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Violence sexuelle - Me too: balance ton porc

8 décembre 2017, 07:36

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Violence sexuelle - Me too: balance ton porc
Marche de protestation organisée en Europe, contre le kidnapping de jeunes filles camerounaises par le groupe Boko Haram, à la suite du mouvement lancé par Michelle Obama, «Bring back our girls».

Je vais être honnête avec vous : je me méfie des hashtags et des réseaux sociaux comme de la peste. Je ne suis pas technophobe, loin de là.

Mais la culture narcissiste des selfies, de la mise en scène de soi, du suivi de chaque instant d’une vie qui ne mérite pas forcément de l’être – après tout, quelle vie, même celle du plus grand génie, mérite d’être suivie d’instant en instant, imaginons seulement les flatulences d’un Einstein, mais pensons aussi au fait qu’il ait tiré la langue aux photographes pour bien leur dire ce qu’il pensait de la célébrité –, m’effraie et m’horripile à peu près au même niveau.

C’est ainsi que mon âge, peut-être, se manifeste. Même si je ne nie pas pour autant l’utilité de ces réseaux dans certains contextes professionnels, je ne suis pas encore persuadée de leur durabilité ni de leur aptitude à changer le monde. Trop proche encore de ma mémoire est le grand mouvement lancé par Michelle Obama – que j’admire beaucoup par ailleurs – au sujet des jeunes filles camerounaises kidnappées par le groupe Boko Haram.

Le hashtag était, si je m’en souviens bien, Bring back our girls. Eh oui, elles étaient toutes nos filles à cet instant-là, et le mouvement sur Twitter a été une déflagration.

À première vue. Mais au bout de quelques semaines, le silence s’est réinstallé autour d’elles, autour de nos filles, et soudain on parlait d’autre chose, et la cervelle d’oiseau du logo emblématique s’était affolée pour un autre sujet suivi passionnément par des millions de gens.

Nos filles sont, pour certaines, revenues vers leur village vêtues de noir, le visage sombre et sans sourire, pour être rejetées par leur famille parce qu’elles n’étaient plus pures, parce que violées, parce que passées de mains en mains, de corps en corps, parce qu’ayant enfanté, bref – parce qu’elles avaient été exposées aux pires sévices et qu’il fallait donc qu’elles en soient doublement punies. Où se trouvait Twitter au moment de ces retrouvailles terribles sous l’opprobre général ?

Aujourd’hui, donc, je me réjouis certes de la parole libérée au sujet des pratiques de domination sexuelle masculine qui font que ceux qui ont accès à un certain pouvoir puissent exiger, des femmes et des hommes qui ont besoin d’eux professionnellement, leurs subalternes, pour utiliser ce mot chargé de sens qu’ont savamment commenté les philosophes Homi Bhabha et Gayatri Spivak dans le cadre du post-colonialisme. Ce qui au moyen âge était appelé en bonne et due forme le «droit de cuissage».

Je me souviens avoir été choquée, au moment de l’affaire Strauss-Kahn, qu’un commentateur en vue ait évoqué, dans un journal, ce droit de cuissage de manière à la fois facétieuse et équivoque. Comme s’il disait que c’était là un droit qu’un homme de pouvoir pouvait encore s’arroger de nos jours à l’encontre des subalternes.

Peu m’importe les motivations de la femme qui a été à l’origine de ce scandale qui aura coûté à Strauss-Kahn la présidence de la République. Elle se battait avec les armes qui lui étaient disponibles, peut-être a-t-elle été manipulée, mais toujours est-il que le protagoniste principal n’a pas hésité une seule seconde avant d’exiger d’elle un acte sexuel, du seul fait qu’elle venait nettoyer sa chambre d’hôtel.

Imaginons un seul instant qu’il soit devenu le président de la France… Comment aurait-il pu, guidé comme il l’était par une seule partie de son anatomie, résister à toutes les possibilités que cette fonction lui offrait ?

Bill Clinton a eu beau clamer «I have not had sexual relations with that woman», une fellation tombe sous la qualification de relation sexuelle, ne vous en déplaise, Monsieur l’ex-président. Et personne ne pourrait le nier avec un tel aplomb, sauf une personne pétrie de l’importance de son pouvoir.

Cela n’empêche pas ces hommes d’être invités à donner des conférences grassement rémunérées. Parce qu’ils font partie de la clique des puissants auxquels tout est pardonné.

Que des actrices en vue, respectées pour leur art, osent aujourd’hui prendre publiquement la parole est une avancée notable. Sauf si l’on considère que, si des femmes payées, pour certaines, en millions de dollars, étaient soumises à la même loi de l’omerta que l’employée d’un hôtel, la femme de ménage, la secrétaire, la paysanne, ou toute femme dont la rémunération ou le destin est soumis à la loi d’un homme, qu’en sera-t-il pour toutes ces autres, qui n’ont aucune voix ?

Suffira-t-il d’un hashtag pour changer les choses ? Harvey Weinstein et Kevin Spacey se sont réfugiés dans une même clinique sans doute hautement luxueuse (je viens d’apprendre que Weinstein est en ce moment en Suisse, ce pays qui, comme le disait Jean Ziegler, lave plus blanc.

Tenterait-il de se blanchir comme les milliards de son industrie et des autres ? Ils seront prêts à faire acte de contrition avant de revenir, une fois l’oubli médiatique accompli, aussi puissants qu’avant.

Mel Gibson a bien exposé ses avis racistes et misogynes au monde entier. Cela ne l’a pas empêché de revenir en tant que réalisateur et acteur, et d’être de nouveau encensé.

Je me pose la question : s’il s’agissait d’un scandale qui impliquait une femme puissante, ce droit à l’oubli de la faute lui serait-il aussi aisément accordé ? Je n’en suis pas si sûre.

Certaines femmes la condamneraient même plus sévèrement qu’elles ne le feraient pour les hommes. Imaginons que Hillary Clinton serait devenue présidente et que l’on ait la preuve qu’un jeune stagiaire accort se soit mis à genoux devant elle dans le bureau ovale… Se relèverait-elle d’un tel scandale ?

Pour en revenir au mouvement sur les réseaux sociaux, j’avoue que si je devais m’y joindre, le me too anglosaxon me convaincrait davantage que le balance ton porc français. Je préfère être dans une inclusivité féminine que dans une délation haineuse.

Non parce que la révélation ne serait pas ici de mise. Mais parce que d’abord, ce ne serait pas «mon» porc, et ensuite parce que la loi du silence et la tradition millénaire de cette emprise masculine absolue, de ce pouvoir qui dépasse toutes les luttes féministes encore au 21e siècle, ne sont pas seulement le fait des hommes.

Mais aussi en partie des femmes qui les ont élevés dans la conviction de leur importance et de leur hégémonie. Je rejette tous les intégrismes, y compris ceux où les hommes seraient qualifiés de porcs sans avoir eu la chance de se défendre.

L’important, ici, est que le mouvement perdure et ne soit pas un feu de paille ; que les femmes admettent qu’elles ont parfois mal éduqué leurs fils ; que les hommes qui n’adhèrent pas à ce comportement se fassent également entendre. Et que nous comprenions que devenir plus grands que nous, comme l’a si bien dit Michel le Bris, implique non seulement la condamnation mais également la compréhension.

Les Harvey Weinstein sont des produits de l’histoire ; le droit de cuissage n’est pas une pratique médiévale, mais encore bien contemporaine. Lutter contre cela n’implique pas d’oublier les jeux de séduction, mais comprendre que tout désir part d’un choix et d’un consentement mutuel et que toute domination part d’un atavisme biologique qui nous renvoie à notre nature d’animaux.

Cela semble, hélas, un long parcours, qui nie toutes nos illusions de progrès. Y compris les progrès technologiques qui n’ont pas fait avancer les mentalités si l’on y regarde de plus près.

Voici donc ce que je voudrais dire aux hommes : amis, amants, frères et pères, le désir partagé est une chose délicieuse. La violence ne vous laissera qu’un goût de cendres dans la bouche. Et vous n’approcherez jamais aussi bien l’énigme de la féminité que lorsque vous l’aurez respectée.

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