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Émigration et immigration
Deux faces d’une même transformation économique
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Émigration et immigration
Deux faces d’une même transformation économique

Alors que les nations du monde repensent leur modèle de croissance dans un contexte de mutations démographiques sans précédent, notre pays vacille entre une émigration massive de ses talents et une dépendance croissante à une main-d’œuvre étrangère bon marché. Ce double mouvement, loin d’être une fatalité, doit être converti en un instrument de transformation économique et sociale.
Le prochain Budget 2025-2026 ne peut ignorer cette réalité. Il doit, au contraire, embrasser une nouvelle logique : celle d’une politique migratoire stratégique où l’émigration et l’immigration ne sont plus perçues comme des pertes ou des palliatifs, mais comme des leviers complémentaires d’un projet national de réinvention.
Les chiffres sont implacables. Depuis plusieurs années, Maurice connaît un déclin démographique accéléré, comme rappelé lundi en Une de l’express. Notre taux de natalité (1,4 enfant par femme) est largement en dessous du seuil de renouvellement de la population. D’ici 2063, la population en âge de travailler devrait chuter de 36,8 %. Dans le même temps, l’émigration de nos jeunes diplômés s’intensifie, vers le Canada, l’Australie, Dubaï ou Singapour, vidant le pays de ses forces vives.
© WORLD MIGRATION REPORT 2024 – PHOTO EDITED BY LSL
Cette hémorragie n’est pas simplement économique. Elle est existentielle. Une nation qui ne parvient pas à retenir sa jeunesse est une nation qui doute d’elle-même, qui peine à offrir un avenir à ses citoyens. Pire, elle s’expose à un vieillissement accéléré de sa population active, à une pression insoutenable sur son système de retraite et à un affaiblissement de son dynamisme entrepreneurial.
Face à ce vide, Maurice a recours, comme tant d’autres économies en stagnation démographique, à l’immigration. Les travailleurs de Madagascar, d’Inde et du Népal viennent occuper les emplois désertés par les Mauriciens, principalement dans la construction, l’hôtellerie et l’industrie manufacturière. Ce modèle, quoique nécessaire à court terme, n’est pas viable sans une vision cohérente.
Car l’importation de main-d’œuvre ne doit pas être un simple ajustement aux défaillances du marché du travail local. Elle doit être pensée dans un cadre plus large : celui d’une politique d’attractivité des talents et d’une intégration économique harmonieuse.
Le Budget 2025-2026 doit amorcer une transformation profonde. Il ne s’agit pas seulement de gérer les flux migratoires, mais de les structurer autour d’un projet stratégique qui tire parti des forces de la mobilité humaine. Trois axes doivent être privilégiés :
- Freiner la fuite des cerveaux par la compétitivité salariale et l’innovation
Si Maurice perd ses talents, c’est d’abord parce que l’horizon professionnel y est limité. Une refonte du marché du travail, avec une politique salariale plus attractive et une revalorisation des métiers à forte valeur ajoutée, est impérative. L’investissement dans la recherche, le développement et les nouvelles industries technologiques doit cesser d’être un vœu pieux pour devenir un pilier budgétaire central.
- Encourager le retour des expatriés par un cadre incitatif
Les Mauriciens partis à l’étranger ne sont pas perdus pour toujours. Beaucoup reviendraient si les conditions économiques et sociales le permettaient. Des incitations fiscales, des facilités pour la création d’entreprise et un assouplissement des procédures administratives doivent être mis en place pour transformer cette diaspora en acteur du développement.
3.Développer une immigration qualitative et intégrée
L’importation de main-d’œuvre doit être pensée autrement : non plus comme une simple substitution, mais comme un enrichissement. Il ne s’agit pas seulement de recruter des travailleurs pour combler des pénuries, mais d’attirer des compétences qui complètent et dynamisent l’économie nationale. Cela suppose une politique migratoire sélective, des programmes d’intégration efficaces et une gestion équilibrée des flux.
Les grandes puissances n’ont jamais hésité à utiliser la migration comme un outil de puissance. Les États-Unis, le Canada, la France ou encore l’Allemagne ont su attirer et retenir les meilleurs talents du monde entier, renforçant leur compétitivité et leur influence. Maurice ne peut pas se permettre d’être un simple exportateur de compétences.
Dans un monde en mutation, la mobilité humaine devient un facteur structurant de la géopolitique et de l’économie. Ceux qui la subissent en deviennent les victimes ; ceux qui la maîtrisent en font un levier de puissance. L’enjeu, pour nous, est de passer d’une posture de vulnérabilité à une posture de contrôle.
L’immigration et l’émigration ne doivent plus être perçues comme des phénomènes antagoniques, mais comme les deux faces d’un même projet : celui d’un pays qui s’ouvre sans se diluer, qui accueille sans se fragiliser, et qui envoie ses talents à l’étranger sans les perdre définitivement.
C’est à cette condition que Maurice pourra éviter l’hyperconflit, cette fracture sociale et économique qui menace les nations incapables de s’adapter aux réalités du XXIe siècle, et embrasser, à sa manière, une forme d’hyperdémocratie fondée sur la circulation maîtrisée des compétences et la valorisation du capital humain.
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