Publicité
Les mythes autour du suicide des adolescents
Par
Partager cet article
Les mythes autour du suicide des adolescents

On ne peut évoquer une raison spécifique qui pousse une personne à se suicider. Les symptômes sont nombreux et il existe des associations qui luttent contre ce mal, revenu sur le devant de la scène.
L’adolescence marque une période de changements, le début d’une quête de sa propre identité afin de commencer à s’affirmer dans le monde. C’est aussi, malheureusement, une phase fragile caractérisée par des changements qui peuvent être insupportables, poussant même parfois au suicide. Il est primordial de comprendre que les adolescents n’ont pas les mêmes réflexes que les adultes dans leur processus de pensée. C’est plus difficile pour eux de penser à long terme. Donc, c’est d’autant plus pénible pour eux d’envisager le futur quand ils souffrent de mal-être ou de détresse profonde.
D’après les statistiques de la World Health Organization, la dépression touche une personne sur cinq, et les adolescents ne sont pas épargnés. Une dépression non traitée pendant longtemps, surtout si elle impacte le comportement de la personne de manière conséquente – ce qu’on appelle un «major depressive episode» – peut pousser au suicide. Mais il est important de faire ressortir que la dépression est courante : elle touche beaucoup de personnes et elle peut être traitée.
J’entends souvent dire que le suicide a été provoqué par la cassure d’une relation intime, par la pression académique ou par la situation familiale entre autres. Or, on ne peut évoquer une raison spécifique qui, du jour au lendemain, pousse une personne à se suicider. Il doit impérativement y avoir des conditions préexistantes dans la vie de l’individu et la dernière raison évoquée n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Le mythe selon lequel le suicide est plus commun chez les hommes que chez les femmes n’est pas vrai. Les hommes qui tentent de se suicider ont plus tendance à avoir recours à des méthodes plus létales, comme la pendaison ou les armes à feu. Les femmes ont plutôt recours aux médicaments, au poison ou au feu. Dans certains cas, elles peuvent donc être sauvées. Et les hommes qui tentent de se suicider parviennent donc à leurs fins plus souvent.
Les signes et les symptômes avant de passer à l’acte
Je ne dirais pas que tous ceux qui passent à l’acte suicidaire démontrent les mêmes signes et symptômes. Mais on peut certainement les discerner chez l’individu. Notamment un mal-être qui se traduit par une humeur maussade, une tristesse persistante, un sentiment de désespoir ou un manque d’intérêt dans les activités. Souvent la personne concernée se replie sur elle-même, évoque le suicide et écrit des notes d’adieux à ses proches. Ces signes et symptômes ne doivent pas être pris à la légère.
C’est un fait erroné que de penser que la personne recherche de l’attention. Oui, il existe certainement des adolescents qui gardent leurs familles en otage en menaçant constamment de se suicider, mais c’est loin d’être une situation qu’on peut négliger car de telles menaces démontrent définitivement une détresse et un mal-être chez l’individu. Il est donc primordial d’être attentif aux symptômes, car il se peut que l’individu ait déjà formulé son plan pour passer à l’acte.
La culpabilisation
Le sentiment de culpabilité que les proches ressentent après un suicide est très difficile à surmonter. Déjà perdre une personne qu’on aime est une tragédie. Dans le cas d’un suicide, c’est encore plus pénible car les proches se posent des questions qui ne cessent de les troubler. J’explique toujours aux proches que les individus qui se suicident pensent que leurs proches, et le monde seront mieux sans eux. Ils laissent même des notes d’excuses dans de nombreux cas.
Aujourd’hui, avec les technologies nous sommes beaucoup plus informés sur les cas de suicides. Ce qui fait croire que ce fléau a augmenté. Mais comme le dit si bien le psychologue Sherry Turkle, «people today are more connected to one another than ever before in human history, thanks to Internet-based social networking sites and text messaging. But they’re also more lonely and distant from one another in their unplugged lives. This is not only changing the way we interact online, it’s straining our personal relationships, as well».
Auparavant, à Maurice, on vivait dans des familles étendues, avec beaucoup plus de soutien de nos proches qui agissaient comme des «protective factors» ; par contre de nos jours, «the nuclear and secluded family structure has taken over», et on remarque que les enfants et même les adolescents, au lieu de jouer ensemble, ont tous le regard braqué sur leur portable ! L’interaction humaine face à face a été réduite au profit des réseaux sociaux et cela peut fragiliser encore plus l’individu.
Comment peut-on travailler ensemble afin de prévenir le suicide chez l’adolescent ?
Avant tout, je pense qu’il faut promouvoir les campagnes de sensibilisation dans les établissements scolaires, cela, de manière continue. De ce fait, enseignants et étudiants seront avisés et pourront prendre les actions nécessaires afin d’aider autrui. On doit aussi encourager et former les «peer leaders», c’est-à-dire encourager les jeunes à prendre la parole et inciter leurs amis à discuter ouvertement sur plusieurs sujets pertinents qui touchent les ados car ils sont beaucoup plus influencés par leurs ami/es durant cette période de leur vie que par les adultes. D’ailleurs, un School Counselor dans chaque collège pourrait avoir un effet bénéfique. Le ministère de l’Éducation doit aussi s’assurer que les écoles puissent avoir un ou deux enseignants formés dans ce domaine, à l’instar de ceux formés par le Bureau de l’éducation catholique, pour être à l’écoute des élèves. Ils pourraient ainsi signaler les cas urgents à l’établissement qui en informerait les parents pour un éventuel suivi psychologique.
Les numéros de téléphone des hotlines telles que Befrienders doivent être affichés au vu et au su de tout le monde. Les gens croient qu’en posant la question «as-tu pensé au suicide ?» à une personne qui souffre, on va probablement planter cette idée dans sa tête. Or, il n’y a rien de plus erroné. Bien au contraire, au cours de notre formation, on apprend à poser la question dans tous les cas pendant ce qu’on appelle une intake session et bien souvent, la personne est soulagée car finalement elle peut en discuter avec quelqu’un qui est à l’écoute.
Il faut bien préciser qu’il existe deux types de ce qu’on appelle la «suicidal ideation». J’ai des clients (le mot patient en psychologie est considéré comme un stigma aux États-Unis donc je me sers toujours du mot client tant que possible), qui me disent que oui, ils ont pensé à ne plus être en vie quelque fois et on pousse plus loin en demandant s’ils ont formulé un plan pour passer à l’acte. Chez la personne qui démontre une passive suicidal ideation, elle vous dira qu’elle n’a formulé aucun plan ; par ailleurs, celle qui en a déjà conçu un pour passer à l’acte souffre de ce qu’on appelle une active suicidal ideation et là, on doit agir vite dépendant de la gravité de la situation. Ils nous manquent à Maurice des psychiatric wards dans des cliniques privées et aussi ce qu’on appelle un suicide watch ward.
Quand une personne souffrant d’une active suicidal ideation prévoit de se suicider, je préconise une voluntary ou même une involuntary admission si besoin est, par un psychiatre car les psychologues n’ont ni le droit de prescrire les médicaments ni de faire admettre un client. À partir du moment que le psychiatre évalue que la personne n’est pas un danger imminent à elle-même, un «contract for safety» est mis en place par le psychothérapeute/psychologue avec la collaboration des proches du client, cela en conjonction d’un suivi psychiatrique et psychologique.
Je ne dis pas que c’est facile mais si nous travaillons tous ensemble comme une équipe, et que nous arrivons à créer une crisis intervention structure – les hotlines affichées au vu et au su de toute la population, l’implémentation des private psychiatric wards munis d’un suicide watch ward où les proches peuvent même appeler s’ils ont besoin de conseils par rapport à quelqu’un de leur entourage qui est suicidaire. Il faut, en tant que société, ne pas échouer, quand il s’agit de la chose la plus sacrée au monde – la vie humaine.
Publicité
Publicité
Les plus récents




