on aurait tort de négliger ce sentiment lors de toute réforme même si on doit travailler pour identifier les causes réelles (et essayer de les éliminer) qui provoquent ce sentiment.
Si cela peut rassurer quiconque, en éliminant le BLS, il n’y a quasiment aucun risque, dans les délimitations actuelles des circonscriptions, qu’il n’y ait pas des députés musulmans et ou d’autres communautés dites minoritaires. Or, avec une dose de proportionnelle, ce risque est nul.
Défendre le principe du BLS revient implicitement à accepter que le principe que le PM doit être issu d’une communauté majoritaire. Existe-t-elle vraiment, d’ailleurs, cette communauté majoritaire ? De plus, en république, le pouvoir appartient, par définition, au peuple et bien que ce soit la majorité qui doit désigner le leader, ce dernier ne doit nullement être issu de quelconque communauté majoritaire. Peu importe laquelle.
Il ne faut pas être sélectif dans le combat contre l’injustice. Le BLS a fait son temps, et, dans sa forme et le contexte actuel, est une injustice. D’autant plus injuste qu’elle est basée sur un recensement datant de 1972 et sur une classification de communautés qui est bancale- on connaît bien le fameux caméléon ou manz-banann-dan-de-bout Sik Yuen mais quid d’une personne dite sino-mauricienne qui se serait convertie à l’islam ?
On ne peut être contre discrimination dans le recrutement et la promotion dans la fonction publique et dans la force policière, contre le flou entourant l’allocation des bourses d’études, contre un système vicié favorisant une clique bien-née, que certains qualifient de bourgeoisie d’Etat, quand il s’agit des contrats de marché public et être pour le maintien du BLS.
Car une fois élu, tout député, qu’il soit repêché ou pas, vous dira haut et fort qu’il représente sa circonscription avant tout. (Quoi que bas et faible il agit souvent autrement.) Les revendications de la communauté musulmane et d’autres communautés dites minoritaires sont identiques à celles de toutes les autres - qu’elle soit religieuse ou pas - une économie au service de l’être humain et non l’inverse, une lutte acharnée contre le trafic de drogue et autres fléaux sociaux, le combat contre la corruption, le renforcement de nos institutions, la lutte contre la violence faite aux femmes et aux enfants, un meilleur système de captage et de distribution d’eau, l’accès au logement pour les plus démunis, un système d’éducation qui n’asphyxie pas la jeunesse, etc.
Sur les rares sujets qui ne concernent, par exemple, que la communauté musulmane comme le prix du billet d’avion pour le Hajj, les élus, actuels ou anciens, ont misérablement failli. Malgré les promesses récurrentes et la politisation affligeante de l’Islamic Cultural Centre, ce prix est indécemment exagéré et ne reflète toujours pas la réalité du marché.
A vrai dire, le système actuel arrange beaucoup de gens et la plupart des partis traditionnels. Pour que certains puissent entretenir l’illusion d’une communauté majoritaire et tirer une certaine légitimité sur l’identité éventuelle de tout PM, pour que d’autres, qui en bénéficient de la même façon sinon plus que quiconque, se taisent et envoient d’autres se battre et se ridiculiser à leur place pour maintenir ce privilège et pour que certains politiques prennent en otage toute une communauté pour augmenter leurs chances d’être élus. La communauté musulmane, idiote utile….
Qu’on élimine le BLS, qu’on ajoute une dose de proportionnelle, qu’on soumette la nouvelle formule à un referendum (un droit constitutionnel) pour qu’elle ait une légitimité accrue, qu’on en finisse avec ce psychodrame et qu’on s’attaque aux vrais problèmes de notre société.
Oui. Éliminons-la ! Mais qu''''on ne s''y trompe pas. Ce serait, peut-être, comme vouloir interdire les leçons particulières au primaire alors qu’on maintient cette autre incongruité qu’est la CPE….
P.S : J’entends aussi parler, pour s’attaquer au problème réel de la faible représentativité des femmes au parlement, de l’introduction d’une loi pour imposer à chaque parti d’aligner une femme par circonscription. C’est une option certes mais qu’on s’attaque aussi aux causes réelles qui font que peu de femmes s’engagent- le machisme ambiant, l’hyper-sexualisation et l’objectification dont elle est victime dans les medias, les attaques sur la vie privée, le langage ordurier, sexiste et raciste de certains politiques, le déficit de démocratie interne au sein des partis, la répartition inégale des tâches ménagères et de la garde des enfants au sein du couple, etc.. Alors qu’on peine à éliminer une discrimination par rapport à l’ethnicité, introduire une autre maintenant basée sur le sexe serait-elle la méthode la plus appropriée pour assurer que plus de femmes puissent siéger au parlement? Je ne suis point juriste mais cette loi ne serait-elle pas anticonstitutionnelle étant donné que le Chapitre 2 de la Constitution commence ainsi : « It is hereby recognised and declared that in Mauritius there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, place of origin, political opinions, colour, creed or sex,.. » Doit-on répéter la même erreur qu’avec le BLS ?
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