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Transparence : Le jeu des sept pouvoirs
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Transparence : Le jeu des sept pouvoirs

On ne peut être soit inconscient, soit naïf, soit d’un cynisme incommensurable pour pouvoir vite contredire ses propres propos. Il est peut-être temps pour nous, Mauriciens, de voir d’un autre regard ceux que nous portons aux nues, estime l’auteure.
Jeu de piste. Jeu de cartes. Jeu des sept erreurs. Les jeux sont faits.
Au jeu des sept familles, cherchez les coupables. Père ou fils ? Mari ou femme ? Amant ou amante ? Ou tous en même temps ?
De loin, je vois le brouillage des cartes. Il y a un beau mot anglais, pas poétique du tout, non, mais apte : accountable.
Il y a longtemps, lors d’un procès au sujet du sang contaminé par le virus du sida et transfusé à des malades hémophiles, en France, les principaux accusés ont eu cette formule terrible : responsables, mais pas coupables. Il s’agit là d’une distinction de politique et de juriste. Si l’on est responsable d’une décision au sujet du sang contaminé et de ses victimes, comment ne peut-on pas en être coupable ? Celui qui prend les décisions peut-il s’en défausser aussi aisément ? Peut-on prétendre, alors que l’on est confronté à des faits irréfutables, que l’on n’en savait rien ou que l’on n’avait fait que suivre les ordres, et qu’il y avait toujours plus coupable que soi ?
Bien sûr, il y a toujours plus coupable que soi. Dans le jeu des sept pouvoirs, l’agent de police qui tabasse un soi-disant suspect peut toujours dire qu’il doit des résultats à ses chefs. Qu’il le tue, ce faisant, n’est qu’un accident de parcours. Comme le violeur qui affirme que la femme violée n’aurait pas dû se trouver là, à cette heure-là, et qu’elle n’aurait pas dû se débattre. C’est de sa faute, bien entendu. À Ferguson, on tue bien des enfants qui agitent un pistolet en plastique parce que… parce que… à Ferguson ou à Selma, le danger a un visage reconnaissable de loin.
Les décennies n’y ont rien changé. Le jeu des sept pouvoirs n’a pas changé de règles.
Faisons table rase, disent les nouveaux élus, promettant monts et merveilles au sujet de la «bonne gouvernance». Personne ne leur reprochera, c’est certain, de révéler les détournements monstrueux de l’ancien pouvoir. Mais qui leur reprochera leurs détournements à eux, tant qu’ils n’auront pas été défaits à leur tour ? À qui sont-ils accountable ?
À nous, bien évidemment. Quand les dérives commencent à se manifester, quand on voit le népotisme refaire surface comme s’il n’avait jamais été renié, quand du jour au lendemain toutes les promesses de transparence sont effacées, comme si les votants ne pourraient rien dire jusqu’aux prochaines élections, c’est là qu’il est urgent de manifester son désaccord.
NE PAS FAILLIR À SES PROMESSES
Il ne s’agit pas de s’attaquer à un parti mais à une pratique. Il ne s’agit plus de «blocs» mais de manifestes. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre telle ou telle politique, mais de défendre des principes. Les Mauriciens ont démontré leur pouvoir décisionnel aux dernières élections. Il n’est plus temps d’accepter le statu quo.
Au Parlement, lorsque l’opposition pose des questions auxquelles elle ne reçoit pas de réponses satisfaisantes, elle doit les exiger. Et poser les mêmes questions, encore et encore, tant qu’il n’y aura pas eu de réponses acceptables. Il ne suffit pas de l’habituelle langue de bois pour passer à autre chose. Si abus il y a eu, quelles sont les instances qui doivent les déceler et les punir ? Devons-nous attendre de prochaines élections pour qu’elles le soient ? Certes, non. En démocratie, les abus ne peuvent être tolérés pour la simple raison qu’ils sont perpétrés par le pouvoir en place. Ou alors, ne parlons pas de démocratie. Parlons de républiques bananières prêtes à tous les excès. Parlons des tribus ou de cliques qui profitent tandis que le reste de la population s’efforce de survivre. Lorsqu’un gouvernement s’acharne à dénoncer et à corriger les dérives et les méfaits du précédent, lorsqu’il a été élu sur la foi de ses engagements, il se doit de ne pas faillir à ses promesses, et surtout de ne pas trahir la confiance de ses électeurs.
S’ils pensent que cinq ans suffisent pour esquiver habilement les interrogations et qu’ils peuvent donc ignorer le regard intransigeant de la population qui les a élus, qu’ils réfléchissent au moins à la possibilité que la justice ne soit pas aussi prête à fermer les yeux. Le regard du peuple est braqué, non seulement sur les coffres dégorgeant des billets, mais sur ceux qui sont chargés de faire régner la justice et de ne pas laisser les anguilles politiciennes se faufiler entre les mailles. La responsabilité qui leur incombe est de prouver que ce qui n’est pas toléré de l’ancien pouvoir ne le sera pas non plus du présent.
En cherchant à punir autrui, l’on s’impose des limites tout aussi rigides et justes. Espérons que le cap de la tolérance et de la mémoire courte de l’électorat est franchi. Ce que vous pointez du doigt, messieurs et mesdames, craignez de n’en
être tout aussitôt accusés. Ayez crainte que votre temps de répit ne soit de courte durée, rien quepar votre faute.
Faut-il être inconscient, naïf, ou d’un cynisme incommensurable, pour pouvoir, si vite, contredire ses propres propos !
J’ose espérer que les balbutiements de ces trois derniers mois ne sont pas symptomatiques du quinquennat. Non parce que je pense que cette équipe-ci est meilleure qu’une autre mais parce que je pense que des personnes supposément intelligentes – nous avons si hâtivement tendance à qualifier d’élites ceux qui ne le sont pas nécessairement – peuvent se ressaisir au bord du gouffre et tirer profit des leçons du passé. Hélas, à Maurice, nos élites sont bien artificiellement désignées. Tant d’artisans, d’agriculteurs, de laboureurs, d’artistes, d’éboueurs ou de chômeurs dépassent en qualités intellectuelles et humaines – et de loin – les élites auto-désignées dont le seul mérite est d’avoir bûché sans réflexion, et d’avoir «réussi» sans compassion.
Peut-être est-il temps de voir d’un autre regard ceux que nous portons aux nues.
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