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Repenser l’équité

Dans le but de susciter une réflexion collective, Brian Glover cherche ce qui pourrait promouvoir l’égalité des chances. La «Positive Action», inspirée du Royaume-Uni, lui semble meilleure que la «Positive Discrimination».
LE concept de l’égalité des chances repose essentiellement sur le respect du mérite. L’idéal de l’égalité des chances dans une société c’est de permettre à chacun d’entre nous d’accéder à une position dans la société qui corresponde à son effort et à son talent.
L’égalité des chances est donc une nécessité tant individuelle que collective. D’une part, l’estime de soi est en jeu. Une conception individualisée de l’égalité des chances engendre une approche concurrentielle pouvant à terme optimiser les compétences à condition, bien évidemment, que l’individu ressente qu’il obtient une position sociale qui est à la hauteur de ses qualités et de son effort.
D’autre part, la société a grandement besoin que les plus compétents, les plus talentueux et les plus durs travailleurs soient ceux qui bénéficient des recrutements et des promotions proportionnels à leurs qualités intrinsèques, leur éducation et leur expertise. Il en va de la productivité nationale et de l’optimisation des ressources humaines.
L’égalité des chances est sans nul doute une vision absolument nécessaire dans une société moderne. À court, à moyen et à long termes. Mais bien que cette notion égalitaire soit une nécessité individuelle, collective et sociale, la question que tout citoyen est en droit de se poser est la suivante : cet horizon nécessaire est-il atteignable ?
Il existe, dans notre société ainsi que dans celles de pays mondialement reconnus comme plus développés que le nôtre, des obstacles contraignants pour l’intégration et l’application de la
notion d’égalité de chances entre individus.
Primo, tous les individus ne peuvent avoir les mêmes chances au départ. (…) Nous ne naissons pas tous égaux et tout le monde ne jouit pas dans son enfance des mêmes avantages économiques, sociaux, structurels et parfois affectifs.
Secundo, il existe dans toutes les sociétés, mais sans doute est-elle plus exacerbée chez nous, une tendance à la discrimination inconsciente. Bien qu’il puisse exister des exceptions qui confirment la règle, il n’en demeure pas moins vrai que même des personnes convaincues d’être justes peuvent parfois obéir instinctivement et inconsciemment à des schémas de pensée discriminatoire. L’être humain a trop tendance à choisir l’autre par rapport à sa propre image. Cette abomination est le reflet d’une psychologie sociale où la méconnaissance d’autrui et la méfiance de l’inconnu exercent pernicieusement un impact traître sur le décisionnel.
Tertio, l’évolution de la pensée humaine n’ayant pas subi un profond renouvellement, la discrimination délibérée se révèle trop souvent, ici et ailleurs, dans les exercices de recrutement, de sélection et de promotion. Cette pensée discriminatoire peut être non seulement basée sur des préjugés vieux comme la lune mais peut tout aussi bien être fomentée par des calculs d’intérêts particuliers et étrangers au principe du mérite individuel.
Notre pays peut se targuer aujourd’hui d’une valeur sociale ajoutée qu’apporte le cadre juridique mis en place à travers l’Equal Opportunities Act avec l’avènement de l’Equal Opportunities Commission et de l’Equal Opportunities Tribunal. Cette initiative est salutaire à bien des égards. Il était impératif de commencer quelque part avec quelque chose. Des progrès sont déjà ressentis dans le combat contre la discrimination qu’elle soit délibérée ou inconsciente. De plus, la conscientisation collective s’étant cristallisée à travers la volonté institutionnelle dans sa mission pédagogique, il nous est permis d’espérer que nous sommes sur les bons rails.
Cependant, cette évolution ne saurait s’arrêter en si bon chemin. Si le changement des mentalités est un long processus, il ne nous est cependant pas permis de sempiternellement donner le temps au temps. Cette posture contrasterait amèrement avec l’impatience légitime de la nouvelle génération. Nous avons donc non seulement le droit de repenser l’égalité des chances. Nous en avons le devoir.
Une propension à la réflexion n’est certes pas une négation de la structure juridique d’aujourd’hui. Car la construction d’un meilleur demain se doit d’être une préoccupation citoyenne. L’avancement de la cité n’est pas une considération creuse. Malgré certaines dérives pessimistes, l’on doit continuer à penser que le patriotisme n’est point une ringardise. Et comprendre que l’apologie de la pensée conformiste ne relève point de la prudence mais de l’irresponsabilité.
Des trois obstacles à l’intégration pérenne de la molécule égalitaire dans l’équation sociale tels qu’énoncés plus haut, le plus difficile à passer, avec les structures juridiques existantes, demeure la première : les inégalités de naissance. Alors que les nantis de ce monde jouissent d’un départ dans les conditions optimales, les tristes réalités économiques, sociales, structurelles et parfois affectives des moins chanceux plombent les ailes. L’effort est dans ce cas d’une insuffisance déprimante. Et le talent ne rapporte rien s’il ne peut être valorisé par la société.
Les situations inégales ne peuvent être traitées de manière égale. C’est là toute la pertinence du principe de l’équité.
Pour être crédible, l’égalité des chances nécessite un système qui corrige les inégalités de naissance. Pour atteindre cet objectif, certains pays ont choisi d’adopter un système de redistribution visant à promouvoir entre différents groupes sociaux une plus grande égalité de fait. Cette redistribution structurelle est connue comme la «discrimination positive». Elle s’inscrit dans une logique de comblement d’un écart.
Cette notion est certes une réponse structurelle mais elle n’est point une solution sociale juste car elle ne repose pas sur le mérite individuel. Dans sa logique de quota, cette formule suppose un traitement préférentiel. Trouvant son origine dans les programmes américains d’affirmative action, elle demeure néanmoins néfaste au progrès collectif et à l’épanouissement individuel. Une théorie basée sur un traitement préférentiel au milieu du collectif et reposant sur une stigmatisation individuelle ne saurait faire l’unanimité.
Non seulement elle émasculera le mérite mais elle pourrait aussi être mal vécue par ses bénéficiaires qui percevront un traitement de faveur faisant fi des compétences car exclusivement basé sur le quantitatif et non le qualitatif. L’estime de soi en prendrait un sérieux coup.
Malgré sa dynamique volontaire et frontale, la discrimination positive ne saurait s’imposer comme une solution pleinement satisfaisante. Qui plus est, l’on est pourvu de suffisamment d’honnêteté intellectuelle et de réalisme pour se rendre à l’évidence que l’on ne pourra jamais supprimer totalement les préjugés et obtenir une équité sans faille.
Quelle serait alors la formule qui pourrait à terme minimiser les inégalités de naissance pour une meilleure intégration sociale dans le respect de l’équité? L’inspiration pourrait se trouver dans le modèle britannique. Une politique de Positive Action et non de Positive Discrimination pourrait être envisagée.
La Positive Action, contrairement à la Positive Discrimination, ne sacrifie pas l’intégration sociale sur l’autel du mérite individuel. Le talent et l’effort demeurent les fondements de la méritocratie. Cependant, la Positive Action permet une plus grande marge de manoeuvre aux pourvoyeurs d’emplois dans le domaine de la formation professionnelle. Cela non seulement ouvre la voie à une plus grande intégration sociale mais offre aussi à l’employeur l’attrait d’une masse salariale plus diversifiée ne répondant plus à des stéréotypes.
Par exemple, si un employeur est d’avis qu’un groupe social est sous représenté au sein de son entreprise, la Positive Action lui donne la faculté d’offrir plus d’opportunités de formation professionnelle en vue d’une plus grande sécurité d’emploi à des candidats de ce groupe social en particulier. Les caractéristiques de ce groupe social pourraient être basées tant sur leurs genres que sur leurs origines ethniques.
Une telle approche, tout en créant plus d’occasions (opportunities) ne garantit cependant pas des résultats (outcomes) aux bénéficiaires de cette formation, le recrutement et la promotion se faisant toujours sur la base du mérite, du talent, des compétences et des efforts individuels.
L’Equality Act du Royaume-Uni donne aussi une flexibilité accrue dans le monde de l’emploi au chapitre des mesures d’encouragement qui pourraient être appliquées dans le but d’attirer une plus grande demande d’emploi au sein d’un groupe social en particulier. Un employeur, jugeant, par exemple, la gent féminine ou un groupe ethnique sous représenté au sein de son établissement, est en droit d’encourager des candidatures du groupe en question. Cette mesure incitative ne saurait cependant avoir pour but d’écarter des candidatures de personnes hors de ce groupe sous représenté.
Outre une meilleure intégration sociale, la Positive Action à la sauce anglaise est d’un atout non-négligeable aux yeux d’employeurs désireux de se prévaloir du diversity dividend que lui apporte une telle politique. Car des ressources humaines d’horizons divers conféreraient la possibilité d’une clientèle plus large touchant tous les groupes sociaux, une plus grande richesse d’innovations à travers un brassage d’idées différentes et un reputational benefit que seul l’argent ne peut payer.
Se limitant uniquement à la formation (training) et à l’encouragement, la Positive Action transcende le mythe fallacieux selon lequel elle favoriserait le recrutement de groupes sociaux répondant à des caractéristiques Spécifiques.
(…) Cette notion n’est pas codifiée à Maurice. Qu’elle doit l’être est un débat souhaitable. (…)
Extrait du rapport 2014 de l’Equal Opportunities Commission
Président de la Commission pour l’Egalité des Chances
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