Publicité
Dette, déni et devoir de verité
Par
Partager cet article
Dette, déni et devoir de verité
Il faut avoir l’art de la voltige pour expliquer, en quelques phrases, une hausse de Rs 20 milliards de la dette publique en un seul trimestre sans donner l’impression d’un cafouillage ou d’un retour au dérapage budgétaire. Pourtant, c’est l’exercice auquel s’est prêté le bureau du Premier ministre (PMO) face à l’express, dans une discussion franche, mais révélatrice, sur l’état réel des finances publiques.
Le chiffre est là, brut et implacable : Rs 628 milliards de dette publique, soit 89,7 % du PIB estimé. Et une hausse de Rs 20 milliards entre décembre 2024 et mars 2025. «Factuellement correct», nous a dit un conseiller du Premier ministre. Mais attention, ajoute-t-il : «cela pourrait induire en erreur.» Sous-entendu : ce n’est pas (encore) la faute de la nouvelle équipe. Le 14e mois payé à la fonction publique, la gestion erratique des flux de trésorerie, des rentrées fiscales fluctuantes… Autant d’éléments avancés pour expliquer l’alourdissement rapide de la dette.
Mais cette tentative de clarification, pour nécessaire qu’elle soit, arrive dans un contexte de pression politique accrue. Car pendant que les conseillers de Navin Ramgoolam s’appliquent à contextualiser les chiffres, Mahen Seeruttun, ex-ministre MSM, surgit face à la presse pour annoncer, tout sourire, que «les caisses sont pleines» (voir sur lexpress.mu). On ne peut imaginer contradiction plus frontale. À croire que les finances publiques mauriciennes sont un jeu d’ombres projetées selon la lumière du parti au pouvoir.
Cette sortie, qui relève plus du coup politique que de la vérité comptable, n’est pas anodine. Elle jette un doute calculé sur la sincérité de l’Alliance du changement, à l’approche de son tout premier Budget. Car en politique, on ne combat pas une dette avec des chiffres, mais avec des récits. Et celui que tente d’imposer le MSM est limpide : l’ancien régime aurait laissé des caisses en or... et appelle le FMI comme témoin !
Ce récit, pour être démenti, doit s’appuyer sur une pédagogie économique rigoureuse. Car les chiffres seuls ne parlent pas. C’est la responsabilité du gouvernement actuel de démontrer comment cette dette a évolué, pourquoi les marges de manœuvre sont réduites, et surtout où l’on va. Or, pour l’instant, les signaux sont brouillés. Entre les annonces d’un Fonds de stabilisation de Rs 10 milliards, l’abolition de la redevance TV, les promesses de baisse des carburants et la volonté affichée d’en finir avec les privilèges fiscaux du Smart City Scheme, on sent bien que le cap est encore flou.
Le contexte macroéconomique, lui, ne souffre pas de cette ambiguïté : croissance atone, inflation persistante, risque commercial lié aux États-Unis, et un backlog de devises encore douloureux malgré un rebond notable des entrées en dollars. Même la Banque de Maurice, qui se targue d’avoir stabilisé la roupie, admet qu’il reste du chemin. Les institutions internationales, de leur côté, guettent. Car si la trajectoire budgétaire ne devient pas rapidement lisible, le risque de déclassement est bien réel.
Dans ce climat de défiance larvée, de soupçons croisés entre ancien et nouveau pouvoir, le premier Budget de Navin Ramgoolam ne sera pas une simple lecture comptable. Il sera un acte de vérité politique. Le moment où l’Alliance du changement devra dire clairement si elle veut satisfaire les attentes immédiates ou poser les bases d’un assainissement structurel.
Et dans cette équation, les choix sont douloureux : ou bien céder à la tentation populiste d’un budget facile, en espérant que la croissance viendra à la rescousse, ou bien dire ce que personne ne veut entendre – que l’on a vécu au-dessus de nos moyens, et qu’il faudra, ensemble, serrer les rangs.
La dette ne ment pas. Les chiffres finissent toujours par se venger. Reste à savoir si le gouvernement en place aura le courage de leur dire la vérité.
Publicité
Publicité
Les plus récents




