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Géraldine Baptiste, Chagossienne

«Eski pe revann Chagos pou enn deziem fwa ?»

1 juin 2025, 10:00

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«Eski pe revann Chagos pou enn deziem fwa ?»

Cette semaine, l’émission Décryptage concerne le dossier Chagos. Nous rappelons que, tout récemment, le pays était en fête lorsque fut annoncé que Maurice et le Royaume-Uni ont signé l’accord pour la souveraineté des Chagos. Géraldine Baptiste, 27 ans, habitante de Roche-Bois, est de cette nouvelle génération de jeunes Chagossiens qui ont leur mot à dire sur le dossier et l’histoire.

🟦Pour mieux comprendre, expliquez-nous vos liens en tant que descendante de la communauté chagossienne ?

Je me présente, je suis Géraldine Baptiste, habitante de Roche-Bois, enseignante de profession, slameuse et poétesse. J’écris des textes engagés, notamment sur mes racines et origines chagossiennes. Je suis issue de la troisième génération de Chagossiens, c’est-à-dire que mon grand-père est né à Peros Banhos. J’ai la chance d’être Chagossienne des deux côtés : du côté paternel comme maternel. Du côté de mon père, ce sont mes deux grandsparents — aujourd’hui décédés — qui étaient originaires des Chagos. Et du côté de ma mère, c’est mon grand-père, qui vit en Angleterre depuis plus d’une quinzaine d’années..

Vous n’avez pas eu l’occasion de connaître les îles Chagos, mais vos grands-parents vous ont raconté l’histoire.

Quand j’étais petite et qu’on allait chez mes grands-parents le week-end avec mes cousines, mon grand-père nous racontait toujours des histoires. À chaque fois, il parlait d’une île qui avait été vendue. C’était un peu flou dans nos têtes. À l’époque, mon grand-père était pêcheur aux îles Chagos. On se disait que c’était peut-être par rapport aux voyages qu’il avait faits et qu’il nous racontait une anecdote. Plus tard, j’ai compris la culture grâce à lui. Par exemple, il me parlait du seraz comme plat typiquement chagossien. À l’école, quand j’en parlais, c’était toujours des réactions de stupéfaction car beaucoup ne savaient pas ce que c’était. J’expliquais que c’était du lait de coco avec du poulet. Ça m’avait un peu titillée quand ils tiraient la tronche, mais je ne disais rien car ce n’était que des enfants. C’est quand j’ai fait mon entrée à l’université de Maurice que j’ai vraiment pris conscience que les histoires de mon grand-père étaient vraies. Il y avait un cours qui s’intitulait Postcolonialisme. Dans ce cours, il y avait le fameux texte Le Silence des Chagos, de Shenaz Patel. C’est à travers ce roman que j’ai vraiment pris conscience de mon histoire et que j’ai pu la relier aux histoires de mon grand-père et à celles des autres descendants chagossiens. J’ai aussi compris que ce que me disait mon grandpère, c’était plus que des histoires : c’était un pan de réalité.

🟦Quand on parle des Chagos dans les médias, la parole est souvent donnée aux anciens. On a l’impression qu’il n’y a pas vraiment de jeunes Chagossiens qui s’y intéressent comme vous. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous y intéresser et à vous reconnecter à vos racines ?

Il faut savoir qu’il y a certaines personnes qui ont encore honte de dire qu’elles sont descendantes chagossiennes, à cause des stéréotypes associés à cela, comme quoi «Zot enn bann zilwa sa, zot touletan plingne mem.» Pour moi, c’est une aubaine de pouvoir dire, surtout à travers l’écriture et la poésie, que je suis une descendante chagossienne. J’ai aussi voulu partager l’histoire de mes grandsparents et dire Zot pa zis enn bann zilwa, zot plis ki sa : Zot ena enn kiltir, enn idantite parey kouma bann Morisien. Il est important de faire comprendre que nous, Chagossiens, avons des racines, que nous existons, et que nous faisons partie de la République de Maurice tout comme Rodrigues et Agalega. Nous avons aussi quelque chose de particulier : une langue, une culture. Pourquoi ne pas mettre cela en avant, au-delà des stéréotypes ?

🟦On a l’impression qu’il y a toujours eu un silence autour de l’héritage et de l’histoire des Chagos et que ce n’est que maintenant, après la signature du fameux deal, que les gens se manifestent. En tant que jeune, avez-vous ressenti ce silence ?

Bien sûr. Même dans les livres d’école, il y a juste un petit paragraphe qui mentionne «Chagos Archipelagos» et rien sur l’histoire et son lien avec Maurice. Je me souviens qu’à l’école, on devait savoir bien écrire «Chagos Archipelagos» pour les examens. C’est dommage qu’on n’en parle pas plus, notamment de sa culture, pour que les jeunes soient au courant.

🟦Vos grands-parents vous ont raconté le déracinement ?

Oui. Quand mon grand-père me racontait le déracinement, on voyait dans son regard à quel point c’était douloureux et rempli de tristesse. L’histoire des zanfan koko. Pour eux, quand ils ont été déracinés, ils croyaient avoir la même vie qu’aux Chagos, mais c’était le contraire. C’était difficile pour eux de trouver un travail à Maurice, et je suis obligée de le dire : les Mauriciens les prenaient de haut. Ils vivaient dans de très mauvaises conditions. Inn derasinn plis ki enn zil. Inn derasinn zot lam.

🟦Est-ce que, comme vous, il y a d’autres jeunes Chagossiens qui s’intéressent à l’histoire ?

Je pense que oui, mais ena fwa kan nou zeness nou koze, bann ansien dir nou pa kone ki nou pe koze. Mo’nn deza gagn sa. Dans une réunion pour les Chagos, quand c’était à mon tour de m’exprimer, certains m’ont dit: «pa to laz sa, to pa pou konpran». En tant que jeunes, nous avons un regard extérieur, et nous voyons certaines choses que les anciens ne voient pas. Certains jeunes ont reçu cette transmission, mais ils ont peur qu’on leur dise qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent.

🟦Et vous, vous n’avez pas peur de voice out ?

C’est un risque, certes, et peut-être que j’aurai des critiques, mais c’est la vie… Je le redis, l’histoire des Chagos dépasse la politique. C’est une histoire humaine qui mérite une transmission.

🟦Récemment, la signature de l’accord entre le Royaume-Uni et Maurice a fait beaucoup parler. En tant que jeune, qu’avez-vous ressenti ?

J’étais un peu mitigée. Au début, c’était gelé, et l’après-midi, c’était le feu vert. J’étais confuse et mitigée. Parce que je me demande : What’s next ? C’est vrai qu’ils ont dit que les Chagossiens pourront aller se réinstaller sur les îles comme Peros Banhos et Salomon. Ok pour les natifs, mais pour nous, les descendants ? Pourrons-nous y aller aussi… ?

🟦 (Nous l’interrompons) Vous ne l’avez pas vécu comme une victoire ?

Pas une victoire, mais une confusion. Car il y a l’appréhension de ce qui va arri- ver dans quelques années. Peut-être que c’est vrai qu’on pourra aller s’y réinstaller, mais après ? Je préfère rester neutre, agis- sant comme observatrice, car j’en apprends encore sur l’histoire des Chagos.

🟦Diriez-vous que cet accord est une nouvelle dépossession ?

C’est peut-être une victoire pour ceux qui sont contents de pouvoir remettre les pieds sur Mama later. Dépossession... (silence). Je me pose la question. Qu’en est-il de ceux qui sont nés à Diego ? Pourront-ils y retourner ? C’est une question épineuse.

🟦Vous pensez qu’il aurait dû y avoir plus de consultations avec les Chagossiens autour de ce deal ?

Oui, car il est vrai que Chagos fait partie de la République de Maurice, mais elle appartient aussi au peuple. Il faut un vrai plan d’action sur la marche à suivre. Il aurait été bien de mettre chaque leader d’association autour d’une même table. Je pense que la friction actuelle est due à un manque de communication. Il ne faut pas que la communauté se divise, car cela nous rend vulnérables. Koumsa mem pass enn bann deal e nou mem ki perdan. Mank sa lantant-la.

🟦Quelle est votre réaction quand vous entendez les gens dire «Pou gagn kas ar deal Chagos-la» ?

C’est vrai que c’est ce que j’entends le plus ces derniers temps. D’ailleurs, j’ai eu des réactions comme ça. (rires) C’est triste que les gens s’arrêtent à l’aspect financier. C’est vrai qu’on aura de l’argent, mais ena sertin ki santi pe revann zot enn deziem kout.

🟦Finalement, doit-on dire qu’il y a une certaine hypocrisie autour des Chagos ?

Effectivement. Pa kapav tou sa lane-la bann Chagossien inn lager pou zot drwa pou voice out. Quand je repense à tout ça, certains disaient même qu’ils n’étaient pas mécontents. Pour eux, c’était presque une bonne chose qu’on les ait enlevés de l’île, parce qu’ils vivaient dans la pauvreté là-bas. Par contre d’autres étaient heureux de vivre sur les Chagos avec ce mode de vie en accord avec la nature.* Monn mem trouv sertin pe dir: «kot sa zot kapav apply pou vinn Chagossien»* (rires). C’est triste que ce soit l’argent qui interpelle. Pa pran sa pou badinaz.

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🟦 «Apply pou vinn Chagossien», comme vous le dites si bien. C’était le même discours quand il était question du passeport britannique…

Oui, j’ai aussi fait l’application. Ce n’est pas que je ne suis pas contente d’être Mauricienne, mais je pense que tout le monde aurait saisi l’occasion, car beaucoup vont voir ailleurs aujourd’hui. Je n’ai pas de plan de voyager, mais peut-être plus tard. Pour beaucoup, c’est une porte de sortie. Et j’ai vu beaucoup de gens de ma génération, la troisième génération, qui sont partis dès qu’ils ont eu le passeport britannique. J’ai eu beaucoup de commentaires quand je l’ai eu. Ena ti pe dimann mwa si mo selibater tou pou tir zot lavantaz lorla. Li patetik.

🟦Quand vous entendez les anciens parler de ce «grand retour», quel est votre point de vue ?

Ça ne va pas être facile, car beaucoup de choses ont changé là-bas. Il y aura beaucoup de paperasseries. Pou zot, zot kontan, parski zot pe retrouv zot mama. Parey kouma nou kan nou parti. Kan nou revini, nou kontan pou retrouv nou mama.

🟦Si vous faites partie de ce voyage du «grand retour», quelle est la chose que vous ferez en premier ?

Essayer de retracer l’histoire de mes grands-parents et imaginer leurs conditions de vie, même si je pense que tout est en ruine. J’aimerais aussi pouvoir me poser sur la plage comme me le racontait mon grand-père, avek enn bon pwason frir ek admir soley kouse.

🟦Quelle serait la vraie justice pour les Chagossiens, finalement ?

De rétablir l’histoire. Moi-même, je me suis reconnectée à l’université. C’est un peu tard, je trouve. Zordi kan dimann enn Morisien si li kone ki ete zistwar Chagos, li dir «Wi, Angle inn pran so later». Ena plis ki sa.

🟦L’accord parle d’écologie. Selon vous, que peut-on considérer comme une reconstruction écologique des Chagos ?

Il y a déjà le fameux parc marin et la protection des espèces marines. Kan pou al res laba, pa pou kapav al met bann lotel 5 zetwal, sipa al privatiz bann laplaz. Il faut trouver un moyen de vivre en accord avec la nature, comme à l’époque, en harmonie.

🟦Vous avez beaucoup de courage pour parler des Chagos. Êtes-vous le nouveau visage du combat ?

Ena dir ki mo ena kouraz, me mo redir mo ankor pe aprann zistwar Chagos. Néanmoins, avec mon art, j’assure la transmission, car les Chagos, sont plus qu’un deal financier. C’est une histoire, une culture, une identité.

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