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Africa Worldwide Awards: comprendre ses faiblesses pour mieux avancer

1 avril 2016, 10:49

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Africa Worldwide Awards: comprendre ses faiblesses pour mieux avancer

 

Le secrétaire général de la  Commission de l’océan Indien, récipiendaire du prix New face of Africa, le jeudi 31 mars, à  Dakar, a fait part  dans son discours que la réussite de Maurice peut être reproduite dans les pays africains car ils ont un potentiel largement inexploité.

Je viens d’un pays improbable. Un petit pays, Maurice, une île africaine  perdue dans l’océan Indien, au large des côtes orientales du continent. Rien ne le prédisposait à sortir du lit du sous-développement ni à recevoir l’hommage qui lui est fait ce soir à Dakar.

Oui, cette reconnaissance qui m’est destinée me remplit d’émotion! Je veux la prendre aussi pour une reconnaissance du parcours exceptionnel de mon pays depuis son indépendance. Il m’a été donné d’y être largement associé depuis 40 ans en tant que militant politique, en tant que député, maire et ministre, mais aussi  comme journaliste, «spectateur engagé », et comme diplomate et artisan de la coopération régionale à laquelle je crois passionnément.

Souvent, j’entends revenir l’expression «miracle mauricien»  dans la bouche d’économistes,  d’experts en développement et naturellement dans celle de mes compatriotes, et je m’interroge. De quoi parle-t-on exactement ? Ne  s’agit-il pas d’une vision fugace, d’un mirage vulgarisé par quelque gourou de la communication et relayé par le discours politique ? Eh bien non, le miracle mauricien existe et je l’ai rencontré !

Imaginez-vous en 1968 un petit pays d’un million d’habitants, divisé en de multiples communautés et en autant de religions qu’en compte notre vaste monde, un pays mono-producteur de sucre le jour et d’enfants la nuit, au revenu par habitant parmi les plus bas de la planète alors que la puissance coloniale britannique nous confie les clés de notre futur incertain et nous laisse jouer tout seul dans le grand bain de la société internationale.

Quel avenir allions-nous bâtir sinon celui des affrontements raciaux et religieux, de l’accaparement des terres de la minorité et pour finir de la tiers-mondisation dans ce qu’elle a de plus pathologique ? C’est d’ailleurs ce que nous promettaient les professeurs Titmuss et Meade, ce dernier allant devenir Prix Nobel d’économie, dans une étude de 1961 commandée par l’administration coloniale.

Eh bien, ce chemin-là nous nous sommes interdits de le prendre. Nous avons donné tort aux Cassandres. Nous avons ouvert une voie inédite en Afrique autour de trois piliers :

D’abord, le respect de la démocratie, des élections libres, l’indépendance du judiciaire, la liberté de la presse – et je suis témoin que cette liberté n’est pas restée à l’état de voeu pieux – ; en un mot l’équilibre moderne des pouvoirs, mis en oeuvre sous le ciel de l’océan Indien avec notre héritage juridique britannique en ce qu’il a de meilleur. Nous y avons rajouté le respect des différences  et la protection des minorités, sans lesquels nous risquions de voir les tensions identitaires menacer notre édifice.

Ensuite l’éducation. Nous avons beaucoup misé sur le système éducatif public primaire et secondaire pour construire les bases d’une société éduquée autour d’une classe moyenne  capable de raisonner et de faire  fonctionner les instruments de la démocratie formelle. Il nous reste à améliorer encore ce système éducatif qui a bien servi notre pays mais dont le format  élitiste laisse, trop tôt, encore trop d’enfants sur le bord de la route.

Système social généreux

Enfin, nous avons fait le choix de l’économie sociale de marché et de l’industrialisation pour  attirer des investissements étrangers, créer des emplois toujours plus qualifiés, sortir de l’impasse de la monoculture sucrière et être en  mesure d’anticiper les retournements du marché.

À cet égard, permettez-moi un exemple : dans les années 1970, le gouvernement du Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam a fait le choix d’accepter un système de garantie des prix du sucre proposé par la Communauté européenne aux pays ACP à un niveau significativement inférieur à celui du marché de l’époque. Ce faisant, Maurice a fait le choix du long terme sur celui de l’effet d’aubaine. Nous avons pu compter ainsi durant trois décennies sur des revenus qui ont donné à nos sociétés de plantation héritées du commerce colonial la capacité de se diversifier dans les industries d’exportation, le tourisme et les finances. Cette manne a permis aussi à l’État mauricien de fonder un système social généreux, universel et gratuit.

À l’indépendance, nous ne savions pas toute l’histoire que nous faisions mais nous étions sûrs en revanche de ne pas vouloir en écrire une autre. Nous partagions  des valeurs communes, une ambition pour tout le pays et le sentiment que nous allions y arriver ensemble malgré les difficultés et les vicissitudes. Nous étions jeunes et nous avions espoir. Cet espoir là, celui d’un lendemain meilleur pour tous est au coeur de notre construction nationale.

Loin de moi cependant l’idée de vouloir délivrer ici une leçon magistrale. D’abord, parce que tout n’a pas réussi, parce que nous aurions sans doute pu aller plus loin encore sur le chemin du succès, à l’image de Singapour, et parce que chaque situation est unique en son genre. Mais j’ai la conviction que l’exemple mauricien n’est pas caduc. Il peut être répliqué aujourd’hui, ici, sur ce continent où croît le paradoxe inacceptable de pays de plus en plus riches remplis d’Africains de plus en plus pauvres.

Les fondements de notre succès national ne sont pas réservés à je ne sais quelle Scandinavie tropicale. Maurice est bien en Afrique, dans l’océan Indien. C’est aussi une île traversée par des fractures culturelles, dotée d’une classe politique inégale, celle qui émerge de la démocratie lorsque les temps héroïques de l’indépendance cèdent le pas à la gestion du quotidien, une île balayée par les vents forts de la mondialisation culturelle et des échanges. Comme tous les pays du continent. Mais c’est parce qu’on connaît ses faiblesses qu’on peut mieux en compenser les effets pernicieux.

Cet exercice-là, il est à la portée de toute l’Afrique ! Il n’est réservé à aucun pays. Ce que nous avons pu accomplir à dix mille kilomètres des grands marchés mondiaux, sans ressources naturelles, avec une faible population, morcelée en communautés, d’autres que nous peuvent le faire ! Vos pays regorgent de richesses naturelles. Ils sont jeunes, ils ont un potentiel de développement économique, social et culturel largement inexploité.

L’expérience mauricienne montre simplement que les retards ne sont pas une fatalité, que le désespoir des populations jetées sur les routes de l’émigration vers une chimère européenne mortifère peut être évité à condition de prendre son destin en mains avec quelques idées simples : celles qui fondent le succès des peuples libres.

J’ai la faiblesse de croire que ce sont aussi ces idées qui me valent aujourd’hui cette reconnaissance que je reçois avec humilité dans ce lieu de la Renaissance africaine. Il est une Afrique des possibles, trop longtemps absente des médias et des imaginaires. C’est à cette Afrique que je rêve pour  nos générations à venir. À mon niveau, j’espère y avoir modestement contribué et continuer encore à le faire.

Discours de Jean Claude de l’Estrac, secrétaire général de la Commission de l’océan Indien, à l’occasion de la cérémonie des Africa Worldwide Awards, à Dakar, le jeudi 31 mars.

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