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Supervision bancaire
Face aux défis et à l’incertitude, les banques centrales africaines en pleine mutation
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Supervision bancaire
Face aux défis et à l’incertitude, les banques centrales africaines en pleine mutation

C’est dans un contexte économique mondial incertain que la conférence annuelle de la Community of African Banking Supervisors (CABS) s’est ouverte le lundi 23 juin à l’hôtel Maritim de Balaclava. Cette rencontre de deux jours, sous la présidence de la Banque de Maurice membre de l’Association of African Central Banks (AACB), a rassemblé les représentants de 30 banques centrales membres et de quatre institutions internationales. Ce forum de haut niveau vise à renforcer la coopération et les capacités de supervision
Alors que les systèmes financiers africains gagnent en complexité et en interconnexion, le rôle des superviseurs bancaires devient plus stratégique. Chargés de garantir la solidité des institutions financières et de prévenir les risques, ils doivent aujourd’hui composer avec une série de défis. Leur mission ne se limite pas à veiller à la conformité réglementaire, mais implique des prises de décision appuyées par des données fiables, dans un environnement marqué par l’incertitude.
Les outils traditionnels de supervision montrent leurs limites face à l’émergence de nouveaux risques. Pour le gouverneur de la Banque de Maurice (BoM), Rama Sithanen, «la supervision basée sur le risque est devenue une priorité pour de nombreux superviseurs, y compris pour la BoM, en raison des contraintes de ressources, de l’amélioration des performances et de l’efficacité opérationnelle». Il soutient que c’est dans ce contexte que la BoM a récemment finalisé son cadre de supervision basé sur le risque.* «Si ce cadre marque des progrès louables dans l’évaluation et la classification des risques, des révisions régulières seront néanmoins nécessaires pour garantir sa pertinence dans un environnement dynamique.»*
Mais comme l’a rappelé Rama Sithanen, un bon cadre de supervision ne suffit pas. Il doit s’accompagner d’un processus d’agrément bancaire rigoureux. Toute concession dans l’évaluation des demandes de licence peut exposer l’État et les déposants à des risques financiers importants. D’autre part, avec l’intégration économique et la numérisation, les systèmes financiers sont devenus interdépendants. De ce fait, une défaillance bancaire dans une juridiction peut avoir des répercussions directes dans d’autres pays. Pour prévenir ces effets domino, il est considéré comme essentiel que les superviseurs bancaires main- tiennent des interactions régulières et intègrent dans leurs pratiques des mesures proactives comme des exercices de simulation de crise, suggère le gouverneur de la BoM.
Défis et inquiétudes
Au-delà des enjeux liés à la supervision, indique Rama Sithanen, les banques centrales africaines font face à de nombreux défis. Parmi ceux-ci, la fragmentation géoéconomique suscite de fortes inquiétudes. Ce phénomène, caractérisé par des tensions commerciales, des conflits armés et des alliances stratégiques instables, accroît les risques tout en réduisant les marges de manœuvre des autorités monétaires. Dans ce contexte, plusieurs économies africaines, dont Maurice, doivent gérer un manque croissant de devises étrangères, ce qui fragilise les échanges commerciaux et alimente les déséquilibres macroéconomiques. Pour un pays très ouvert à l’international comme Maurice, ces bouleversements se traduisent par une hausse des coûts du fret, des carburants et des produits importés. Et l’instabilité mondiale peut dissuader les touristes, ralentir les flux d’investissements et perturber les échanges entre États.
Les investisseurs internationaux montrent une réticence accrue à prendre des risques. Ils retardent leurs décisions d’investissement et privilégient leurs placements dans des régions considérées comme stratégiques. Pour les juridictions africaines, souvent éloignées géographiquement et économiquement des grands marchés de consommation mondiaux, cela se traduit par un risque de baisse des flux financiers et une volatilité accrue des devises. Lutter contre la dépréciation monétaire tout en assurant une liquidité suffisante sur un marché ouvert demeure ainsi l’une des tâches les plus complexes pour les banques centrales, comme le souligne le gouverneur de la Banque de Maurice.
Ces défis s’ajoutent aux tensions commerciales mondiales, notamment marquées par la guerre des tarifs. Cette situation oblige les banques centrales à adapter leurs mécanismes de supervision des activités commerciales et financières dans un environnement plus incertain et fragmenté. Autre obstacle de taille, le changement climatique. Le financement climatique est ainsi essentiel, en particulier pour des pays vulnérables comme Maurice. Les superviseurs doivent désormais intégrer cette nouvelle réalité dans leur approche, en adaptant leurs cadres de régulation et de surveillance pour mieux évaluer les risques environnementaux et promouvoir une finance durable. Car les investisseurs privilégieront les pratiques responsables.
Pour sa part, la BoM poursuit activement la transition écologique de son système financier. Dans ce cadre, plusieurs mesures ont été mises en œuvre, notamment l’élaboration d’un document de référence sur la gestion des risques financiers liés au climat et à l’environnement, incluant des exigences en matière de transparence sur les risques climatiques. Un guide a également été publié pour accompagner les acteurs du secteur dans l’émission d’obligations durables. De plus, la BoM a lancé un exercice de simulation de résistance climatique pour mesurer la solidité du secteur bancaire face aux aléas environnementaux à moyen terme.
Sur le plan des données, des initiatives structurantes ont été entamées dès 2021. Une base dédiée aux risques climatiques est opérationnelle depuis juillet 2023 et d’autres projets sont en cours pour bâtir un répertoire de données. Ce dernier intégrera des séries historiques, des projections et des estimations de pertes financières par secteur, liées aux événements climatiques. Il y a une collaboration avec des partenaires internationaux, tels que l’Union européenne et l’Agence française de développement, afin de renforcer l’expertise locale en matière de finance durable et de résilience climatique.
Un autre défi concerne les technologies disruptives, telles que l’intelligence artificielle. «Ces évolutions technologiques vont profondément transformer le rôle des superviseurs au sein des banques centrales, qui devront adapter leurs outils et leurs méthodes pour assurer efficacement la stabilité financière.» De son côté, la BoM a créé un National FinTech Committee pour positionner le pays comme un hub régional, tout en lançant le Mauritius Financial Sector Cyber Committee (MFSCC), chargé de renforcer la résilience cybernétique du secteur financier à travers une approche collaborative entre institutions. Face à un environnement caractérisé par une grande incertitude et une forte volatilité, les banques centrales doivent adapter leurs approches. La conférence CABS est une plateforme cruciale pour partager les expériences et renforcer les capacités, afin d’identifier des solutions communes.
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