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Réforme électorale : essayons un accouchement au forceps avant que d’autres ne fassent une césarienne à notre place

31 mars 2017, 06:03

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Pourquoi avons-nous besoin d’une réforme électorale ?

La réforme électorale est nécessaire pour la bonne et simple raison que depuis 1991 jusqu’à ce jour– c’est-à-dire, depuis plus de vingt-cinq ans – la Cour suprême, en différentes occasions, de même que le Privy Council en 2011 et la Human Rights Commission des Nations unies (ONUHRC) en 2012, sont tous arrivés à la même conclusion. Ils ont dit que notre système électoral qui détermine les sièges des «Best Losers» selon le dernier recensement communautaire qui date de 1972 – il y a 45 ans – est à la fois injuste et inapproprié car on se base sur des chiffres de 1972, donc forcément erronés, pour élire les «Best Losers».

Devant de tels jugements, trois options se présentent à nous :

  1. ignorer la Cour Suprême, le Privy Council et l’ONU.
  2. jouer la montre, essayer de gagner du temps et favoriser le statu quo.
  3. remettre à jour le recensement communautaire de 1972 pour avoir des chiffres fiables.

Option (a) : Ignorer les cours de justice. 

Heureusement que notre République n’est pas arrivée à ce stade de déliquescence. Donc, cette option n’est pas envisageable.

Option (b) : Jouer la montre en demandant des renvois successifs.

C’est ce qu’on fait actuellement. Par exemple, en 2012, l’ONUHRC nous avait donné 180 jours pour trouver une solution et cinq ans plus tard, on tourne toujours autour du pot. Il y a fort à parier que le gouvernement demandera un renvoi des débats quand le cas de Rezistans ek Alternativ sera appelé cette année en Cour suprême. Mais combien de temps pourrons-nous jouer la montre d’autant plus qu’aux prochaines élections générales, l’amendement temporaire de 2014 qui a donné l’option aux candidats de déclarer ou non leur appartenance ethnique, ne sera plus valable. En cas de non réforme, un nouvel amendement sera très probablement proposé par le gouvernement mais a de bonnes chances d’être jugé inconstitutionnel. On court donc le risque que tout le processus électoral, lui-même, soit éventuellement déclaré non conforme à la Constitution.

Option (c) : Refaire le recensement communautaire de 1972.

Remettre à jour le recensement de 1972 basé sur les différentes communautés, c’est ouvrir une boîte de Pandore dont personne ne connaît ni l’issue ni les conséquences. Dans un pays multiracial où la paix entre communautés est un miracle qu’on vit au quotidien, un recensement communautaire ira à l’encontre de tout l’effort commun de vivre ensemble qu’on a fait depuis l’indépendance et fort heureusement une majorité de Mauriciens est contre, en particulier les jeunes.

On est donc devant une situation bloquée : pour être en conformité avec les cours de justice et être en phase avec la population, on doit faire une réforme électorale en nommant les «Best Losers» ou en les remplaçant par un système qui rassure les minorités tout en ne refaisant pas de recensement communautaire.

Devant cette situation de casse-tête chinois, on s’est encore compliqué la tâche en voulant ajouter à la réforme électorale un système électoral dit «juste». En d’autres mots, un système où les sièges représenteront plus ou moins fidèlement le pourcentage des voix exprimées tout en assurant une majorité confortable au gagnant. Ajouté à cela, on veut en plus que la nouvelle loi garantisse une bonne représentativité des femmes et qu’elle fasse aussi office de loi anti-transfuge, alors qu’on n’est pas encore tombé d’accord sur la définition du mot transfuge.

Il est à noter que ni la Cour suprême, ni le Privy Council et encore moins les Nations unies ne nous ont exigé comme préalable de faire une réforme électorale «juste» ou de garantir une représentation féminine équilibrée. Leurs réticences portent principalement sur le mode de désignation des «Best Losers» selon un recensement qui date de 45 ans.

Comment pense-t-on faire un système électoral «juste» ?

Le système électoral «juste» qui semble faire l’unanimité à Maurice est un système mixte «First Past the Post» (FPTP) ajouté à «une dose de proportionnelle». (PR)

Avant d’aller plus loin, il faut que l’on explique ce qu’est

  • le système «First Past the Post» (FPTP)
  • le système de la représentation «proportionnelle» (PR)
  • et le système mixte FPTP ajouté à une «dose de proportionnelle» (FPTP/PR).

 

Le système «First Past the Post»

Le système FPTP est le système électoral qu’on utilise actuellement à Maurice. C’est-à-dire que celui qui arrive en tête est élu. Ce système a comme avantage la possibilité de produire une majorité forte et stable pour pouvoir gouverner. Mais d’un autre côté, le FPTP ne prend pas l’avis exprimé par les électeurs dont les candidats n’ont pas été élus. Le plus grand risque c’est qu’un parti peut avoir une majorité de trois quarts ou plus à l’Assemblée nationale avec simplement 51 % des voix exprimées – quelquefois moins – ce qui fait que l’avis des 49 % des électeurs restants est ignoré. Le gouvernement élu avec 51 % des voix peut modifier à sa guise la constitution contre l’avis des 49 % restants.

Le système de représentation proportionnelle

La proportionnelle est un système où les sièges sont distribués selon le pourcentage des voix obtenues.

C’est-à-dire que le parti qui a, disons 10 % des voix, obtient 10 % des sièges. Cette méthode a pour avantage d’être juste car tous les avis sont représentés à l’Assemblée nationale mais a pour grand désavantage d’être très instable. Il n’est pas difficile de comprendre qu’un parti régional avec 10 % des sièges peut tenir en otage tout un gouvernement et infléchir sa politique. Les exemples ne manquent pas dans le monde : Israël, Italie, etc…

Le système mixte : First Past the Post/dose de proportionnelle

Dans ce système, on vote pour les candidats tels qu’on le fait actuellement et en plus, on met une quatrième croix pour un parti ou une alliance. C’est le système qui existe déjà à Rodrigues. Ceux qui arrivent en premier sont élus. Après la proclamation des résultats, on proclame d’autres élus selon le pourcentage obtenu par le parti nationalement. Il est à noter que ces députés qui sont élus en deuxième intention n’ont pas de circonscription. Ils sont inscrits sur une «Party List» déterminée au préalable par leur parti politique, c’est-à-dire, dans notre culture, par le leader. L’unique avantage de ce système, c’est qu’il gomme, certes maladroitement, l’écrasante sur-représentativité du vainqueur du FPTP comme cela a été le cas récemment à Rodrigues où l’OPR qui avait eu une majorité de 10-2 s’est retrouvée avec une majorité de 10-8 après application de la «dose de proportionnelle». Par ailleurs, ce système est censé pouvoir «subsume», c’est-à-dire, absorber le «Best Loser System» qui n’aurait plus, en théorie, lieu d’être dans ce système mixte.

La manière dont se fera l’absorption n’a jamais été définie. Chacun y va de sa formule. Il y en a qui disent que la «Party List» sera suffisante pour remplacer les «Best Losers» actuels. D’autres disent que les «Best Losers» actuels seront pendant un certain temps élus à côté des députés de la «Party List» jusqu’à la «mort naturelle» des «Best Losers». Une autre proposition donne le pouvoir au leader d’un parti politique de choisir les députés sur la «Party List» afin d’équilibrer la représentativité ethnique des élus après proclamation des gagnants au «First Past the Post».

Quant à savoir à quelle dose sera prescrite la proportionnelle, là aussi il n’y a pas de consensus.

Donc, comme vous pouvez le constater, ce système FPTP/«Dose de proportionnelle» présenté depuis des années comme LA solution à la réforme électorale est en fait, à bien des égards, au stade embryonnaire de la réflexion.

Les désavantages de ce système sont nombreux et je suis très surpris, pour dire le moins, qu’un tel système puisse avoir l’adhésion d’une majorité.

Quels sont les désavantages du système mixte FPTP/Dose de proportionnelle?

Les désavantages se trouvent surtout au niveau du “Party List”.

Premier désavantage : le non-renouvellement de la classe politique.

À l’île Maurice de sir Seewoosagur Ramgoolam à Pravind Jugnauth en passant par les ministres, à un moment donné, ils se sont tous retrouvés en dehors de l’assemblée nationale. Malgré tout, la perception au sein de la population est que l’offre politique ne se renouvelle pas. On voit toujours les mêmes aux postes de responsabilités. Avec la «Party List», ce non-renouvellement sera encore accentué.

Pour expliquer mon argument, prenons le cas de Monsieur Von Mally. Je n’ai personnellement rien contre Nicolas Von Mally, un monsieur d’ailleurs charmant que j’ai eu une fois l’occasion de rencontrer. Mais son cas est caricatural. Monsieur Von Mally s’est mis sur la «Party List» du Mouvement Rodriguais en première position et donc sera toujours assuré d’être élu à l’Assemblée régionale de Rodrigues. Tel un sparadrap sur les doigts du Capitaine Haddock, les Rodriguais auront dans le système actuel, toutes les peines du monde à se débarrasser de Monsieur Von Mally s’ils le souhaitaient. Vous allez me dire qu’il suffira de limiter la présence sur la «Party List» à deux élections pour régler le problème… Mais rien n’empêchera Monsieur Von Mally de présenter à sa place son épouse, ses proches, etc. car c’est lui le leader et c’est lui qui décide. On a donc créé «démocratiquement», à travers la «Party List» une dynastie Von Mally à Rodrigues.

Deuxième désavantage : la corruption et l’argent Roi.

Dans un pays comme l’île Maurice où il existe une forte tendance dynastique avec quelques familles formant la caste des politiciens, combien se monnaiera pour une famille donnée une place éligible dans la «Party List» ? L’argent se fera un moteur puissant pour être ministrable alors que toute réforme vise à un système égalitaire pour tout citoyen.

Troisième désavantage : l’accentuation de l’arrogance du pouvoir.

Nous savons tous comment un mandat électif entraîne de l’arrogance et un sentiment d’impunité chez les députés et ministres. Bien peu y échappent. On ose à peine penser comment se comporteront ceux qui n’auront pas de mandants, sûrs d’être élus à tout coup et donc peuvent vivre en tout «hybris» comme diraient les Grecs dans leurs tours d’ivoire, n’ayant pas à rendre de compte à l’électeur lambda.

Quatrième désavantage: la frustration du député élu dans sa circonscription v/s celui qui est élu sur la «Party List».

Mettez-vous à la place du député élu dans une circonscription difficile, qui a fait des réunions nocturnes, du porte-à-porte, organisé des meetings locaux, toléré des parasites dans les bases etc. et qui ne se retrouve pas ministre mais est remplacé par une personne qui a fait le strict minimum, c’est-à-dire, «montré figir» dans quelques meetings nationaux et quelques réunions stratégiques. Cette frustration peut être à la base d’un phénomène accentué de transfugisme et peut même entraîner l’implosion d’un parti politique et donc provoquer de l’instabilité.

Pour toutes ces raisons, le système mixte First Past the Post/dose de proportionnelle n’est pas à mes yeux une solution.

Alors que faire ? La naissance de notre système électoral doit avoir lieu.

Il faut tenter un forceps car d’autres ont dit que si on n’y arrive pas ils feront une césarienne à notre place. En effet, le Privy Council a en 2011 menacé en des termes à peine voilés de nous imposer une réforme si on n’arrive pas à en faire une nous-mêmes. Dans son rapport le Privy Council dit “… if the issues cannot be resolved politically, they may be raised before the Judicial Committee in the future …”

Donc nous voilà bien bloqués:

Soit (a) on refait le recensement communautaire et on a bien vu plus haut que ce n’est pas souhaitable.

Soit (b) On fait la réforme mixte FPTP/dose de PR dont les désavantages viennent d’être discutés.

Soit (c) On supprime carrément le «Best Loser system», ce qu’une partie des minorités n’accepteront pas.

Essayons un forceps, si c’est un garçon on l’appellera Gerry

Si on supprime le «Best Loser system», une partie des minorités tel qu’inscrites dans notre constitution – Chinois, Musulmans et Population générale – ne seront certainement pas d’accord car c’est un droit acquis depuis la Commission Banwell de 1966.

Notre problème, c’est qu’il faudra donner des gages aux minorités tout en ne refaisant pas de recensement communautaire.

La solution nous vient peut-être du Gouverneur Elbridge Gerry qui en 1812 découpa le district de Massachusetts aux États-Unis d’Amérique pour favoriser son parti politique. Le processus s’appelle le «gerrymandering» qui est un terme péjoratif qu’on peut traduire dans notre langue comme «coupé transé» ou «triangé». Mais nous, nous pouvons utiliser de façon positive le «gerrymandering» pour rassurer les minorités.

Pour bien comprendre mon argument, prenons l’exemple des Sino-Mauriciens. Ces derniers sont généralement élus dans la circonscription no 2 Port-Louis central. L’exode des Chinois de Port-Louis a fait que lors des dernières élections générales les deux grands blocs n’ont pas eu de candidats chinois au n° 2. On peut aisément comprendre que si on fait un «gerrymandering» et que nous créons une circonscription Baie-du-Tombeau –Arsenal-Balaclava nous pourrons garantir l’élection de deux Sino-Mauriciens à l’Assemblée nationale.

La même chose peut être faite pour la Population générale et les Musulmans. Chacune de ces communautés se retrouverait avec trois élus de plus qu’actuellement, ce qui compenserait pour eux la disparition du «Best Loser System». Notre paysage électoral se retrouverait avec 23 circonscriptions plus Rodrigues, c’est-à-dire 69 députés + deux de Rodrigues.

Mais on peut raisonnablement arguer que cette formule crée des ghettos électoraux et le clientélisme et que ce n’est pas le rôle du gouvernement de diviser la population par des frontières électorales.

Mais c’est vite oublié que depuis l’indépendance et les bagarres raciales de 1967, la circonscription de Plaine-Verte répond à cette description. Depuis quarante-neuf ans, cela ne nous a pas dérangés. Plus important encore, l’existence de la circonscription de Plaine-Verte n’a pas perturbé notre vivre ensemble.

C’est à mon avis pas cher payer pour à la fois éviter le recensement communautaire et rassurer les minorités.

Il va sans dire que dans ce système «avec une dose de Gerrymandering» les candidats n’auront pas à déclarer leur communauté. Les partis politiques placeront eux-mêmes tout naturellement les candidats de telle ou telle communauté dans les circonscriptions à forte représentation de la dite communauté. Comme ils le font actuellement avec les castes et les sous castes hindoues.

Comment fait-on en cas de 69/0 ?

Le système «avec une dose de Gerrymandering» conserve tous les avantages du FPTP mais aussi ses inconvénients. Un parti politique avec 51 % des voix exprimées peut se retrouver avec tous les députés ou une majorité de trois quarts à l’Assemblée nationale et ainsi changer la constitution à sa guise. C’est là que je propose des «Best Losers non communautaires». En cas de majorités dépassant les trois quarts, un mécanisme compensatoire se met en place où l’opposition obtient parmi ses meilleurs perdants, qui par définition n’ont pas déclaré leur communauté car ce ne sera plus une condition préalable à la candidature, un certain nombre de sièges proportionnels à son pourcentage national.

Ou alors, si on ne veut pas se retrouver avec 104 (69+23+2) députés à l’Assemblée nationale on peut limiter le nombre de ces «best losers non communautaires» à 10.

Ce système que je propose : «FPTP avec une dose de Gerrymandering et des Best Losers non communautaires» règle pratiquement tous nos problèmes :

  1. Il ne nous oblige pas à refaire un recensement communautaire.
  2. Il corrige les méfaits du FPTP.
  3. Il est «juste».
  4. Il sera très probablement accepté par la majorité de nos concitoyens.

Mais si c’est une fille on l’appellera France

Une autre solution au problème constitutionnel est de faire 60 petites circonscriptions où on aura, comme en France, un élu par circonscription.

Ces petites circonscriptions nous garantiraient une représentativité de toute la population mauricienne et ne nécessitera donc pas la déclaration ethnique à l’avance.

L’élection se ferait en deux tours afin que le député puisse être élu avec plus de 50 % des voix exprimées.

Ce système à la française a pour avantage notoire de favoriser les politiciens valables car c’est un fait connu que dans notre système actuel, bien souvent celui qui est élu en troisième position le doit beaucoup au charisme du premier. C’est le phénomène qu’on appelle chez nous «vote pu pied banane».

Dans ce système d’inspiration française, les petits partis politiques trouveront aussi leur compte, ce qui enrichirait le débat démocratique.

Par exemple, on voit mal monsieur Georges Ah Yan se faire battre dans une circonscription de Mahébourg intra-muros.

Il existe des avantages inhérents du système d’inspiration française. Entre autres :

  1. il nous évite le recensement communautaire.
  2. il rassurera les minorités.
  3. il est “juste”.
  4. il favorise les politiciens valables.
  5. il permettra un intéressant brassage d’idées.

Conclusion :

Nous limiter au système FPTP/dose de proportionnelle comme solution à la réforme électorale nous mène à une impasse constitutionnelle avec la menace d’un nouveau recensement communautaire.

Agir sur d’autres leviers tel le découpage électoral nous permettra, selon moi, de sortir de ce cul- de-sac.

J’ai proposé deux pistes. Ce sont, selon moi, des sillons à creuser pour faire avancer la réforme dans la bonne direction afin qu’un jour, on puisse sabrer un rhum à la naissance de Gerry ou de France.

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