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La «Use of Pesticides Act»: l’arbre qui cache la forêt
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La «Use of Pesticides Act»: l’arbre qui cache la forêt

Je me suis toujours posé la question quant aux motivations du ministre de l’Agro-industrie à venir de l’avant avec le Use of Pesticides Bill. Ce projet de loi, qui a été voté au Parlement au début du mois de juillet et promulgué le 19 du même mois, a pour objectif de réglementer uniquement l’usage de pesticides agricoles dans les plantations de légumes et de fruits ainsi que leur limite maximale de résidus (LMR), dans ou sur les légumes et fruits frais, incluant ceux importés.
Mon étonnement réside dans le fait que nous avons déjà deux lois en vigueur, en l’occurrence, la Dangerous Chemicals Control Act (DCCA) de 2004 et la Food Act de 1998, qui encadrent l’utilisation des pesticides agricoles dans les cultures ainsi que leur seuil maximal de résidus dans les produits alimentaires (frais et transformés) d’origine végétale et animale. Ces deux législations tombent sous la responsabilité du ministère de la Santé, mais celui de l’Agro-industrie en est aussi directement concerné.
Une partie des réponses à mes interrogations, je ne les ai obtenues que récemment, après avoir pris connaissance du discours prononcé au Parlement par le ministre de l’agro-industrie, Mahen Seeruttun, lors de la présentation du Use of Pesticides Bill. Certains de ses propos (voir ci-dessous), pour justifier l’introduction du projet de loi, sont confus et me laissent dubitatif:
(i) «The introduction of this Bill is a landmark in the agricultural sector as it is for the first time that we are coming up with a legislation to control the use of pesticides in our agricultural practices.»
(ii) «It will complement the Dangerous Chemicals Control Act… which regulates the purchase, import and sale of dangerous chemicals only and does not cater for the use of pesticides in agriculture.»
(iii) «This legislation will be applicable to both local and imported fresh agricultural produce only. It excludes frozen, dried and processed agricultural produce… as they are already being catered for under the Food Act 1998.»
Tenant compte des points évoqués ci-dessus par le ministre, il apparaît donc que la DCCA et la Food Act contiennent de sérieuses lacunes et font impasse sur, d’une part, l’homologation des produits phytosanitaires et, d’autre part, le contrôle des résidus de pesticides dans ou sur les légumes et fruits frais (production locale et importations).
Voyons ce que prévoient effectivement ces deux lois sur la question.
La Dangerous Chemicals Control Act 2004
En bref, la DCCA réglemente l’usage des produits chimiques dangereux (dangerous chemicals) afin de protéger la santé humaine et l’environnement.
Dans la section 1 du texte législatif, traitant des définitions, il est indiqué que le terme dangerous chemicals inclut les pesticides, utilisés en agriculture, pour lutter contre des organismes vivants, considérés comme des nuisibles (insectes, bactéries, mauvaises herbes). La section 1 (2a), définit les pesticides comme : «pesticide means any chemical substance or biological agent… which is designed to prevent, destroy or control any pest including vectors of human or animal diseases, unwanted species of plants or animals causing harm during or interfering with the processing, production, storage, transport or marketing of food, agricultural commodities,…»
Par ailleurs, mention est faite dans le texte législatif (section 2 (6)), de la mise en place d’un Dangerous Chemicals Control Board. Il incombe à cet organisme d’étudier toute demande pour des pesticides agricoles, entre autres, et d’octroyer les licences, permis et autorisations requis (section 2 (7)). Fait intéressant à noter, plusieurs techniciens du ministère de l’Agro-industrie siègent sur ce comité, comme prévu dans la loi.
D’autre part, à l’annexe 3 (8), il est précisé que le ministère, responsable du dossier agricole, est la force exécutoire de la DCCA et, de ce fait, doit non seulement s’assurer que les pesticides sont utilisés selon les recommandations en vigueur, mais doit aussi encadrer les planteurs pour une utilisation judicieuse de ces produits.
«The ministry responsible for the subject of agriculture shall exercise such powers and perform such duties as are conferred to it by this Act, for inspection, guidance and control on – (a) The proper and safe use of pesticides by farmers; (b) Pesticides residues on vegetables, fruits and any other agricultural material.»
Pour conclure avec la DCCA, il est compilé, à l’annexe 2 (section 2) du texte législatif, une liste de pesticides agricoles (112 matières actives au total) dont l’usage est restreint alors qu’à l’annexe 18 (section 27), se trouve un inventaire de ceux (73 matières actives) interdits chez nous.
La Food Act
Cette législation, ainsi que ses nombreuses réglementations (Food Regulations), régit les différentes étapes de la chaîne alimentaire (production, transformation, transport, stockage, préservation, distribution, etc.). En bref, la législation introduit et fixe les principes généraux et les prescriptions permettant d’assurer la sécurité sanitaire des produits alimentaires d’origine végétale et animale, en vue de garantir la protection de la santé des consommateurs.
À la section 2 (a) du texte législatif, un premier élément est donné concernant les types de produits alimentaires, destinés à la consommation humaine, auxquels la loi fait référence. Ainsi, la définition du terme «food», comprend, entre autres : «… any article or substance meant for human consumption.»
Quant à l’origine des produits alimentaires consommés, il est énoncé (article 62 des food regulations) qu’aucune denrée alimentaire (any food), destinée à la consommation humaine et contenant un seuil de résidus de pesticides supérieur à celui légalement autorisé, ne peut être offerte ou mise en vente. Cette clause s’applique non seulement à la production locale mais également aux denrées alimentaires importées.
À l’annexe 10 des Food Regulations du Food Act se trouve un tableau très explicite, comprenant trois colonnes, avec les caractéristiques suivantes :
(i) la première colonne énumère les matières actives (76 au total) des pesticides agricoles, pouvant être utilisées dans ou sur les denrées alimentaires d’origine végétale ou animale.
(i) la deuxième indique les LMR de pesticides autorisées pour chacune des combinaisons «pesticide-denrée alimentaire». Ces informations sont calquées sur la banque de données du Codex Alimentarius ainsi que celle de l’Union européenne (UE), qui sont des références en la matière.
(ii) la troisième inventorie les produits alimentaires auxquels les LMR de pesticides s’appliquent. On y retrouve les légumes et fruits frais et transformés (incluant les produits congelés et secs), lait et produits laitiers, viande (bovine, porcine, poulet), œufs, etc., d’origine locale et importée.
La DCCA et la Food Act réglementent bel et bien l’usage des pesticides agricoles. L’analyse succincte effectuée ci-dessus démontre, sans ambiguïté, que l’homologation, l’importation et la vente des produits phytosanitaires, ainsi que leur contrôle, inspection et suivi chez les planteurs sont bel et bien réglementés par la Dangerous Chemicals Control Act.
S’agissant du Food Act et des Food Regulations concernés, il est clairement énoncé dans le texte législatif que la loi réglemente l’usage de pesticides ainsi que leur LMR légalement autorisée, dans ou sur les produits alimentaires d’origine végétale et animale (production locale et importations), qu’ils soient frais ou transformés.
Rappelons qu’il est précisé à l’annexe 3 (section 8), que le ministère responsable de l’Agro-industrie a, entre autres, le devoir de s’assurer que le seuil maximal de résidus de pesticides dans les légumes et fruits frais, comme détaillé à l’annexe 10 des Food Regulations, soit respecté.
Ça, c’est ce qui est prescrit dans les lois susmentionnées. Mais, qu’en est-il dans la pratique ?
Des normes légales obsolètes
Attardons nous au tableau de l’annexe 10 des Food Regulations, du Food Act et, en particulier, sur la liste des 76 matières actives ainsi que de leurs LMR respectives pour les différentes associations pesticide-produits alimentaires d’origine végétale et animale (frais et transformés).
Une comparaison de cette liste avec la banque de données actualisée du Codex et de l’UE respectivement, fait voir que plusieurs des pesticides qui s’y trouvent sont aujourd’hui interdits alors que de nombreuses LMR ont un seuil de référence supérieur à celui recommandé. Par ailleurs, on note aussi que des pesticides figurant dans le répertoire des produits prohibés de la DCCA, sont autorisés dans le Food Act.
Quelques unes des anomalies notées dans le tableau de l’annexe 10 des Food Regulations sont comme suit :
(i) Des 76 pesticides listés, 6 d’entre eux (18 %) sont interdits dans La DCCA, le Codex et l’UE respectivement. Toutefois, il serait utile de préciser que le Dangerous Chemicals Control Board a le pouvoir d’autoriser, par écrit, l’usage d’un pesticide interdit, figurant dans la DCCA, sur avis favorable du Dangerous Chemicals Advisory Council.
(ii) 8 autres pesticides interdits dans la DCCA, mais autorisés dans le Codex et/ou l’UE, se retrouvent dans la Food Act. Il est présumé que cela fait suite à un avis positif du Dangerous Chemicals Advisory Council.
(iii) 27 pesticides (35 %) ne font plus partie de la banque de données du Codex et de celle de l’UE.
Les données exposées ci-dessus interpellent et attestent un dysfonctionnement inquiétant dans la gestion des pesticides par les autorités compétentes. Il est clair, basé sur la législation actuellement en vigueur, qu’il n’y a pas eu d’actualisation de l’annexe 10 des Food Regulations depuis longtemps, ce qui pourrait représenter un risque pour la santé des consommateurs.
À cet effet, il serait approprié de faire ressortir qu’en novembre 2015, la Food and Agriculture Organisation avait exhorté les pays à s’assurer que leur cadre réglementaire de gestion des pesticides soit à jour. Depuis, trois ans se sont écoulés.
Ainsi, le fait de retrouver à l’annexe 10 des Food Regulations, plusieurs pesticides interdits dans la DCCA et, plus grave encore, nombre d’entre eux ne figurant plus dans la banque de données du Codex et de celle de l’UE, mérite des éclaircissements en ce qu’il s’agit des critères décisionnels pris par le Dangerous Chemicals Advisory Council sur la question et, subséquemment, du rôle du Dangerous Chemicals Control Board s’agissant de l’homologation de ces produits.
Notons, que dans l’UE, un produit phytosanitaire n’est homologué que s’il a été, au préalable, scientifiquement établi que celui-ci n’a pas, d’une part, d’effets néfastes sur la santé consommateurs, des exploitants agricoles ou de toute autre personne susceptible d’y être exposé et, d’autre part, d’incidences sérieuses sur l’environnement.
Les imbroglios
Dès que la Use of Pesticides Act sera en vigueur, tous ceux directement ou indirectement concernés par les légumes et fruits frais se retrouveront dans une situation extrêmement confuse. Ce constat est basé sur le fait que la nouvelle loi ne fait mention d’aucun amendement à être apporté à la DCCA.
En effet, il est précisé à la section 1 (3) de la Use of Pesticides Act, que celui-ci sera complémentaire à la DCCA : «this Act shall be in addition to, and not in derogation from, the Dangerous Chemicals Control Act.» Par exemple, sous la DCCA, l’homologation et la réglementation des pesticides agricoles tombent sous la responsabilité du Dangerous Chemicals Control Board, sur lequel siègent déjà plusieurs techniciens du ministère de l’Agro-industrie.
Dans la Use of Pesticides Act, un nouvel organe de contrôle, notamment le Pesticides Regulatory Office, voit le jour et est appelé à gérer toutes les questions traitant de l’usage des pesticides utilisés dans les cultures de légumes et de fruits ainsi que dans ou sur les produits frais issus de la filière.
Cependant, comme la nouvelle loi est complémentaire à la DCCA, il serait intéressant de savoir comment le morcellement et le chevauchement des compétences ainsi que la gestion des risques au niveau de ces deux autorités administratives seront évités ? Une autre situation qui mérite des clarifications a trait aux amendes prescrites, dont le montant diffère, pour les mêmes délits, dans les deux lois.
Depuis plusieurs années déjà, de nombreux pays ont harmonisé et simplifié leurs différents textes juridiques sur les pesticides, allant de leur homologation à la LMR permissible pour les différentes combinaisons pesticide-produit alimentaire, dans un unique texte qui englobe tous les produits agricoles (frais et transformés) destinés à l’alimentation humaine et animale.
Dans l’UE, par exemple, le même règlement s’applique aux LMR de pesticides homologués pour 315 produits alimentaires frais ainsi que leurs équivalents transformés respectivement, mais adaptés pour tenir compte des changements liés à la transformation.
Au lieu de s’inspirer de la pratique mise en place ailleurs, chez nous, on va à contre-sens. Il est clair que l’entrée en vigueur de la nouvelle loi entraînera inévitablement une modification importante du cadre légal dans la gestion des pesticides dans les produits alimentaires.
La Use of Pesticides Act régira et contrôlera l’usage de pesticides dans les plantations de légumes et de fruits ainsi que le contrôle de leur seuil de résidus dans ou sur les légumes et fruits frais et ce, à la place de la Food Act. Ce dernier se limitera aux produits alimentaires autres que les légumes et fruits frais figurant à l’annexe 10 des Food Regulations.
Et ce n’est pas tout. Une comparaison des pesticides énoncés dans ces deux lois fait voir que chacune d’elles a son propre répertoire. Ainsi, seulement 5 des 76 matières actives figurant à l’annexe 10 des Food Regulations se retrouvent dans la liste de la Use of Pesticides Act.
Les distorsions de concurrence
Les chiffres publiés par Statistics Mauritius font voir qu’en 2017, la consommation locale de légumes frais (incluant l’oignon et l’ail), s’est élevée à 111 000 tonnes. De ce volume, la production locale représentait 89 000 tonnes, soit 80 % du volume consommé, et la différence, 22 000 tonnes (20 %), provenant des importations. Ouvrons ici une parenthèse pour faire ressortir que, quelles que soient les circonstances, trois produits dominent le marché d’importation des «légumes» frais, avec au moins 95 % du volume importé. Ils sont, en ordre d’importance, la pomme de terre, l’oignon et l’ail.
Tenant compte de l’importance de la production domestique de légumes frais au niveau de la consommation, il est clair que les planteurs locaux sont, de loin, les plus concernés par la Use of Pesticides Act. Ainsi, avec l’application de la nouvelle loi, nettement plus exigeante en matière d’usage de pesticides, les planteurs locaux seront contraints de revoir leurs techniques de production et ainsi, mettre en place de bonnes pratiques culturales. Les changements positifs attendus auront toutefois une incidence sur le coût de production.
À l’opposé, les légumes transformés, dont la quasi totalité du volume consommé est importé, seront assujettis à des exigences phytosanitaires nettement moins contraignantes, car étant réglementés par la Food Act. Cette situation est potentiellement de nature à générer de sérieuses distorsions de concurrence et à conférer un avantage déloyal aux légumes transformés importés, vendus sur le marché local, comparé à de nombreux produits locaux similaires frais, produits dans des conditions nettement plus sévères. Il est injuste que les planteurs locaux soient soumis à la concurrence des producteurs étrangers bénéficiant de conditions aussi différentes.
Manquements importants
La section 1 (2a) de la Use of Pesticides Act fait référence aux produits agricoles (agricultural produce), couverts par la loi, notamment les légumes et fruits frais. Il est précisé que : «agricultural produce… means any fresh fruit, plant, seed or vegetable specified in the first column of the First Schedule ...»
En parcourant la liste des légumes et des fruits figurant à l’annexe 1 de la loi, on se rend compte qu’il existe un contraste saisissant entre ces deux groupes de produits. L’inventaire des légumes comporte la quasi totalité des produits que nous consommons. Lorsque référence est faite à une espèce, comme par exemple les filants, la liste des cultures qui en forment partie est détaillée. (calebasse, concombre, giraumon, pipengaille, etc.).
S’agissant des fruits, le répertoire est quasi complet pour ceux produits localement. Toutefois, s’agissant des importations, plusieurs fruits, et non des moindres, sont absents de la liste officielle de la Use of Pesticides Act. Pomme, poire, kiwi, pêche, abricot sont les principaux concernés. Comment doit-on interpréter cette bourde ?
Tenant compte des données de Statistics Mauritius, les importations de fruits frais se sont élevées à 23 000 tonnes en 2017. De ce volume, environ 9 000 tonnes concernent les fruits manquants, cités ci-dessus, avec la pomme, le fruit importé le plus consommé chez nous, représentant à elle seule 5 800 tonnes (64 %). Ainsi, pratiquement 40 % des fruits frais importés ne sont pas concernés par la nouvelle loi.
Par ailleurs, un autre manquement de taille a trait aux agrumes. En effet, il est simplement mentionné le nom de l’espèce, notamment Citrus (citrus spp.), sans aucun détail en ce qu’il s’agit des différents fruits qui en forment partie, contrairement aux filants chez les légumes, qui est très circonstancié.
Comme l’orange, deuxième fruit frais importé le plus consommé après la pomme, n’est pas explicitement mentionné dans cette liste, doit-on conclure qu’elle devrait se retrouver parmi les agrumes ?
Conclusion
Il existe trop de zones d’ombre autour de cette nouvelle loi. Il est clair que les raisons évoquées par le ministre de l’Agro-industrie, lors de la présentation du projet de loi au Parlement, ne tiennent pas la route comme démontré dans cet article. Subrepticement, on détourne l’attention quant aux vraies motivations de l’introduction de la législation.
D’un côté on stigmatise les planteurs pour un usage excessif de pesticides alors que les lois existantes, tombant sous la responsabilité du ministère de la Santé, avec le ministère de l’Agro-industrie également très concerné, comportent de nombreuses et importantes carences en raison du retard considérable dans leur mise à jour.
Et au lieu d’amender en profondeur et de renforcer ces deux lois, on introduit une nouvelle législation qui ne couvre qu’environ 30 % de notre consommation alimentaire d’origine végétale ! Quid des 70 % restants (les produits transformés) provenant essentiellement des importations, réglementés par une législation désuète. Comment, dans une situation aussi confuse, peut-on assurer efficacement la protection de la santé des consommateurs ?
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