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Le Parlement existerait-il sans médias ?

19 juin 2016, 03:50

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Le Parlement existerait-il sans médias ?

La sanction imposée d’interdire l’accès du journaliste à l’Assemblée nationale soulève plusieurs questions de fond sur le rapport entre les pouvoirs et les médias. Ici, il s’agit du rapport entre la presse indépendante et le Parlement, entre la liberté d’expression et les tenants du pouvoir législatif.

Mettons de côté la théorie : regardons l’utilitaire. Les assises du Parlement sont ouvertes au public, comme celles de nos cours de justice. Les sittings ne sont pas in camera. La galerie publique, qui n’accueille qu’une poignée de personnes, n’est que symbolique de la transparence des travaux de nos élus. Le citoyen mauricien est au travail lorsque siège l’Assemblée nationale. C’est pourquoi on n’y voit que des retraités, des visiteurs de clubs de 3e âge ou des étudiants en visites organisées. Et des chaises vides dans l’après-midi. S’il n’y a pas la presse, comment est-ce que le citoyen va savoir ce que font nos représentants là-bas ? À moins qu’on lui impose l’information version et style MBC qui, comme annoncé, est là pour servir le gouvernement. Entendons par là HMV : His Master’s Voice.

Les médias permettent de faire avancer la démocratie en ce qu’ils poussent à la réflexion politique, à la participation du peuple, à l’intéresser davantage aux affaires publiques et au destin de son pays. Plus les médias sont indépendants, et ne dansent pas au gré des parlementaires, plus ils sont crédibles aux yeux du peuple. Et plus ils sont crédibles, plus les parlementaires et le Parlement deviennent crédibles.

«Imaginons un instant le prochain ‘Budget speech’ sans médias.»

Et il n’y a pas que le peuple qui trouve son compte dans ces rapports utilitaires entre les médias et le Parle- ment. On ne peut f e i n d r e ne pas savoir que les médias sont aussi utiles pour nos ministres et le gouverne- ment. Imaginons l’absence de presse écrite, radio privée, médias on line pour nous dire ce que fait le gouvernement au Parlement. Plusieurs seront bien embêtés de ne pas pouvoir faire connaître à la population qu’ils sont en train de casser un grand paké au Parlement !

L’UTILITÉ DU PARLEMENT…

En attendant qu’il y ait un jour une réflexion, un débat de fond sur notre Parlement lui-même, son utilité, son mode de fonctionnement et la réponse qu’il apporte à l’exigence démocratique de notre société, contentons-nous du fait que le Parlement sert à nos députés qui peuvent poser des questions et participer aux débats. Aussi, le Parlement permet au gouvernement de montrer qu’il est redevable vis-à-vis de la population, et qu’il peut rendre compte, s’il le veut bien. Mais tout cela n’a de sens que si les médias sont là pour faire le relais. Sans médias, la population serait tenue loin des discussions au Parlement, car moins d’une centaine de personnes peuvent assister à ses travaux. Et le Hansard ne donne un compte rendu des débats que bien après qu’ils ont eu lieu. Sans médias, le Parlement aurait perdu une part de son image d’institution utile à la démocratie.

LE MODÈLE WESTMINSTÉRIEN

Le fondement démocratique du modèle parlementaire westminstérien repose sur des règles qui déterminent la bonne marche du système. Parmi celles-là il n’y a pas seulement le respect de l’opposition mais aussi la reconnaissance du rôle des médias. Le modèle suppose l’existence d’une presse libre, d’une presse capable de dé- passer la simple transmis- sion verbatim des travaux du Parlement, d’une presse libre de pouvoir commenter, de critiquer, de rafraîchir la mémoire de nos élus, de les rappeler à leur devoir vis-à-vis du citoyen. Comme tout autre institution dans une société qui se dit démocratique, le Parlement n’est pas au-des- sus de la critique populaire. Et comme dans toute société démocratique, cette critique populaire, elle est retransmise par la presse libre et, chez nous, par les radios privées et les médias on-line également. N’en déplaise à ceux qui s’assoient dans l’hémicycle, ils ne sont pas des demi- dieux à l’abri des reproches.

Ce n’est pas la première fois qu’un Speaker est criti- qué pour son parti pris. L’indépendance du Speaker a plusieurs fois été mise en doute depuis la mort de sir Harilal Vaghjee. Cette situation traduit bien un mal dans le système. Ce n’est pas une question uniquement liée à la personne du Speaker. Il s’agit d’un dysfonctionnement au sein même de nos institutions. Rien que dans la manière de choisir un Speaker, il y a peut-être des lacunes. Il faut donc alors s’attendre à des situations comme celles que nous connaissons aujourd’hui. Dans un système de démocratie à la mauricienne, la nomination d’un titulaire au poste de Speaker, et même de son adjoint, se fait selon une logique de politique particulière. L’obligation d’être indépendant ne dépend que du bon vouloir de ceux qui nomment.

GRAVITÉ DE LA DÉCISION

Pour saisir la gravité de la décision d’interdire l’accès au Parlement à la rédactrice en chef de Weekly, imaginons un instant le prochain Budget speech sans médias. Voilà qui fera apprendre à certains la fonction utile des médias libres et le concept fondamental de la liberté d’expression dans une société qui se veut démocratique. Et que s’il faut sanctionner, sanctionnons la démocratie plutôt, puisqu’elle offre la liberté de dire. Les voix se tairont. Et le problème sera réglé !

La population attache de l’importance aux médias. Pour elle, les médias symbolisent la proximité aux affaires qui concernent sa vie. Une proximité plus réelle que celle avec le Parlement.

Et si les médias peuvent exister sans Parlement, quid de l’inverse ?

Il existerait, le Parlement. Peut-être. Mais vivrait-il ?

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