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Ces traites qu’on préfère ignorer

6 mars 2015, 07:42

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Thème récurrent que celui de l’esclavage, cet épouvantable exemple de l’inhumanité de l’homme entiché d’asservissement. L’analyse qui suit est complémentaire à l’article paru dans l’express sur la traite atlantique (ou européenne), ses origines au 15e siècle sur la banalisation de la cruauté, sur l’épineuse question des indemnités. Fut aussi abordée la célèbre Controverse de Valladolid (1550-51) cherchant à résoudre une angoissante énigme : Les esclaves sont-ils des êtres humains? Ont-ils une âme?

 

Un récent colloque intitulé Yer rezistans, zordi rezilians est revenu sur bien des aspects du commerce de la chair humaine. La tendance, à Maurice comme ailleurs, est de se focaliser sur les exactions des Européens alors que celles des Arabes et des Africains sont aussi abominables. Leurs activités sont toutefois mentionnées avec réticence. Voici succinctement quelques-unes des causes de cette disparité.

 

L’existence d’une abondante documentation sur le «trafic triangulaire» à partir de l’Europe tend à culpabiliser l’Occident. Ses idéologues, ses religieux et ses politiques sont parmi les premiers à remettre la traite en question. Le mouvement abolitionniste y trouve d’ailleurs son origine. Les archives sur les autres courants esclavagistes au nord, au centre et à l’est du continent sont plutôt maigrichonnes.

 

La traite atlantique enrichit l’Occident et suscite le ressentiment de ceux dont les souffrances conditionnent une bonne partie de cette opulence. Les bénéfi ces de la colonisation au 19e siècle s’acheminent surtout vers les centres industriels du Nord. Le «bashing» de ces États prospères est ainsi devenu aujourd’hui politiquement correct. Essayer d’établir la part de responsabilité des Africains et des Arabes dans ce qui fut qualifié parfois, par euphémisme, de «commerce de l’ébène», est gênant, voire suspect.

 

LES AUTRES TRAITES

 

Les historiens distinguent trois courants esclavagistes qui ravagent pendant des siècles le continent africain : l’Oriental, l’Égyptien et le Saharien.

 

Les Arabes opèrent tout le long de la côte Est. En effet, avec l’aide de complicités tribales, ils ratissent toute cette étendue depuis le Yémen et le Golfe d’Aden jusqu’au Mozambique. Les recettes douanières zanzibarites révèlent, par exemple, qu’entre 1830 et 1875 sept cent quarantetrois mille esclaves furent vendus sur ce seul marché. À partir de ces chiffres qui ne concernent que 45 années, plus de deux millions ont été vendus sur les marchés de la région pendant le 19e siècle. Zanzibar demeure activement impliqué dans ce commerce très profitable jusqu’au début du 20e siècle. Les sultans qui s’y établissent, exigent que les tribus «protégées» leur fournissent de l’ivoire et de «l’ébène» qu’ils revendaient à profit, amassant ainsi de considérables fortunes.

 

Les Égyptiens concentrent leurs activités le long du Nil jusqu’à la région des Grands Lacs avec, comme de coutume, la complicité de «tribus amies» et la diligente complaisance de leurs chefs. Ils ne boudent pas pour autant les possibilités commerciales trans-sahariennes, rivalisant ainsi avec les roitelets noirs de l’ouest.

 

AH, CES NUBIENNES !

 

Les traites orientales et égyptiennes ont ceci de particulier qu’elles privilégient la capture des femmes pour les harems et celle des enfants qu’elles émasculent pour servir d’eunuques.

 

Les attraits des Nubiennes enchantent les acheteurs arabes au point qu’elles sont recherchées et coûtent plus cher. Al Idrisi, géographe et explorateur du 12e siècle, s’exclame lyrique : «Elles sont d’une très grande beauté. Sur tout le territoire des Nuba (Soudan), ces femmes se distinguent par la perfection de leurs traits. Nulle part ailleurs n’existe cette chevelure lisse et flottante. De plus, elles sont excisées.»

 

Le traitement infligé à la «marchandise» depuis les zones de capture jusqu’aux différents bazars est d’une révoltante cruauté. Les faibles et les malades sont décapités ou jetés vivants par-dessus bord. Seul un enfant sur 200 survit à la castration, écrit Khartoum Charles Gordon. Les explorateurs, notamment Livingstone, Stanley, Verney Cameron, les plus connus parmi tant d’autres, horrifiés, décrivent ces scènes abominables dans leurs carnets. Une presse aussi avide qu’indignée s’en abreuve.

 

LA TRAITE SAHARIENNE

 

Au nord-ouest, les razzias de la traite saharienne sont méthodiquement organisées : construction de dépôts pour les captifs, organisation de leur transfert vers les marches du Sahel, planification de l’approvisionnement a travers les étendues désertiques, armements, etc. Les roitelets s’enrichissent et créent de puissants royaumes tels ceux d’Abomey (Dahomey) et d’Oyo engagés avec leurs partenaires européens ou arabes dans une opération économique génératrice de substantiels profi ts.

 

INDEMNITÉS

 

La célébration de l’abolition de l’esclavage encourage de nombreux débats pendant lesquels deux questions sont souvent posées : Faut-il indemniser les descendants des esclaves? Les Africains ont-ils vraiment vendu leurs frères?

 

Le précédent article de l’express sur la traite atlantique concluait qu’il «n’est pas illogique qu’aujourd’hui les descendants des esclaves réclament une compensation. Toutefois, ce qui peut, de prime abord, paraître juste, demeure difficile à satisfaire». Les associations concernées réclament surtout de l’argent et des privilèges. Il n’est pas certain que le concept de «rezilians», impliquant reprise en main de son destin par soi-même, soit compris ou accepté par les intéressés. Leurs dirigeants arguaient encore récemment que la «discrimination positive» et l’«aide à la réinsertion sociale» satisfaisaient peut-être la conscience des intellectuels et des politiques, nullement les besoins immédiats de leurs ouailles. Le refus d’admettre que les Européens ne sont pas les seuls a porter la lourde responsabilité de l’esclavage est une entrave a un dialogue serein sur la question, à moins évidemment qu’on arrive à s’entendre sur l’identification des responsables et de leurs descendants prêts à indemniser. Et à quel montant? Pour beaucoup, commémorer les lieux de mémoire console peut-être mais n’absout guère. N’est aussi pas admis que notre sensibilité s’indigne aujourd’hui d’une activité que d’autres pratiquaient sans état d’âme, nullement conscients d’une quelconque culpabilité. Asservir était universel, pratique, voire essentiel au développement économique. Révoltant pour nous, normal pour eux.

 

RESPONSABILITÉ AFRICAINE

 

La question sur l’active participation des Africains dans les diverses traites a été posée à une éminente conférence récemment. Elle répond, visiblement embarrassée, qu’à l’époque l’Afrique «n’existait pas en termes d’entité politique et culturelle». Il est donc «anachronique» de s’en référer ainsi. Et d’ajouter : «Ils ne vendaient pas leurs frères. Ils vendaient des personnes qu’ils ne reconnaissaient pas comme leurs égaux. Ils ne faisaient pas partie de leur culture.» Elle souligne ensuite que «ce commerce profitable a été instauré par les Européens». De tels propos méritent d’être nuancés.

 

Évoquer l’inégalité et la différence culturelle équivaut à une justification de ce que nous considérons comme un crime contre l’humanité. Ils n’étaient pas coupables, certes, mais ils étaient néanmoins responsables de ce qu’ils faisaient. Par extension, il devrait être permis aux négriers blancs d’évoquer les mêmes raisons justifiant leur commerce. Vers le milieu du 19e siècle, les Européens freinent graduellement les activités d’asservissement. La colonisation de l’Afrique instaure un apaisement, créant malheureusement d’autres problèmes qui perdurent.

 

Des descendants d’esclaves aux Antilles reconnaissent ouvertement la responsabilité des Africains dans ce trafic de la chair humaine (voir Jeune Afrique du 28 juillet 1998). «Nous n’avons rien à voir avec ces gens qui nous ont vendus...» «La traite ne fut possible que parce que des noirs capturaient d’autres noirs pour les vendre comme esclaves.» En effet, selon certaines études, les négriers européens ne s’aventuraient jamais à l’intérieur des terres. Ils laissaient cette tâche aux Africains, se contentant de récupérer les captifs à partir de dépôts le long des côtes.

 

COMMERCE SÉCULAIRE

 

Souligner que ce commerce a été «instauré» par les Européens est ambigu. Il est vrai que depuis l’époque carolingienne, et même sous domination romaine, les Européens capturaient et vendaient d’autres Européens, surtout pendant les guerres. Mais en ce qu’il s’agit d’Afrique, parler d’instauration contredit les conclusions d’une recherche sur la traite saharienne à partir d’études sur le trafic vers le Sahel.

 

Ce commerce pratiqué par les Arabes et les tribus africaines du nord ouest du continent existe depuis le 9e siècle et dure mille ans jusqu’au début du siècle dernier. La traite atlantique, celle des Européens, débute avec les Portugais au 15e siècle en 1440 quand. Enlever des Mauritaniens au cours d’un conflit, ils se voient offrir des esclaves noirs en échange de ces otages. Les Européens n’ont donc pas «instauré» un commerce d’esclaves en Afrique. Ils ne s’y intéressent, du moins pour cette partie du monde, que 600 ans après le début de la traite saharienne.

 

Rappelons que l’esclavage sous différentes formes existe encore dans de nombreux pays. Le Comité Contre l’Esclavage Moderne estime qu’environ 36 millions d’hommes et de femmes vivent dans de telles conditions aujourd’hui. Indigné, le Pape François a récemment appelé la communauté internationale à lutter contre «ce culte de l’asservissement». Les Lords de Westminster se sont aussi penchés il y a quelques mois sur un projet de loi destiné a éradiquer ce fléau. Après tout, Boko Haram ne fait actuellement que perpétuer au centre du continent africain des razzias meurtrières et séculaires.

 

RÉFÉRENCES :

J. Marissal - Divers textes sur l’esclavage.

Amnesty International -Rapports

Lavigerie - l’Esclavage africain et l’Europe.

CCCM - L’Esclavage moderne.

M, Cottias - Esclavages (CNR)

B.Lugan- L’Afrique reelle et autres textes, O.R. Grenouilleau. 

Esclavage Wikipedia R. Glachand, etc.

 

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