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Pour que Ritesh, Yeshna, Éleana et Anita soient les derniers !

31 octobre 2018, 04:39

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Voilà plus d’une semaine déjà depuis que le petit Ritesh Gobin, 11 ans seulement, a eu la gorge sauvagement tranchée par un des proches de son père. Depuis, la nation tout entière a été en émoi et s’est associée à la famille de la jeune victime de diverses façons ; certains à travers les réseaux sociaux ou les chaînes de radio privée, d’autres à travers des marches ou autres actions symboliques, et les politiques, derrière leur micro, à travers leurs discours politiquement corrects. Cependant, cette effroyable tragédie infantile n’est pas la première à l’île Maurice, depuis que nous sommes passés au XXIe siècle et, malgré la possibilité de mieux exprimer nos émotions et nos réactions à travers les avancées technologiques et l’ouverture du paysage médiatique, force est de constater que peu d’actions concrètes s’en sont suivies afin que chacune des petites victimes soit la dernière.

En effet, environ 2,5 % des victimes d’homicides entre 2016 et 2017 étaient des enfants âgés de 3 à 15 ans, selon Statistics Mauritius. Ce chiffre peut paraître dérisoire pour les insensibles mais pour ceux qui comprennent la valeur de la vie humaine, plus particulièrement celle d’un enfant, ce chiffre fait froid dans le dos. Et pour mieux illustrer l’urgence de la situation, peut-être devons-nous nous rappeler, malgré la douleur et la colère populaire anesthésiées par le temps passé :

(i) le viol et le meurtre d’Anita Jolita, âgée de 2 ans et demi, en juillet 2005,

(ii) le viol et le meurtre d’Éleana Gentil, âgée de 11 ans, en avril 2015,

(iii) le meurtre de Yeshna Rughoobin, âgée de 14 ans, en février 2016, entre autres.

L’effroi, le recueillement, l’émoi, les discours et les débats furent quasiment les mêmes après chacun des actes abominables listés ci-dessus et pourtant. Pourtant, nous nous retrouvons avec le même type d’actes de barbarie aujourd’hui. Si ce que l’on a fait hier n’a rien changé, n’est-il pas temps aujourd’hui d’y remédier afin de ne pas subir la même chose demain ? Apres tout, ces enfants auraient pu être votre enfant, votre petit enfant, votre frère, votre sœur, votre cousin ou votre cousine.

(Dans le sens des aiguilles d’une montre) 
Ritesh Gobin, Yeshna Rughoobin, Éleana Gentil et Anita Jolita ont été tués.

Si l’on se réfère aux verdicts et aux enquêtes en cours dans les cas de Ritesh, de Yeshna, d’Éleana et d’Anita, il ressort que les coupables ou présumés coupables sont tous issus de l’entourage des parents de victimes ou de celui des victimes elles-mêmes. De ce fait, nous nous devons de nous demander si, dans notre société actuelle, le parent connaît et remplit ses responsabilités comme il se doit. En effet, le parent s’impose comme le protecteur naturel de son enfant et il devrait en être le garant primaire.

Sans généraliser, mais en ayant pour unique but de renforcer le filet protecteur autour de chaque enfant mauricien, demandons-nous, en toute sincérité,

(i) si chaque parent remplit son rôle de protecteur et d’exemplarité ;

(ii) si les organisations gouvernementales/non gouvernementales s’assurent que chaque nouveau couple connaisse toutes les responsabilités parentales qu’il aura probablement à assumer à l’avenir ;

(iii) si les parents en difficultés ou les enfants délaissés par des parents négligents savent vers qui se tourner pour être pris en charge ;

(iv) si l’entourage immédiat (voisins, amis, professeurs, famille, etc.) des enfants comprend le rôle de protecteur par association envers ces derniers et s’il sait comment remplir son rôle de donneur d’alerte, si besoin est ?

Le ministère de l’Égalité des genres, du développement de l’enfant et du bien-être de la famille est-il en mesure de garantir à la population qu’elle fait fréquemment une remise en question de son plan stratégique basé sur les points énumérés ci-dessus et si ses campagnes de sensibilisation, d’éducation et de supervision sont optimisées en conséquence ? Alors que la technologie occupe de plus en plus de place dans notre paysage audiovisuel, le ministère a-t-il su et pu adapter ses campagnes en conséquence ? 

Loin de moi l’intention de ramener ce sujet d’intérêt national à un vulgaire débat politique car, quoi qu’il en soit, différents gouvernements se sont succédé depuis 2000 mais la politique de l’autruche et du perroquet a, elle, continué. Les politiques font l’autruche tant qu’il n’y a pas de victimes et ils sont tels des perroquets, tous dénonçant les atrocités, après chaque meurtre d’enfant. Pendant que nous nous satisfaisons de rien de plus que leurs paroles, les meurtriers, eux, passent à l’action.

Après le parent et son entourage par association (voisins, amis, professeurs, famille, etc.), l’on s’attend logiquement à ce que les forces de l’ordre, auxquelles contribue la majorité des parents en forme de taxe, assurent la protection des enfants. À ce titre, chaque parent s’attend à ce que la police joue un rôle dissuasif, en étant le plus visible possible et le plus à l’affût d’éventuels actes illégaux. De plus, la police doit s’assurer, en tant qu’autorité constitutionnelle, que les citoyens connaissent les lois en vigueur et les peines y étant associées.

Tout en rendant hommage à tous les policiers intègres de notre pays, pouvons-nous savoir

(i) des 12 000 hommes et femmes, environ, qui constituent la force policière, combien sont-ils à être déployés à travers l’île quotidiennement ?

(ii) si la police assume pleinement son rôle proactif de prévention pour éviter les délits ou préfère-t-elle être réactive pour agir après les délits ?

(iii) si avec l’évolution démographique de l’île en matière de zones d’habitation, et surtout avec de nouvelles zones de résidence, la police évalue la pertinence de la localisation des 127 postes de police à travers l’île afin de s’assurer que sa vitesse de réaction soit optimale ?

(iv) si la police dispose d’une unité ayant pour responsabilité de répertorier, exclusivement à travers des enquêtes de terrain, les individus connus de leur voisinage pour leur agressivité, leurs comportements atypiques ou des addictions à l’alcool, la drogue ou la pornographie ?

En nous appuyant sur les cas de Ritesh, d’Éleana et d’Anita, nous pouvons également faire un parallèle entre la barbarie et le milieu social dans lequel évoluaient ces jeunes et innocentes victimes. En effet, ces trois familles étaient issues de milieux relativement modestes, vraisemblablement négligés des autorités compétentes. Nous ne pouvons que faire un appel au ministère de l’Intégration sociale afin qu’il encadre mieux, à travers des programmes soutenus, les foyers rongés par la pauvreté, le chômage, les addictions, la frustration et la violence ou les déviances qui peuvent en découler. Par ailleurs, les cas de Ritesh et d’Éleana démontrent que les terrains broussailleux sont des lieux qui encouragent les crimes odieux. Il est du devoir du ministère en question de s’assurer de la fréquence des opérations de nettoyage et de déboisement afin de décourager de telles atrocités.

Au cours de mes recherches menant à la rédaction de cet article d’opinion, j’ai eu l’occasion de m’entretenir avec la tante de la petite Yeshna Rughoobin, poignardée à mort en février 2016 comme sa grand-mère, alors qu’elle n’avait que 14 ans. Lors de ce véritable carnage perpétré par un présumé meurtrier qui n’avait que 17 ans au moment des faits, le frère de Yeshna fut également poignardé mais arriva miraculeusement à s’en sortir. C’est pour dire toute la douleur et tout le traumatisme de la personne avec qui j’ai échangé, jeudi dernier. 

Contrairement à la plupart d’entre nous qui sont touchés par ces meurtres d’enfants et qui oublient ensuite la peine et la douleur, les familles des victimes ainsi que leurs proches traînent le boulet de la douleur et restent emprisonnés dans le chagrin pour toujours. Quand les jeunes victimes innocentes sont tuées, c’est également une partie de leurs proches qui est assassinée. Et ces victimes collatérales revivent le cauchemar auquel ils ont dû faire face à chaque fois qu’un nouveau cas similaire se produit. Cela constitue une souffrance de la pire espèce qu’aucun être vivant ne mérite de subir. Quand un proche s’éteint au bout d’une maladie, vous pouvez le voir ou même lui faire vos adieux. Par contre, quand il s’agit d’un meurtre, la perte est subite et brutale. 

À force d’être exposé au matraquage médiatique de la mort qui frappe notre île quasi quotidiennement à travers la drogue, le crime ou les accidents de la route, le patriote que je suis finit parfois par développer une immunité émotionnelle face à ces drames et cette discussion avec la tante de cette jeune victime m’a permis d’approcher ce phénomène sociétal avec beaucoup plus d’humanisme envers les victimes mais pas forcément envers les criminels. C’est pour cela qu’au-delà des mesures préventives, que j’ai exposées jusqu’ici, les mesures punitives sont toutes aussi importantes.

En m’entretenant avec la tante de Yeshna, qui pleure chaque jour la mort de cette dernière mais aussi celle de sa mère, tuée également le même jour, il est évident que malgré les peines punitives mises en place par l’exécutif mauricien et appliquées par le judiciaire, le sentiment d’injustice prévaut en permanence. D’emblée, la tante de Yeshna m’a demandé de me renseigner sur le système punitif en Indonésie pour les crimes atroces ; chose que j’ai faite. Avant d’aller plus loin, je dois dire que je suis pour la peine de mort, mais que la faiblesse de nos institutions fait que je ne pense pas que Maurice soit prêt à mettre en œuvre une telle mesure, irréversible de surcroît.

Selon les statistiques de janvier 2018, l’Indonésie est un des pays où le taux d’homicide est le plus faible (191e sur 198 pays) alors que Maurice, à titre de comparaison, figure à la 119e place de ce classement mondial. L’Indonésie a un cadre légal très précis dans lequel la peine de mort n’est applicable que dans des cas précis, comme les meurtres atroces, le trafic de drogue ou l’atteinte à la vie de chefs d’État locaux ou étrangers sur le sol indonésien. De plus, la peine capitale peut être assujettie à des périodes moratoires, comme ce fut le cas de 2008 à 2013 ; ce qui fait que la peine de mort peut être utilisée et bannie selon les besoins et selon le taux de prolifération du crime. D’ailleurs, après une lutte acharnée contre les trafiquants de drogue, le président indonésien s’est récemment dit ouvert à une possibilité de mettre fin à la peine de mort dans son pays, puisque les 19 condamnations à la peine de mort exécutées entre 2013 et 2016 ont drastiquement réduit le taux de trafic de drogue en Indonésie. À titre de vérification, je me suis renseigné auprès d’une Indonésienne qui m’a confirmé que le taux de criminalité dans son pays est relativement bas et que ses concitoyens sont majoritairement pour la peine capitale car elle renforce la sécurité et contribue énormément à la lutte contre le trafic de drogue.

Ce qu’il est aussi très important de rappeler aux Mauriciens, c’est que la peine de mort n’est pas infligée ni exécutée du jour au lendemain. Dans plusieurs pays où la peine de mort est encore pratiquée, le condamné passe en moyenne huit années en prison avant l’exécution de sa sentence, laissant ainsi à ce dernier le temps d’épuiser tous les recours légaux envisageables avant la mise à mort. 

À Maurice, les exécutions se sont toujours faites par pendaison et le dernier à avoir pendu au bout d’une corde fut Essan Nanyeck, en 1987, avant que la peine de mort soit finalement abolie, sur fond d’accord politique électoral, en 1995. En ce qui me concerne, la peine de mort ne peut pas et ne doit pas être une mesure envisageable tant que le système d’enquête au niveau de la police n’est pas drastiquement rehaussé et appuyé par des enregistrements intégraux des suspects du moment de leur interpellation jusqu’à l’énoncé de leur verdict. L’introduction éventuelle de la peine de mort doit être le résultat d’une enquête policière de haute facture qui repose sur des faits et pas uniquement sur des aveux ; encore moins des aveux circonstanciels.

Cela dit, il est inconcevable que le contribuable mauricien verse plus de Rs 800 par jour pour nourrir des tueurs d’enfants ! En théorie, cela veut dire que les parents de Ritesh, de Yeshna, d’Éleana et d’Anita paient pour les meurtriers/meurtriers présumés de leur progéniture. Cela équivaut à une insulte et un manque de respect de notre système envers les proches des victimes. De plus, la prison devrait être un lieu punitif, mais également et surtout un lieu de réhabilitation. En effet, les Mauriciens contribuent à faire en sorte que ces criminels ne soient pas des récidivistes à leur sortie de prison. Or, les programmes de réhabilitation en milieu carcéral sont-ils réellement efficaces ? Quelle garantie offre l’État pour assurer aux contribuables que ces meurtriers sortiront comme des citoyens modèles et inoffensifs, une fois leur peine purgée ? Pire encore, les prisonniers subissent-ils vraiment l’emprisonnement comme une forme de punition ou celui-ci est-il synonyme de séjour pour eux ?

Qu’est-ce qui empêcherait les détenus d’être nourris de plats exclusivement végétariens, produits de leur propre labeur, en assurant leur propre plantation de légumes pour leur propre consommation ? Pourquoi la cigarette n’est-elle pas totalement interdite dans le milieu carcéral ? Rien que ces deux mesures ne permettraient-elles pas d’alléger la facture du contribuable et d’accentuer l’aspect punitif de l’emprisonnement ? De plus, y a-t-il un suivi psychologique des suspects et des condamnés dans des cas de crimes atroces pour permettre à l’État de s’assurer de l’évolution comportementale et psychique de ces derniers ? Ce type de suivi ne permettrait-il pas

(i) de mieux identifier les caractéristiques comportementales de ce genre d’individu ?

(ii) de mieux évaluer les traitements et programmes de réhabilitation en prison ?Et qu’en est-il du soutien et du suivi psychologique dont bénéficient les proches des victimes ? Que font les autorités pour Sheenah, la petite sœur de Ritesh qui, à 9 ans seulement, a vu ce que nombre d’entre nous ne pouvons même pas regarder dans des films de fiction ? Cette enfant a été meurtrie à jamais autant que son frère a été victime de meurtre. Et que dire de la mère de ces deux enfants, dont le fils est mort dans ses bras, la gorge entaillée sous ses yeux ? Comment une mère vit-elle avec cette vision d’horreur jusqu’à son dernier souffle ? Que fait l’État pour que cette famille, de surcroît modeste, ne sombre pas dans les abysses de la dépression morbide ? Comme élément de réponse à ces quelques questions, je me réfère à l’entretien accordé au journal l’express par la mère de la petite Éleana en 2017, soit deux ans après le viol et l’assassinat sauvage de son enfant. Lors de cet entretien, cette mère désemparée se dit livrée à elle-même et à ses pensées troubles, sans même être informée d’éventuels progrès de l’enquête policière.

C’est grâce à notre puissance que nous faisons des enfants et c’est grâce à notre impuissance que nous les perdons. Le véritable crime dans toute cette histoire, c’est que des enfants payent de leur vie pendant que notre société tente de combattre l’irrationnel par d’invisibles solutions rationnelles. Peu auront lu cet article jusqu’à la fin ; encore moins feront changer quoi que ce soit. À moins que… 


Je dédie mes mots à la mémoire des petits anges qui reposent alors que la responsabilité pour qu’il n’y en ait pas d’autres repose… sur nous ! 

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