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Crise du textile à Maurice
Entre restructuration, délocalisation et innovation durable
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Crise du textile à Maurice
Entre restructuration, délocalisation et innovation durable

Le licenciement de 240 employés de Star Knitwear, fondée en 1987 à Coromandel, a été annoncé début février. L’entreprise affirme que cette décision s’inscrit dans sa stratégie de restructuration.
Le récent licenciement de 240 employés de l’usine textile Star Knitwear, avec pour raisons «une baisse de production, une augmentation des coûts et une perte de compétitivité relativement faible, indique la fragilité du secteur. L’entreprise se voit obligée de se restructurer et de répondre «à des impératifs stratégiques visant à adapter l’activité de l’entreprise». Cette dure réalité est ressentie dans tout le secteur, obligeant plusieurs opérateurs à rechercher des opportunités ailleurs.
L’industrie du textile-habillement à Maurice a connu une croissance rapide des années 1980 à 2000. Cependant, une analyse des statistiques de la dernière décennie révèle un déclin progressif de ce secteur autrefois florissant. L’emploi, la création d’entreprises, la contribution à la richesse nationale, la croissance industrielle et les investissements directs étrangers affichent tous une tendance à la baisse. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2024, le textile mauricien a enregistré une baisse de 6,5 % de sa croissance, un chiffre certes moins alarmant mais tout de même inquiétant face à la baisse de 9,5 % en 2023. Alors que les exportations textiles ont progressé de 28 %, celles de l’habillement ont reculé de 14 %, entraînant une baisse globale de 4 % pour l’industrie du textile-habillement en 2024.
Ce secteur a connu un ralentissement notable en 2023, avec une baisse de 15 % des revenus à fin septembre par rapport à l’année précédente. De plus, les principaux marchés d’exportation, l’Europe et l’Afrique du Sud, sont directement impactés par l’instabilité économique mondiale, la baisse du pouvoir d’achat et l’inflation. En particulier, l’incertitude sur l’expiration de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) aux ÉtatsUnis en 2025, bien qu’un prolongement soit envisagé. Selon la Mauritius Export Association (MEXA), le coût de production est le plus grand défi du secteur. D’ailleurs, dans son mémoire en marge du Budget en 2024, l’association avait proposé un New Export Model visant à transformer le secteur grâce à une croissance durable à long terme, à renforcer sa compétitivité, à développer les marchés existants et nouveaux, et à promouvoir des secteurs émergents d’exportation tels que la biotechnologie.
Implantation à Madagascar, une solution aux coûts croissants
Les perspectives du textile mauricien s’assombrissent pour cet opérateur situé dans les faubourgs de la capitale. Malgré plusieurs décennies d’activité sur l’île et des investissements constants pour améliorer la qualité et maintenir l’activité de l’entreprise, se dessine une nouvelle orientation semble se dessiner : celle de se tourner vers Madagascar. «Le coût de production à Maurice étant élevé, l’option pour continuer à se développer ou pour pérenniser l’entreprise est de créer une société sœur qui pourra soutenir l’activité à Maurice tout en s’implantant à Madagascar», affirme l’opérateur, qui a souhaité rester anonyme. Selon lui, face à la hausse des coûts à Maurice, il est tout à fait naturel pour les entreprises de se tourner vers Madagascar.
La disponibilité de la main-d’œuvre sur l’île voisine constituerait un véritable atout pour ce projet. «Une réalité amère à digérer», confie-t-il, «est la rude concurrence sur le marché international, qui oblige les opérateurs à vendre leurs produits à un prix inférieur.» Selon lui, obtenir les matières premières est devenu de plus en plus difficile, avec la dépréciation de la roupie et les coûts d’importation qui restent très élevés. «De plus, l’augmentation salariale, lorsqu’on prend tout cela en compte, fait que l’entreprise tourne à perte.» Il ajoute que, bien que le gouvernement ait mis en place des facilités pour les entreprises textiles, il est crucial qu’il continue à les soutenir, car les hausses salariales ont eu un impact considérable sur les entreprises du secteur.
L’employeur souligne que le secteur textile nécessite des investissements à plusieurs niveaux, notamment en matière de machinerie. «Nous allons continuer à investir dans de nouvelles machines, car le client cherche des produits plus sophistiqués», précise-t-il. Par ailleurs, des investissements continus sont nécessaires pour garantir la durabilité et protéger l’environnement. L’entreprise prévoit également de devenir autonome en énergie dans un avenir proche, en dépendant à 100 % de l’énergie solaire pour son alimentation en énergie.
Le manque de main-d’œuvre constitue un problème préoccupant pour l’entreprise. Les Mauriciens ayant de l’expérience dans le domaine textile sont devenus des «perles rares», ce qui pousse l’employeur à rechercher de la main-d’œuvre étrangère, souvent au grand désarroi des responsables. «Les Mauriciens ne sont pas tellement intéressés par le textile, car c’est un secteur assez exigeant. Il faut être présent sur place. De ce fait, nous avons pris la décision de nous tourner vers la main-d’œuvre étrangère, malheureusement, les agents recruteurs ne nous fournissent pas des travailleurs correspondant à nos spécificités. Ainsi, nous sommes obligés de former les travailleurs étrangers qui arrivent dans l’entreprise. L’inadéquation entre l’offre et la demande est très flagrante et cela devient problématique pour la production.»
Cet employeur souligne que la main d’œuvre qualifiée demeure un défi majeur. Pour assurer la pérennité de l’entreprise, il considère que la stratégie consisterait à attirer les talents mauriciens issus d’entreprises qui ont fermé leurs portes. «Dans un certain sens, le travail effectué par les Mauriciens est nettement meilleur que celui des étrangers», observe-t-il. Toutefois, l’entreprise garde espoir que les commandes augmentent, que la roupie se stabilise et que la situation globale s’améliore. «Sinon, dans l’ensemble, l’entreprise est en pleine crise», avoue-t-il, ajoutant que malgré la situation difficile, la qualité n’a jamais été compromise. De ce fait, les «clients réguliers» restent fidèles et continuent à passer leurs commandes.
**«Top 100 Companies 2024» **
: Le textile à l’honneur Le secteur textile mauricien regroupe 26 entreprises, dont plusieurs figurent parmi les leaders économiques du pays. Dans le Top 10 des entreprises textiles les plus performantes, Ciel Textile occupe la première place, suivi de la Compagnie Mauricienne de Textile Ltd (CMT) et de Fire Mount Textiles Ltd, classée en troisième position. RT Knits se classe quatrième, suivi de World Knits Ltd à la cinquième place, de Denim de l’île Ltd à la sixième place et de Laguna Clothing (Mauritius) Ltd à la septième. Real Garment arrive en huitième position, tandis que FM Denim occupe la neuvième place et St Malo Exports Ltd clôt le Top 10.
Ciel Textile s’est imposé comme le leader du secteur avec un chiffre d’affaires de Rs 1,5 milliard et un bénéfice avant impôt de Rs 797 millions au 30 juin 2023. Au premier semestre de l’exercice 2025, le pôle textile de Ciel enregistre une performance solide avec une progression de 5 % de son chiffre d’affaires pour atteindre Rs 8,5 milliards. Cette croissance provient principalement de l’augmentation des volumes de ventes dans le segment Woven en Inde, où la demande continue de croître, ainsi que dans le segment Knitwear au niveau régional. L’EBITDA connaît également une hausse de 18 %, atteignant Rs 909 millions. Le bénéfice net après impôt s’élève à Rs 427 millions. En deuxième position, la Compagnie Mauricienne de Textile Ltée affiche un chiffre d’affaires de Rs 9,1 milliards et un bénéfice avant impôt de Rs 728 millions au 31 juillet 2023. Fire Mount Textiles Ltd a également réalisé une performance notable avec un chiffre d’affaires de Rs 2,3 milliards et un bénéfice avant impôt de Rs 70 millions au 30 juin 2024. Cependant, certaines entreprises ont rencontré des difficultés. Exotic Garments Ltd, par exemple, a enregistré un résultat négatif avec une perte avant impôt de Rs -4,79 millions au 30 juin 2023.
Un modèle de croissance et d’innovation
Maurice a connu un succès remarquable dans le textile-habillement en devenant un modèle de croissance durable et d’innovation. Grâce à une approche visionnaire, des stratégies de diversification, un fort engagement en faveur du développement durable et une culture de l’innovation, le pays s’est imposé comme un leader régional. Cet engagement envers l’excellence a fait de Maurice une destination privilégiée pour les marques internationales qui recherchent qualité et savoir-faire. Le textile-habillement mauricien s’est forgé une réputation d’excellence manufacturière et de respect strict des normes de qualité. Grâce à des investissements continus dans des infrastructures de pointe, des technologies avancées et une main-d’œuvre hautement qualifiée, le secteur livre constamment des produits d’une qualité exceptionnelle.
L’industrie locale offre des opportunités d’investissement attractives, soutenues par une série d’incitations fiscales et un accès privilégié aux marchés. Les investisseurs peuvent bénéficier de nombreux avantages, notamment un impôt sur les sociétés réduit à 3 % sur les revenus d’exportation, une exonération fiscale de huit ans dans le cadre du high-tech scheme (pour les produits éligibles), l’importation et l’exportation en franchise de droits des matières premières, une exonération de TVA sur celles-ci, un amortissement accéléré, ainsi que d’autres mesures incitatives.
Le secteur textile a démontré sa résilience et son potentiel de croissance en 2023-2024. D’après l’Economic Development Board (EDB), il bénéficie d’un accès privilégié aux marchés grâce à des accords tels que l’AfCFTA, l’AGOA et le CEPCA et favorise ainsi les échanges commerciaux et les investissements. Son développement repose sur des stratégies axées sur des produits durables, renforcées par des défilés de mode écoresponsables mettant en avant de nouveaux talents et des procédés innovants.
L’engagement pour des pratiques durables
L’industrie textile-habillement à Maurice a pris un virage important vers des pratiques plus durables soucieuses de son impact environnemental mondial. Selon le Forum économique mondial, l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes. Elle représente environ 10 % des émissions mondiales et consomme 93 milliards de mètres cubes d’eau chaque année. Cependant, en tant que petite île, Maurice a intégré la durabilité dans sa stratégie de compétitivité. Depuis deux décennies, les fabricants mauriciens ont pris des mesures pour atténuer et inverser les dommages causés à l’environnement. Ces efforts incluent la mise en œuvre de normes internationales rigoureuses, telles que les Global Organic Textile Standards, OEKO-TEX, REACH, ainsi que d’autres certifications environnementales et éthiques.
Les fabricants locaux ont mis en place plusieurs initiatives pour réduire leur empreinte carbone, telles que l’investissement dans des machines économes en énergie et l’utilisation de processus de production à faible température. La mise en place de fermes solaires et le passage à des sources d’énergie renouvelables font également partie des efforts pour réduire la dépendance aux énergies fossiles. De plus, la gestion des déchets et le recyclage sont des priorités, avec des usines spécialisées permettant de recycler 100 % du coton post-industriel et réduire ainsi la consommation de nouvelles ressources et la pollution. En même temps, l’industrie adopte des matériaux durables tels que le coton biologique, le bambou et le polyester recyclé, tout en développant des indices écologiques pour minimiser l’impact environnemental des produits.
Ce changement vers des processus de fabrication plus innovants et respectueux de l’environnement répond non seulement à la demande croissante des consommateurs pour des produits durables, mais démontre également l’engagement de Maurice envers une production responsable. Alors que l’Union européenne met en place de nouvelles réglementations, telles que le Green Deal, Maurice doit continuer à s’adapter aux exigences de durabilité pour préserver ses parts de marché, notamment au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Dans ce cadre, l’EDB soutient activement l’industrie, en promouvant Maurice comme une destination éthique et durable pour la production textile.
L’essor du secteur à Maurice
En 1970, le gouvernement a lancé sa stratégie de promotion des exportations avec l’adoption de la loi sur les Export Processing Zones (EPZ). La première zone franche a vu le jour en 1971 en offrant diverses incitations aux entreprises exportatrices. Pour assurer une croissance durable des exportations, plusieurs mesures ont été mises en place, notamment cinq arrangements de réserve successifs et deux programmes d’ajustement structurel entre 1980 et 1986. Le gouvernement a également créé des institutions clés, comme la Mauritius Export Development and Investment Authority, et a procédé à la dévaluation de la roupie pour rendre les exportations plus compétitives.
Dans les années 1980, Maurice bénéficiait d’une main-d’œuvre instruite et peu coûteuse. Bien que non-qualifiée, la population active s’est rapidement adaptée aux exigences du secteur textile. Outre les politiques locales, plusieurs facteurs extérieurs ont favorisé l’essor du textile mauricien, tels que l’accord Multi-Fibre (1982), qui limitait les exportations de plusieurs pays, incitant ainsi des investisseurs de Hong Kong à s’installer à Maurice. La baisse des prix du pétrole et du service de la dette due à la dépréciation du dollar américain en 1984, ainsi que l’appréciation du dollar taïwanais, ont réduit la compétitivité de Taïwan et motivé des investissements taïwanais à Maurice. L’appréciation des monnaies européennes après 1984 a également contribué à rendre les produits mauriciens plus compétitifs. Enfin, l’incertitude politique liée à la rétrocession de Hong Kong à la Chine dans les années 1990 a poussé des investisseurs à se tourner vers Maurice, apportant capitaux, réseaux commerciaux et savoir-faire technologique.
Recrutement éthique de travailleurs étrangers
En novembre 2024, la MEXA a réaffirmé son engagement à la protection des droits de tous les travailleurs, qu’ils soient mauriciens ou migrants, pour leur garantir des conditions de travail éthiques et responsables. À cette occasion, MEXA avait organisé une réunion stratégique avec dix grands fabricants de vêtements mauriciens pour discuter du renforcement des protections et des conditions de vie et de travail des travailleurs migrants. Cet événement avait souligné la volonté du secteur de répondre aux normes internationales les plus élevées en matière de travail, avec un focus particulier sur le recrutement éthique des travailleurs étrangers. L’initiative du recrutement éthique a vu le jour en 2019, lorsque MEXA a collaboré avec l’Organisation internationale pour les Migrations afin de développer un Code de conduite. Ce Code a été officiellement publié en août 2023. Elle poursuit ses efforts en développant des normes spécifiques et un processus de certification, dont la mise en place est prévue d’ici mars 2025. Certaines de ses membres ont déjà pris l’engagement de participer à ce processus de certification.
Perspectives Les prévisions pour 2025 laissent entrevoir une évolution prometteuse du secteur textile habillement à Maurice. Cette croissance semble surtout alimentée par une demande croissante d’entreprises américaines, qui cherchent à diversifier leurs sources d’approvisionnement et à réduire leur dépendance à la Chine.
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