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Brimades scolaires ou bullying : quelle réponse apporter à la problématique des violences scolaires ?

12 juin 2015, 07:20

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Brimades scolaires ou bullying : quelle réponse apporter à la problématique des violences scolaires ?

Que l’on adopte la démarche française ou anglaise pour tacler le «bullying», il semble nécessaire pour le droit mauricien d’évoluer pour se saisir de cette problématique qui trouve de plus en plus d’échos.

 

Quand les relations entre les individus changent, le droit doit s’adapter et trouver des solutions novatrices. Ce besoin est encore plus important quand des personnes retrouvent victimes de violences et que le droit n’est pas en mesure de leur apporter une réponse. Pour ne citer qu’un exemple, quand les femmes ont commencé à travailler au meme titre que les hommes, s’est posée la question relative au harcèlement sexuel au travail. La réponse : le Employment Rights Act 2009.

 

Une nouvelle problématique est mise en avant aujourd’hui. Jeudi 14 mai 2015, une collégienne se suicide. Certains ont attribué son geste à des pressions et des violences qu’elle aurait subies à l’école. Remettant ainsi sur le devant de la scène les violences entre mineurs, que l’on appelle couramment bullying.

 

Certains enfants surmontent cette étape et deviennent des adultes accomplis, mais ce n’est pas toujours le cas : parfois les enfants grandissent et traînent un passé de victime. Dans les cas les plus extrêmes, ils ne grandissent pas. La question est encore plus sensible aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux, en particulier depuis la diffusion d’une vidéo choquante sur le net montrant une collégienne se faire insulter, agresser et rouer de coups par ses congénères.

 

Les violences entre mineurs sont, plus que jamais, sous le feu des projecteurs. Avec cette exposition se pose une nouvelle question : comment lutter contre ces actes et comment les réprimer ? Au regard du droit mauricien actuel, le constat est sans appel : la répression du bullying à Maurice est encore au stade embryonnaire.

INSUFFISANCES JURIDIQUES

La première partie de cet article a pour but de mettre en avant les insuffisances du système juridique mauricien et la difficulté qu’il rencontre à réprimer ces actes ; la seconde perspective proposée par cet article est de s’inspirer des différents régimes juridiques étrangers pour tenter de proposer de nouvelles solutions à ce problème.

 

Concernant l’acte de bullying en lui-même, il est important de comprendre qu’il peut prendre des formes très diverses ; de simples pressions psychologiques aux violences physiques, en passant par des humiliations en public. Le fait est qu’aucune étude, à Maurice, n’apporte de définition unanime de la notion de bullying. Il inclut parfois une definition morale, parfois physique. Dans certains cas, ces deux dimensions sont présentes. La seule mention du bullying en droit mauricien est sous la section 54(e) de l’Employment Rights Act 2009 qui prévoit que : «Violence at Work-No person shall bully or use threatening behaviour towards a worker, in the course or as a result of his work.»

 

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989, traité ratifié par Maurice, prévoit en son article 19 : «Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales […].»

 

Dans le cadre de cette protection, l’article 13 du Child Protection Act 1994 prévoit : «Any person who ill-treats a child or otherwise exposes a child to harm shall commit an offence.» En parallèle, le bullying à Maurice est rattaché à la notion de «assault», prevue par les articles 228 et suivants du code pénal mauricien. Selon les modalités de fait, un enfant poursuivi pour un acte de bullying sera poursuivi pour «assault» ou «assault with aggravating circumstances».

 

Concernant l’auteur de l’acte, le droit mauricien ne prévoit qu’une seule exception, figurant aux articles 44 et 45 du Criminal Code : la situation du mineur de quatorze ans, agissant avec ou sans discernement. Dans ce cas, l’auteur d’un acte de bullying fait l’objet d’un régime de sanction aménagé : il sera acquitté s’il n’a pas agi avec discernement, emprisonné selon un régime spécial s’il a agi avec discernement.

 

Le problème de ce régime juridique vient du fait qu’aucune des dispositions précitées n’a pour but de réprimer directement l’acte de bullying. Que l’on parle d’«assault» ou de «ill-treatment», que l’auteur de l’acte soit un mineur de quatorze ans ou plus, aucune des dispositions précitées ne donne de définition claire du bullying, en lui attribuant des éléments constitutifs. De plus, ces dispositions s’inspirent du droit pénal français, sauf que celui-ci date d’il y a plusieurs siècles et a depuis été modifié à plusieurs reprises en France. Il semble donc discutable que notre droit permette efficacement la répression de ce qu’est réellement le bullying, aujourd’hui, en 2015.

 

Force est de constater que, dans le cadre du bullying, le droit français s’est rapidement saisi de la situation pour apporter une solution au problème. Sous l’impulsion du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, la violence entre mineurs dans les écoles va rapidement trouver un cadre juridique dans la jurisprudence française.

 

Tout comme le Criminal Code mauricien, le Code Pénal français ne prévoit pas directement de cadre juridique au bullying ; les jeunes poursuivis pour ces actes le sont pour violences. Dès 2004, dans ce qui sera appelé «l’affaire Montaigne» par la doctrine, le juge français, en l’espèce la Cour d’appel de Paris le 11 août 2004, va consacrer la notion de «brimade scolaire». Largement adoptée par les juridictions françaises, cette notion est toujours appliquée en droit français, en confère la jurisprudence de la Cour de Cassation en date du 24 juin 2014, permettant ainsi aux juges, mais aussi aux particuliers, d’obtenir une ligne directrice dans le cadre de la répression du bullying.

LÉGISLATION SPÉCIFIQUE

Il n’existe pas, ni au niveau des États, ni au niveau du Commonwealth, de législation spécifique au bullying. En revanche, dans certains États, ont été mises en place des lignes directrices pour permettre aux écoles de réprimer les actes de bullying, agissant indirectement mais permettant d’apporter une solution au problème. En Australie, depuis janvier 2000, le Gouvernement de Victoria incite les écoles à developer des programmes de luttes contre le bullying. En 2003 a donc été introduit le National Safe Schools Framework pour orienter les écoles dans la lutte contre le bullying.

 

Autre exemple : l’État anglais peut poursuivre l’auteur d’actes de bullying en cas de «assault, theft, repeated harassment or intimidation», sous les dispositions classiques de l’Offense Against the Person Act 1861 et le Protection from Harassment Act 1997. Mais en parallèle, les écoles anglaises se voient imposer l’obligation légale de mettre en place un «behaviour policy» pour prévenir toute forme de bullying. Cette obligation découle d’une série de lois : l’Education and Inspections Act 2006, l’Independent School Standard Regulations 2010 et le Children Act 1989.

 

Force est de constater que Maurice est largement en retard dans le cadre de la répression d’actes de bullying. Que l’on adopte la démarche française, à travers une jurisprudence dynamique, ou la démarche anglaise, en encadrant directement le problème par des lois ou même la démarche consistant à imposer des lignes directrices, il semble nécessaire pour le droit mauricien d’évoluer pour se saisir de cette problématique qui trouve de plus en plus d’échos.

 

Le droit mauricien est un droit hybride, mais aussi un droit jeune : s’adapter aux problèmes de société est toujours une épreuve, mais pour s’adapter et trouver des solutions novatrices, il est parfois nécessaire de faire prévue d’audace. Et c’est précisément ce que va devoir faire une fois de plus le législateur, si nous souhaitons encadrer les violences entre mineurs à l’école. En tout état de cause, une future réforme du Criminal Code ou du Children’s Bill semble le moyen idéal pour apporter une solution à ce problème.

 

Extrait d’un article publié en mai dans le newsletter du bureau du DPP

 

par Johan MOUTOU-LECKNING,

Senior Assistant DPP Avec la collaboration de : Emmanuel Luchmun et YashvindKumar Rawoah

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