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Système et pouvoirs: dépasser le journalisme d’investigation
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Système et pouvoirs: dépasser le journalisme d’investigation

L’action récente à l’encontre des journalistes a fait soulever la question de la liberté de la presse et surtout de la marge de manœuvre qui doit nécessairement être laissée aux journalistes, afin de leur permettre d’exercer leur métier, leur vocation. Les journalistes directement touchés durant ces heures sombres de l’histoire de la presse et de la démocratie dans notre pays ont attiré l’attention sur la nécessité de la protection du journalisme d’investigation.
Une mission qui permet, entre autres, la dénonciation des faits condamnables. Et qui expose, au grand jour, des vérités que certains souhaiteraient bien qu’elles restent cachées.
Le traitement des journalistes et tout le calcul derrière la récente opération policière sont l’expression de contradictions ouvertes entre, d’une part, le pouvoir aidé des institutions à son service. Et d’autre part, la presse, soutenue à des degrés divers par un lectorat et une population qui veulent être renseignés sur ce qui se passe dans le pays.
Un même système
Toutefois, pouvoir et presse, même s’ils ont des missions différentes, des ambitions divergentes, sont parmi les principaux acteurs d’un même système, économique et politique, dont ils en assurent la bonne marche et la pérennisation. Des antagonismes entre les deux se manifestent des fois, fondés sur des conflits de prérogatives.
Mais dans le fond, les deux main- tiennent en état le système, comme ils l’affirment, dans l’intérêt supé- rieur du pays. Le peuple n’en est que sage spectateur.
Évidemment, la traque aux nouvelles concernant les truands ne fait pas l’unanimité, surtout pour ceux qui sou- tiennent et «soutirent» la perpétration des actes contraires à l’éthique. Mais ces nouvelles régalent une population avide de connaître les dessous des affaires.
Et puisque la curiosité est humaine, la population en redemande, le lectorat s’accroît, se fidélise, et tout le monde y trouve son compte : médias et lecteurs ou auditeurs. Tout le monde applaudit le fruit du journalisme d’investigation, sauf la petite poignée de truands, agacés que leurs actes soient connus du public.
Indignation limitée
Mais au-delà de la curiosité, il y a l’indignation de la population. Celle-ci, grâce au journalisme d’investigation, prend connaissance des actes de corruption, de népotisme, des passe-droits et autres scandales, qui minent la gestion des affaires publiques et le moral de notre société.
L’indignation, qui n’est rendue possible que s’il y a information, constitue un pas pour sortir le peuple de l’indifférence. Le journalisme d’investigation, qui alimente la colère et l’indignation, trouve sa justification en contribuant à rendre conscient le peuple des affaires qui le concernent, des dysfonctionnements de la société.
Le journalisme d’investigation est toujours perçu comme une entrave à la bonne marche des «transactions», au sens péjoratif du terme. Pour ceux qui dominent que ce soit l’économie ou la politique, les journalistes sont des empêcheurs de tourner en rond, des «kasser konté», comme on le dit chez nous.
Cependant, les tenants du pouvoir ont tort de tirer sur ces journalistes qui dénoncent les actes répréhensibles. Car la dénonciation concerne toujours des actes isolés et une poignée de pourris, et permet au système de se débarrasser des truands qui n’ont pas été suffisamment précautionneux.
Le journalisme d’investigation ne secoue pas le système en place. Il corrige ses imperfections, rendant possible sa pérennité. Il confirme la structure et l’opération des pouvoirs économiques et politiques en tant que normes, comme la seule organisation capable d’assurer le bonheur et le progrès d’une société.
À cet égard, le journalisme d’investigation s’apparente à tout autre du genre : journalisme d’immersion, people, voyages et tourisme, cuisine, meubles et jardins, stars et Bollywood et autres carnets sportifs. Tout se résume à consolider un système économique, politique et de société en place.
Pour un journalisme d’engagement
Le journalisme d’investigation soulève l’indignation. C’est son aspect positif, voire progressiste. Mais l’indignation seule comporte des limites lorsqu’elle reste au niveau de l’émotion et de la colère, sans suite, sans engagement, sans action pour redresser la situation.
Les actes répréhensibles qui ont traversé le pays finissent par se faire oublier. Et faute de réactions soutenues du peuple face aux scandales, de même que leur banalisation renouvelée par les pouvoirs, nous sommes condamnés à les revivre. L’indignation n’a apporté qu’un ressentiment passager, incapable de bouleverser les habitudes des puissants.
Pour apporter quelque changement palpable dans le monde politique et économique, le journalisme d’investigation ne pourra se passer d’un volet d’engagement s’il veut servir de tremplin pour avancer dans la voie de la mobilisation et du changement. Il suppose une approche différente à l’information et à son traitement.
Il place le travail du journaliste dans une tout autre perspective. Ce journalisme-là pose, certes, des défis dans son exercice, surtout dans un environnement où il est plus question de satisfaire la curiosité que de prise de conscience ou de mobilisation. Mais si l’engagement avait été présent, le peuple serait réveillé tôt ce jour-là, avant 4 h 30, pour défendre son droit à l’information.
Par ailleurs, dans un pays comme le nôtre, avec un lectorat restreint, un titre avec la seule vocation de faire du journalisme d’engagement n’est pas économiquement viable. Pour être rentable, la presse va devoir composer avec d’autres exigences, d’autres goûts, d’autres sensations à satisfaire chez le consommateur de l’information. Mais un dosage intelligent est toujours possible.
Pour construire une conscience !
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