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Les problématiques politiques de l’appel du DPP

15 juin 2016, 05:30

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Selon l’auteur, Pravind Jugnauth devra démissionner si le conseil privé émet un jugement contraire à la Cour suprême.
Selon l’auteur, Pravind Jugnauth devra démissionner si le Conseil privé émet un jugement contraire à  celui de la Cour suprême.

 

Nous ne sommes pas juriste, donc absolument pas qualifié à commenter, en droit, les points d’appel du Directeur des poursuites publiques (DPP) dans l’affaire dite de Pravind Jugnauth. Nous nous contentons seulement d’une hypothèse que la demande du special leave auprès de la Cour suprême pourrait prendre plusieurs mois et, si cela devait s’avérer positif, prendrait une année au moins avant que l’affaire ne soit entendue au Conseil privé de la reine.

En termes de timing, le jugement final du Conseil privé devrait tomber dans les 18 à 24 mois à venir, soit fin 2017 ou plutôt en 2018, presque à la veille des prochaines législatives de 2019 ! Si la demande de special leave auprès de la Cour suprême est négative, le DPP pourra toujours demander le leave directement auprès du Conseil privé et si positif, le timing ne devrait pas être très différent.

La plupart des éditorialistes et responsables politiques sont d’avis que l’appel du DPP est une bonne chose en soi et Touria Prayag va même plus loin en affirmant que si Pravind Jugnauth gagne au Conseil privé, «he will make leaps and bounds in public opinion» (Weekly, 9 juin 2016). Soit.

Mais politiquement, hormis les membres et sympathisants de la majorité gouvernementale, un sentiment d’insécurité ou plutôt d’instabilité se profile à l’horizon. Alan Ganoo, président du Mouvement patriotique, une dissidence du Mouvement militant mauricien (MMM), reconnaît que «cet appel crée une nouvelle situation d’incertitude et de malaise sur le plan politique» (Le Mauricien, 9 juin 2016) alors que l’éditorialiste de Radio 1, Ashna Nuckcheddy, avoue que «ce n’est pas de sitôt qu’on retrouvera la sérénité» (Radio 1, 8 h 30, 9 juin 2016) après que «the Supreme Court verdict brought some sort of apparent stability into the business of government (Touria Prayag, Ibid.).

Incertitude et instabilité. Qui peut donc profiter de ce nouvel épisode d’instabilité et d’incertitude qui va planer sur le pays d’ici fin 2017 ou 2018 ? Pas l’alliance Lepep en tout cas, mais plutôt l’opposition officielle et, bien sûr, le Parti travailliste. Pour ce qui est du MMM, la virulente sortie de Bérenger contre sir Anerood sur le fait qu’il aurait été souhaitable que le Premier ministre attende 21 jours, etc. avant de nommer Jugnauth fils au poste de ministre est un peu surprenante au vu de l’attitude plutôt soft et conciliante du leader de l’opposition à l’égard du nouveau ministre des Finances au Parlement récemment. Mais, peut-on reprocher au leader de l’opposition de… s’opposer aux mesures de la primature ou du gouvernement ?

Le Parti travailliste devrait, lui, beaucoup profiter de la situation pour semer encore le doute et se faire du capital politique dans ses électorats traditionnels ou retrouvés. Mais l’état-major du Mouvement socialiste militant et de l’alliance Lepep ne devraient pas laisser la route toute ouverte à Navin Ramgoolam et aux Rouges, particulièrement. Et on est alors reparti pour  de la surenchère politicienne à un moment où le pays a grandement besoin de sérénité, de stabilité et de calme.

Et vu que Pravind Jugnauth se fait discret depuis qu’il a été reconduit aux Finances afin de préparer sereinement son Budget «innovant» 2016-2017 – attendu par le milieu des affaires et les opérateurs économiques – le voilà forcé de dépenser un peu de son temps précieux sur l’appel du DPP car il y va de son avenir, bien entendu. Même si Touria Prayag pense que «this [note : l’appel du DPP] is not about stability or even development» (Ibid.), c’est tout de même l’avenir économique du pays qui est en jeu, surtout après la modification du Double Tax Avoidance Agreements avec l’Inde, le flou aux Finances ces derniers temps et sur le manque de clarté sur les orientations économiques du pays. C’est tout un pays qui attend Pravind Jugnauth lors du prochain Budget !

Il n’est donc pas étonnant que les travaillistes et les militants, particulièrement, demandent ni plus ni moins que le nouveau ministre des Finances démissionne car le DPP a décidé de faire appel !  Me Yatin Varma, membre de la Legal Team du Parti travailliste, nous étonne quand il dit que «Pravind Jugnauth doit rendre son tablier en attendant la décision de la Cour suprême» (Le Mauricien, 9 juin 2016), et Paul Bérenger nous surprend aussi par le ton utilisé : «C’est très mauvais et malsain pour le pays que Pravind Jugnauth continue à assumer le poste de ministre des Finances et présente un Budget alors que le DPP a fait savoir officiellement qu’il est en train de demander l’autorisation à la Cour suprême pour aller au Privy Council […]» (lexpress.mu, 11 juin 2016).

Soyons clair et net : Pravind Jugnauth n’a absolument pas besoin de démissionner comme ministre des Finances car il n’y a aucune condamnation qui pèse sur lui – il vient d’être acquitté lui-même, en appel – mais il devra le faire et cela sera automatique si jamais le Conseil privé de la reine devait émettre un jugement contraire à celui de la Cour suprême. Il est évident que les dirigeants travaillistes et ceux du MMM feront feu de tout bois et on comprend bien le jeu politique. Mais le contraire est tout aussi vrai : si Pravind Jugnauth devait gagner, à Londres, le fauteuil de Premier ministre lui sera quasiment acquis en 2019 et cela, peut être, pour une période assez longue.

Il faudra prier pour que le prochain Budget soit excellent et bien accueilli par la communauté des affaires car c’est bien de l’avenir du pays qu'il s’agira. Nad Sivaramen a raison quand il écrit que «pour l’économie du pays, ce n’est pas bien, surtout à quelques semaines du Budget 2016-2017» (L’express, 9 juin 2016). Car en voulant saper le moral du leader orange, ce sont autant les électeurs mauves, rouges, grenats, verts etc. que ceux des bleus, blancs, oranges et des sans couleur qui finiront par en subir les conséquences. En bref, c’est tout le pays qui sortirait perdant. À moins, comme le souhaite le vice-Premier ministre Showkutally Soodhun (ION News, 9 juin 2016), que ce soit Me Reza Uteem – merci de ne pas trouver ici de conflit d’intérêts même si nous sommes parentés – qui prenne la responsabilité du hadj…

 

 

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