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Manif anti-LGBT: Les causes de l’intolérance

15 juin 2018, 10:48

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Manif anti-LGBT: Les causes de l’intolérance

Cette année la Marche des fiertés a eu lieu le 2 juin dans le monde entier. Du moins dans les endroits où elle ne fut pas empêchée. Il s’agit de ne pas se tromper dans l’analyse des causes qui ont empêché que la Marche des fiertés se déroule à l’île Maurice dans la paix, la joie et le respect de toutes les orientations sexuelles, comme le souhaitaient sans doute les organisateurs locaux.

Contrairement au continent africain, où cette marche est largement interdite par les gouvernements en place, à l’île Maurice la manifestation LGBT est autorisée depuis des années. Cette année encore, elle fut donc bien autorisée par les autorités. Ce sont les organisateurs eux-mêmes qui ont été contraints de choisir de ne pas marcher dans Port-Louis en raison d’une contre-manifestation réunissant plusieurs centaines de personnes surexcitées et hostiles à la tenue de la Marche des fiertés, ces personnes étant en majorité de foi musulmane et réprouvant l’homosexualité pour des raisons relevant de leur morale religieuse.

Ce qui a donc empêché la Marche des fiertés est le rejet ou l’incompréhension, par une frange de la population, de ce qui fait la nature profonde de notre régime démocratique et républicain. En République, l’espace public est ouvert à l’expression de toutes les philosophies et sensibilités pourvu qu’elles ne portent pas atteinte à la loi. Et l’État laïc (ou séculier comme l’on voudra…), étant tenu de respecter la liberté de conscience de chacun, n’a pas à prendre partie pour ou contre ces philosophies, son devoir est d’assurer que chacune puisse s’exprimer en toute sécurité.

À l’île Maurice, l’exacerbation communautariste a fait des représentants religieux des porte-étendards communautaires, ce qui tend à les placer sur un piédestal et à les rendre incontournables pour nos politiciens. Ces derniers sont presque tous des dévots de la formule creuse «la nation mauricienne est composée de toutes les communautés (…et non d’individus citoyens)». Formule, en réalité mortifère, de ce que nous avions appelé «La République Œcuménique des Tribus», dans ce même journal, il y a de nombreuses années. L’un des traits de ce régime politique dévoyé est que les re- présentants religieux, prenant appui sur le statut indu qui leur est conféré, s’entendent pour s’approprier l’espace public afin d’y imposer leurs «vérités» révélées, leurs dogmes… et leurs interdits. 

Ce que nous avons vu le samedi 2 juin, c’est l’appropriation de l’espace public par et au nom de croyances religieuses qui cherchent à s’imposer à tous et en premier lieu à ceux qui ne partagent pas les valeurs que véhiculent lesdites croyances. Il s’agissait là de l’appropriation matérielle de l’espace public avec une menace claire de l’utilisation de la violence contre ceux qui cherchaient à exprimer, dans cet espace public, des valeurs et un mode de vie contrevenant au dogme religieux. L’appropriation donc d’une Géographie du non-droit (Port-Louis) où devrait régner la prééminence du dogme religieux. Mais également l’appropriation d’un Temps de non-droit, délimité par une période de jeûne propre à une religion et décrété «sacré» pour tous. Le succès de cette appropriation d’une Géographie et d’un Temps de non-droit étant parfaitement mesurable par le degré d’immunité accordé à ceux qui avaient ouvertement violé la loi.

Mais le domaine de prédilection des religieux hégémoniques de cette République Œcuménique est sans doute celui de la Morale Publique. De cet espace public de la Morale Publique, les religieux sont depuis toujours tentés de s’en prétendre les seuls et uniques propriétaires, car ils se croient détenteurs de vérités divines. Il s’agit là, pour eux, d’assurer, d’une part, que leurs dogmes soient indiscutables et, d’autre part, que les contrevenants tombent sous le coup de la loi pénale sous prétexte que «tu bondie dakor» (tous les dieux sont d’accord)…

Nous l’avons vu, il y a quelques années, avec l’article 235 du Code pénal qui interdisait l’avortement dans toutes les circonstances. Les religieux se sont mobilisés pour que la loi ne change pas, alors que le législateur cherchait uniquement à autoriser l’avortement dans certaines circonstances, par exemple lorsque la vie de la mère était en danger… En 2005, le Comité des Droits de l’homme des Nations unies disait ceci à propos de l’île Maurice : «The Committee notes with concern that section 235 of the Penal Code penalizes abortion even when the mother’s life is in danger, and thus may encourage women to resort to unreliable and illegal abortion, with inherent risks for their life and health.» Mais rien n’y faisait… Convaincre ses coreligionnaires du péché que constituerait l’avortement n’était pas suffisant, il fallait à tout prix faire pression pour que l’État continue à criminaliser et condamner tous ceux qui contrevenaient au dogme religieux. Et, il faut bien le dire, en 2012 ça n’était pas les religieux musulmans qui avaient élevé la plus énergique opposition au projet de réforme. Chacun se reconnaîtra (voir l’article de Michel Ahnee écrit en capacité de président de la section mauricienne d’Amnesty International https://www.lexpress.mu/idee/ avortement-ne-plus-accepter-uneloi-si-cruelle-et-un-tel-outrage-àla-dignité-humaine-des). Fort heureusement, le législateur mauricien a eu le courage de faire passer, malgré tout, le texte permettant l’avortement dans certaines circonstances.

«Ce qui a empêché la Marche des fiertés est le rejet ou l’incompréhension, par une frange de la population, de ce qui fait la nature profonde de notre régime démocratique et républicain.»

En 2007, Rama Valayden, alors ministre de la Justice, avait proposé un Sexual Offences Bill qui prévoyait l’abrogation de l’article 250 du Code pénal. Cet article non seulement criminalise la sodomie entre adultes consentants, mais, en prime, place délibérément cette pratique sexuelle entre humains sur le même plan que la bestialité :

«250. Sodomy and bestiality Any person who is guilty of the crime of sodomy or bestiality shall be liable to penal servitude for a term not exceeding 5 years.»

Ce texte est une incitation à la haine et à la discrimination, il porte évidemment atteinte à la dignité des per- sonnes et à leur droit au res- pect de la vie privée. Pourtant, devant la levée de boucliers des religieux, le gouvernement d’alors avait mis le projet d’abrogation au placard. Ceux qui avaient osé soutenir cette réforme de notre droit pénal en 2007 avaient été traités de «laïcards» par un chef religieux (qui n’était pas musulman). Ne nous étonnons donc pas que, durant la contre-manifestation, nous ayons vu des pancartes en droite ligne avec la belle moralité qui exhale de nos textes : «Homosexuality = Bestiality.» De l’appropriation de la politique pénale à l’appropriation de l’espace public physique, il n’y a qu’un pas. Et les auteurs de ce pas, qui a été allègrement franchi le 2 juin, pourront se targuer qu’il s’agissait d’une démarche légitime puisqu’elle est soutenue «texto» par la loi pénale mauricienne…

Que les religieux et leurs coreligionnaires s’appliquent à eux-mêmes leurs dogmes et leurs interdits. Ils en ont le droit. Mais qu’ils ne cherchent pas à les imposer à toute la société soit par des voies de fait, comme ce fut le cas le 2 juin, soit par le maintien d’une loi pénale violant les droits et libertés fondamentaux des individus tels que reconnus par notre Constitution et les Conventions internationales ratifiées par notre pays. Estce trop demander pour vivre ensemble en paix ?

Il faut maintenant que le gouvernement prenne ses responsabilités et indique clairement dans quelle société nous allons vivre ensemble. L’article 250 du Code pénal est anticonstitutionnel, il doit être abrogé. Par ailleurs, ce texte est aujourd’hui un nonsens car l’Employment Rights Act et l’Equal Opportunities Act, entrées en vigueur en 2009 et 2012 respectivement, protègent explicitement l’orientation sexuelle homosexuelle et bisexuelle. Comment est-il possible pour le législateur mauricien de protéger une orientation sexuelle contre la discrimination, tout en continuant à criminaliser une pratique sexuelle ordinaire relevant de ladite orientation sexuelle ? Faute pour le gouvernement et une majorité parlementaire d’agir, c’est la Cour suprême qui devra se prononcer sur la constitutionnalité du texte.

 

 

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